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toutes les passions haineuses qu'a fait naître la révolution le régicide même n'a pas craint d'y élever sa bannière et d'y exhaler ses fureurs. Et c'est avec une telle institution que l'on prétend raffermir la monarchie ébranlée! c'est comme si on vouloit rétablir un malade avec du poison.

On en revient toujours à l'Angleterre, et, pour s'encourager dans cette innovation révolutionnaire, on cite les chambres d'Angleterre, où l'on reçoit continuellement des pétitions. A cet exemple unique, je pourrois opposer celui de tous les gouvernemens qui ont existé depuis l'origine du monde, dans lesquels jamais le droit de pétition n'a été exercé, et sans doute l'expérience de l'univers devroit l'emporter sur un seul fait mais, puisque l'expérience n'est plus admise aujourd'hui, je vais raisonner. On ne fait pas attention que, malgré le nom de constitutionnel ou de représentatif que l'on donne également au gouvernement de France et au gouvernement d'Angleterre, il n'y a rien de plus opposé que ces deux gouvernemens, et que nous sommes aussi éloignés en politique de l'état social qui existe en Angleterre, qu'en géographie nous le sommes de nos antipodes. Dans nos assimilations politiques, nous ressemblons beaucoup au singe, qui imite l'homme dans les formes extérieures de ses actions, sans en connoître le but, et qui se coupe le cou avec le rasoir qui a fait la barbe de son maître.

Quand nous aurons une chambre des pairs composée de hauts et puissans seigneurs terriens, qui auront consolidé leurs droits et acquis la légitimité par huit cents ans de possession; quand nous aurons une chambre des communes attachée à la propriété par des liens aussi

solides que la propriété elle-même; quand nous aurons, par la pratique d'une religion quelconque, par des mœurs généralement adoptées, par quelque sentiment unanime d'attachement national, établi des points d'appui politiques et posé des fixités morales; alors, que notre gouvernement soit constitutionnel ou despotique, nous pourrons adopter le régime des pétitions ; quelque malfaisante que soit en elle-même l'institution, elle ne nous fera pas de mal. Mais, qu'après une révolution déplorable, d'où le corps politique est sorti couvert de plaies; qu'avec une chambre des pairs sans droits ni privilèges, née d'hier, créée pour et par les passions des hommes, et augmentée arbitrairement au gré d'un comité de ministres ; qu'avec une chambre de députés élus par l'esprit de parti, sans autre lien à la chose publique qu'un cens territorial, aussi mobile que la propriété mobilière; que, sans pratique obligée d'aucune religion, sans mœurs déterminées, sans respect pour aucuns usages ou principes anciens, dans le mépris continuel de la vieillesse et de l'expérience, et sans autre fixité morale qu'une lueur vacillante appelée raison humaine, variant autant que les individus qui s'en disent pourvus; que dans un état ainsi dénué de toute inspiration sociale, nous placions au nombre de nos institutions constitutionnelles le droit de pétition, c'est un acte de démence politique dont le temps découvrira tous les dangers. Je sais bien que ni moi, ni d'autres beaucoup plus instruits que moi, ne parviendrons jamais à désabuser la nation française sur ce point, puisque ni le meurtre de Louis XVI, ni tous les forfaits de la révolution n'ont pu le faire : mais vous savez que je n'écris pas pour entrer dans

les idées populaires; je n'écris, au contraire, que pour les combattre; et, sous ce rapport, j'ose croire, mon fils, que mes réflexions sur le droit de pétition ne seront pas inutiles à votre instruction.

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VINGT-TROISIÈME LETTRE.

CHAPITRE V DE LA CHARTE.

DES MINISTRES.

Je vous ai parlé à la fin de ma vingtième lettre de la naissance du gouvernement ministériel, et je vous ai dit qu'on en avoit trouvé le germe dans ces mots de l'article 13: « les ministres sont responsables. >> Ce chapitre, qui parle spécialement des ministres, a servi à consolider l'idée que l'on a prise de la puissance ministérielle; en le lisant, on a conclu qu'il y avoit des ministres obligés dans le nouveau mécanisme créé par la Charte, et de là on est arrivé à la nécessité d'un ministère.

Cette institution d'un ministère équivaut à l'anéantissement de la royauté. Cette proposition vous surprendra peut-être; telle est cependant la vérité.

En fait de commandement il est impossible de ne pas arriver à l'unité; partager l'autorité, c'est l'anéantir. Puisqu'il y a en France une royauté et un ministère, il faut que l'une ou l'autre commande; ils ne peuvent le faire ensemble: si le roi commande, le ministère obéit; si le ministère commande, le roi obéit; il n'y a pas de raisonnement qui tienne, la force des choses l'emporte : deux institutions ne peuvent avoir le pouvoir l'une et l'autre, comme deux personnes ne peuvent se trouver à la fois à la même place.

Maintenant qui commande en France, du roi ou du ministère? Ce fait n'est pas douteux : en France, tout part du ministère; c'est le ministère qui déclare la guerre, qui fait les traités de paix, d'alliance et de commerce; c'est le ministère qui fait les règlemens et ordonnances, c'est lui qui nomme à tous les emplois ; donc c'est le ministère qui commande. Je sais bien que l'on met au bas des actes du ministère le nom du roi, mais nous ne cherchons pas qui signe les actes du gouvernement, nous cherchons qui veut ces actes, et nous trouvons que c'est le ministère, donc c'est le ministère qui commande. Je sais bien aussi que la Charte dit dans les art. 13 et 14, qu'au roi seul appartient la puissance exécutive, mais nous ne parlons pas ici de ce qui est écrit dans la Charte, nous parlons de ce qui se fait réellement dans le gouvernement, et je répète que ce qui se fait réellement en France, c'est que le ministère commande et que le roi obéit.

Ne croyez pas que ce soit une allégation susceptible de controverse que j'émets ici; c'est la doctrine des députés, c'est la doctrine de la chambre des pairs, c'est la doctrine de tout ce qui compose le gouvernement francais, et pour que vous n'en doutiez pas, voici ce qu'un ministre dont on ne soupçonnera pas la bonne foi disoit à la tribune; ce ministre est M. de Chateaubriand; lors de la guerre d'Espagne en 1823 « rien, disoit-il, » ne procède directement du roi dans les actes du gou» vernement de France, tout est l'œuvre du ministère. » Ces paroles ont retenti dans la chambre des députés, dans celle des pairs, et tout le monde a applaudi. Ainsi c'est un fait sans réplique qu'en France le ministère commande, et que rien ne procède du roi.

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