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Une telle mission pouvoit très bien s'accorder avec le régime électif; il n'échauffoit pas l'ambition, il n'éveilloit pas l'amour-propre, il n'appeloit pas les passions au combat ; il ne s'agissoit que d'un acte de bienveillance; la préférence honoroit sans humilier autrui, elle donnoit un devoir à remplir et non un droit à défendre.

Le mode électif a été adopté dans le chapitre 4 de la Charte, pour composer la chambre des députés: ce mode est-il avantageux à l'état social? ce mode convient-il à la France? c'est ce que nous allons examiner successivement.

LE MODE ÉLECTIF EST-IL AVANTAGEUX A L'ÉTAT SOCIAL?

La vraie et la seule mission des hommes qui exercent l'autorité dans l'état social est de maintenir les choses telles que la Providence les a amenées, et d'entretenir l'ordre et l'union parmi les citoyens la Providence a formé le terrain, ils n'ont qu'à le cultiver, et tous les moyens leur ont été donnés pour cela; mais ils doivent prendre ce terrain tel qu'il est, sans prétendre en changer le fonds. Lorsque celui qui a l'autorité dans une nation veut faire le bien de cette nation, ce ne sont pas des abstractions qu'il lui faut combiner; sa tache est plus simple et plus facile, il n'a qu'à maintenir ce qui existe. Si quelques mauvaises herbes se sont éle*vées dans le champ social, il peut les arracher sans bouleverser le champ lui-même : au reste, il étudie le climat et la température, pour s'y conformer; il ne prétend pas régler les saisons; et au lieu de vouloir donner des lois à la nature, il suit religieusement celles qu'elle a fixées pour la végétation et la maturité. Si tel est le de

voir de l'homme public, si l'ordre et la tranquillité, qui sont des faits, doivent être son unique but, si sa seule mission est de maintenir l'union entre les citoyens, voyons si le mode électif doit produire l'ordre et l'union, et jugeons l'arbre par les fruits.

1° Un premier vice du régime électif est de ne présenter que des incertitudes dans ses résultats; le produit d'une élection ne tient ni au passé ni à l'état actuel de la chose publique : les électeurs n'ont pas de guide, c'est leur caprice qui décide; ils nomment parce que telle est leur volonté. Quel avantage la chose publique peut-elle retirer d'une élection ainsi dénuée de bases? D'un autre côté, quel service la personne élue peut-elle rendre à la société? Née tout à coup, comme les enfans de Cadmus, elle n'a aucune des connoissances nécessaires à sa mission; nul rapport entr'elle et la chose publique, nul sentiment relatif à sa position nouvelle ; hier sujet, aujourd'hui souverain, le député est un citoyen amphibie qui n'a ni le sentiment de l'obéissance, ni la prudence de l'autorité; appelé dans le pays des chimères, il s'élance, comme Icare, sur des ailes artificielles, et tombe comme lui sans avoir pu trouver une route à travers les airs.

2o L'élection met en fermentation toutes les passions personnelles, et détruit toutes les idées d'honneur et de franchise : il faut flatter celui dont on désire le suffrage, il faut lui donner les qualités qu'il n'a pas," le douer des vertus dont il est privé; il faut continuellement mentir à sa conscience. Quelle éducation pour l'homme public! D'un autre côté, la rivalité fait naître un combat où tous les moyens d'attaque sont bons; la calomnie, la dénonciation sont les armes ordinaires des

élections; comme le peuple ne connoit que les extrêmes, et qu'entre deux concurrens, en admettant l'un, il faut qu'il rejette l'autre, c'est à qui l'échauffera davantage contre son rival, et tous les sentimens haineux sont entretenus par les élections.

3. L'élection n'est qu'un mode d'exercice de la souveraineté du peuple; et, s'il est vrai que le dogme de la souveraineté du peuple soit le grand poison de l'ordre social, il faut dire que le mode électif est aussi un mode empoisonné. Dans l'élection, c'est le peuple qui commande; prétendant à la puissance de faire des lois, il croit exercer cette puissance, en nommant ceux qui les font pour lui. De son côté, le député n'est pas un mandataire ordinaire, c'est un souverain qui n'est lié par aucun antécédent; le peuple l'a mis à sa place, il lui a conféré sa toute-puissance, et, comme cette toutepuissance n'a point de limites, le député n'en connoit pas non plus cessionnaire des droits du peuple, il exerce ces droits dans toute leur plénitude, et l'élu d'une masse dont le devoir est l'obéissance, se trouve placé au dessus de l'autorité.

4° L'élection peut nuire à la société, et ne peut pas la servir: elle peut nuire à la société, parce qu'elle échauffe toutes les passions orageuses; elle ne peut pas la servir, parce qu'elle n'est jamais en rapport avec les besoins de la chose publique. La société en effet ne peut trouver de secours que dans ce qui tend à raviver son principe, et l'élection ne peut rien produire qui ait trait au principe social : si ce principe commence à s'altérer, l'élection l'altèrera davantage, parce que l'élu ne voudra pas le corriger, mais le changer; si le peuple électeur tend lui-même à la corruption, il sera impossi

ble de le ramener, parce qu'étant souverain il n'y a pas moyen de lui commander: enfin l'élection brise à chaque instant la chaîne sociale, elle interrompt la liaison du passé avec l'avenir, elle livre la génération présente aux rêveries et aux passions d'hommes inconnus et sans aucun rapport avec la situation morale de l'État.

LE MODE ÉLECTIF CONVIENT-IL A LA POSITION DE LA FRANCE?

En supposant que le régime électif soit en lui-même une bonne institution, cette institution étoit-elle convenable à la France en 1814? l'étoit-elle à la France dispersée par la révolution? l'étoit-elle à la France tombée sous l'empire du crime et des criminels? Ces questions subsidiaires ne furent pas plus abordées que la question générale, et la France couverte de plaies, accablée d'infirmités et presque expirante fut traitée avec le régime des états sains et vigoureux.

Sous ces rapports particuliers cependant les choses parloient d'elles-mêmes. D'abord le régime électif ne devoit pas être donné à la France, par cela seul que ce régime étoit une nouveauté : depuis huit siècles l'autorité en France étoit appuyée sur la propriété et l'hérédité, c'étoit par là qu'elle avoit acquis le titre de légitime; puisque l'on vouloit en revenir au principe de légitimité, il falloit donc rejeter tout ce qui portoit le caractère d'innovation, car légitimité et innovation sont deux idées absolument contradictoires. Ensuite quelle étrange méthode que celle de changer tout à coup les principes vitaux d'un corps politique qui avoit par devers lui quatorze siécles d'existence? Croyons-en sur ce point Montesquieu, l'homme qui a le mieux étudié les faits so

ciaux, et le mieux connu le mécanisme des corps politiques ; voici ses propres paroles : « Il y a beaucoup >> à gagner en fait de mœurs, à garder les coutumes an>> ciennes; comme les peuples corrompus font rarement » de grandes choses, qu'ils n'ont guère établi de socié» tés, fondé de villes, donné de lois, et qu'au contraire >> ceux qui avoient des mœurs simples et austères ont >> fait la plupart des établissemens, rappeler les hommes >> aux maximes anciennes, c'est ordinairement les rappeler à la vertu. » ›

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Si le régime électif ne convient pas à la France née sous Clovis, et développée avec le principe de la légitimité, convient-il mieux à la France d'aujourd'hui, à la France nouvelle, comme l'appellent certains publicistes modernes ? Pourrai-je examiner cette question, sans risquer de passer pour un homme dont le cerveau est malade? N'est-il pas reconnu, en effet, que la révolution, qui a commencé en France en 1789, est un perfectionnement social? N'est-il pas reconnu que, si toutes sortes de forfaits ont marqué sa naissance, ces forfaits n'ont pas altéré sa nature bienfaisante? Ces vérités ne sont-elles pas adoptées partout, et les quatre coins de l'Europe ne sont-ils pas embrasés du feu sacré de la révolution? Quelle opinion vais-je donc donner de mon bon sens?... Il n'importe, nous sommes ici dans les régions intellectuelles ; et, si mes idées sont des rêveries, du moins ces rêveries ne nuisent à personne.

La France a été bouleversée par une révolution terrible; je vous ai fait connoître les causes et les effets de cette révolution..

Vous le savez, les causes de la révolution sont l'usur pation du pouvoir divin, la puissance de création donnée

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