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par exemple, l'arbitraire est un fléau terrible, quand il frappe sur la vie, l'honneur ou la propriété des hommes, comme il est arrivé quelquefois dans les décisions judiciaires; mais qu'il ne peut faire préjudice, quand il s'agit d'empêcher un fait dont les conséquences sont inconnues, tel que la publication d'un écrit. Enfin, la raison auroit dû leur apprendre qu'une puissance négative n'a jamais fait de mal, et que toute institution, même arbitraire, qui tend à prévenir le crime, est le plus grand bienfait que la sagesse humaine puisse apporter à la

société.

Quoi qu'il en soit, la censure établie en France avoit préservé les doctrines sociales contre les attaques qui auroient pu leur être portées par la voie de la presse, et ces doctrines, ainsi préservées, avoient maintenu la machine publique dans un état de tranquillité, sinon parfait, du moins préférable à ce que l'on avoit vu jusqu'alors.

Dans les commencemens du dix-huitième siècle, une régence licencieuse apprit aux habitués de la cour, et par suite à ceux qui vouloient les imiter, à se rire de toutes les institutions humaines, et à tourner en plaisanterie les choses les plus respectables. Cette gaieté française ne s'étendit pas néanmoins jusqu'au dogme de l'obéissance, et n'atteignit pas le fonds de la société; ce ne fut que vers le milieu du siècle que, du sein des orgies et de la débauche, s'éleva une secte bien déclarée d'hommes se disant philosophes, prétendant avoir le privilége exclusif de la raison humaine, s'annonçant comme les réformateurs du monde social, et prêc.iant ouvertement le dogme de la révolte contre les autorités établies.

Pour remplir cette mission, les réformateurs avoient besoin de détruire ce qui existoit; alors, pour saper de suite par la base l'édifice social, ils firent revivre la doctrine insurrectionnelle de Luther, l'appliquèrent au droit public et civil, quand ce dernier ne l'avoit appliquée qu'au droit religieux, et appelèrent tous les citoyens à soumettre les institutions et les ordres de l'autorité à leur raison individuelle.

Dans ce grand projet d'insurrection, les philosophes rencontrèrent la censure comme un obstacle puissant. Pour renverser cet obstacle, ils proclamèrent que la faculté de penser étoit la plus belle propriété de l'homme, ce qui est vrai: puis ils ajoutèrent, comme conséquence, que le citoyen avoit le droit de publier ses pensées par tous les moyens possibles, ce qui est faux: penser et publier sa pensée sont deux actes bien différens. Qu'un homme conçoive les idées les plus funestes, s'il les garde pour lui, lui seul est malheureux, et la société n'a pas à se plaindre; mais, quand, après avoir conçu une méchante idée, un homme la publie et la répand dans la société, la société est lésée, et son droit à prendre des précautions contre un pareil accident ne sauroit être révoqué en doute.

Néanmoins, les novateurs trouvant dans la liberté absolue de la presse un moyen puissant pour propager leur doctrine insurrectionnelle, célébrèrent cette liberté avec une emphase qui faisoit rire de pitié les sages, mais qui faisoit impression sur la masse. Suivant eux, la liberté de la presse étoit une nouvelle révélation, c'étoit un droit de l'homme, c'étoit un don inaliénable de la nature. La censure au contraire étoit un esclavage monstrueux, un despotisme avilissant. Il valoit mieux ne

pas exister en société, que d'exister avec la censure et sans la liberté de la presse.

Ces prédications eurent le succès désiré. En 1789, dès les premiers orages de la révolution, la censure fut supprimée, et la liberté de la et la liberté de la presse fut proclamée, comme un droit imprescriptible de l'homme en société. Cette époque de la naissance législative de la liberté de la presse fut signalée par les plus effroyables calamités. A l'aide de cette liberté, la doctrine de l'obéissance fut anéantie dans toutes les classes, les notions du bien et du mal furent bouleversées, et les hommes, dégagés de tous les liens moraux, se trouvèrent livrés à tous les genres de crimes connus et inconnus. Je n'ai pas le courage de revenir sur les années 1791, 1792, 1793, etc.; mais c'est un fait avoué par tout le monde, et dont se vantent même les révolutionnaires, que c'est la liberté de la presse qui a détruit jusque dans ses racines les sentimens qui attachoient les Français à leurs institutions. C'est un fait non contesté que, sans la liberté de la presse, les révolutionnaires succomboient, et que les Français seroient encore dans le sentier de l'obéissance.

Les temps de la terreur et de l'anarchie passés, les conquérans de la France voulurent établir un gouvernement, pour assurer la conquête. Ces hommes, à qui la liberté de la presse avoit tant servi pour leurs destructions, reconnurent néanmoins qu'ils ne pourroient jamais obtenir aucune sorte d'obéissance, s'ils laissoient subsister un pareil instrument d'insurrection : ils enchainèrent de nouveau la liberté de la presse, et, tout en proclamant ses avantages avec hypocrisie, ils lui donnèrent des limites beaucoup plus étroites que sous l'ancien régime.

Sur la fin du directoire, la liberté de la presse, échappée de ses chaînes, alloit recommencer ses ravages, lorsque Bonaparte, qui sembloit destiné à reconstituer en France une autorité vigoureuse, fut appelé au gouvernement. Bonaparte sentit bien que, dans l'égarement général où étoient les Français, il n'y avoit plus d'obéissance possible avec la liberté de la presse, et il soumit à la censure tous les écrits et tous les journaux.

Tel étoit l'état des choses, lorsque Bonaparte fut renversé, et les Bourbons rappelés sur le trône. Louis XVIII, comme vous l'avez vu, voulut signaler son retour en accordant plusieurs libertés aux Français (qui cependant ne l'avoient guère mérité); il consulta, sur cette concession, les hommes les plus influens du jour : malheureusement ces hommes étoient tous infectés, plus ou moins, de la doctrine révolutionnaire : la liberté de la presse étoit pour eux une affaire de système, bien plus qu'une affaire d'ordre social. Ni les raisons les plus sages, ni la sanglante expérience qu'ils venoient de faire, ne purent leur ouvrir les yeux sur les nouveaux malheurs qu'ameneroit encore cette funeste liberté. Elle fut proclamée, et la charte royale de 1814 accorda aux Français le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions sans censure préalable.

C'est ici qu'il faut revenir à la législation actuelle de la presse, et vous démontrer comment les chambres furent entrainées à l'inconséquence et à l'arbitraire. Cette législation est intervenue à l'occasion de l'art. 8 de la charte royale. Examinons le droit accordé aux Français, par cet article, sur la publication de leurs opinions.

EXAMEN DE L'ARTICLE 8 DE LA CHARTE.

Avant tout, il faut bien fixer votre esprit sur ce que c'est qu'une opinion, et sur la différence qu'il y a entre les faits et les opinions. Une opinion est une idée dont la conception n'a pas d'effet, ou n'en a que dans un monde imaginaire. Un fait est une action réalisée qui a son influence sur l'ordre physique ou moral établi. Tout ce qui est de l'opinion est du domaine de l'intelligence : tout ce qui regarde les faits est du domaine légal. Il ne faut pas confondre ces deux choses. Le domaine légal se règle par les lois; mais le domaine intellectuel est hors de la puissance des lois. Il suit de là, que chacun a la liberté de penser comme il est inspiré, parce que la pensée n'agit pas sur la société ; personne au contraire n'a la liberté d'agir comme il veut, parce que toute action influe sur l'état social, et doit être réglée d'après l'intérêt commun.

La faculté de penser est un don de la nature, qui existe depuis la création de l'homme ; cependant, à entendre les raisonneurs du jour, il semble que jusqu'à l'ère de la philosophie actuelle les hommes n'avoient pas pensé, et que c'est cette philosophie qui leur en a conféré la faculté. Les philosophes ont voulu se donner un air créateur, en proclamant un fait aussi vieux que le monde; et, pour se rendre importans, ils ont mis la faculté de penser au nombre des droits de l'homme, que, disoient-ils, ils avoient découverts. Cette proclamation est aussi niaise que celle par laquelle ils diroient que l'homme qui a deux jambes a le droit de marcher : encore le droit de marcher recoit-il des modifications

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