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changer l'un sans l'autre, et c'est là tout ce que je veux vous faire remarquer en ce moment. Citons des exemples.

Les Romains, unis en société par la religion païenne et par les lois de Romulus et de Numa, changèrent leur gouvernement sous le dernier des Tarquins; au gouvernement royal, ils substituèrent le gouvernement annuel des consuls : les Romains par là changèrent leur gouvernement, mais ils ne changèrent pas leur société ; ce furent toujours la même religion, les mêmes lois; seulement l'autorité fut exercée différemment; le gouvernement fut changé, mais la société resta la même. A Sparte, au contraire, Lycurgue changea à la fois la société et le gouvernement : non-seulement il refondit l'autorité chargée de diriger le corps politique, mais encore il changea entièrement les lois qui faisoient la base de la société. Ainsi, comme vous le voyez, on peut changer à la fois la société et le gouvernement; on peut aussi changer le gouvernement, sans changer la société.

Venons maintenant à la Charte : en lisant son préambule, on voit que de ces deux choses, la société et le gouvernement, le roi n'en a voulu changer qu'une, savoir, le gouvernement. Le chapitre II confirme cette idée; il ne parle que des formes du gouvernement; c'est donc le gouvernement de France que le roi a changé. Quant à la société, elle est toujours la même, et vous pouvez toujours vous réjouir d'être Français, quoique placé sous un gouvernement nouveau.

Les révolutionnaires veulent faire entendre que ce n'est pas seulement le gouvernement qui est changé par la Charte, mais aussi le fonds de la société ; ils prétendent que, d'après la Charte, nous n'avons plus la même

religion, les mêmes lois, les mêmes devoirs, les mêmes principes d'honneur et de probité; rejetez cette métamorphose: Louis XVIII n'a pas rompu la société française, il n'a pas voulu détruire les devoirs qui nous unissoient, il n'a pas voulu anéantir la religion qui affermissoit ces devoirs, il n'a pas voulu tuer sa patrie et la nôtre. Placé au premier rang de la société, pour en assurer la marche, le roi sait qu'il y a quelque chose au-dessus de la majesté royale, c'est la majesté des lois ; et le petit-fils de saint Louis, de Henri IV et de Louis XIV n'a jamais eu l'idée de renverser la société qui a été la gloire de ses aïeux et le berceau de son enfance.

et

Après avoir ainsi borné le cercle de notre examen, avoir réduit cet examen aux changemens apportés au gouvernement, attachons-nous à préciser ces changemens de manière à en bien connoître la nature.

1o Une première innovation portée en la Charte est l'établissement d'une puissance législative. Cet établissement est renfermé dans l'article 15 ainsi conçu : « La >>> puissance législative s'exerce collectivement par le roi, » la chambre des pairs et la chambre des députés de dé>>>>partement. >> Cet article ne semble pas une innovation, à la manière dont il est rédigé : la puissance législative s'exerce. Ces mots, mis au présent, supposent une chose existante; cependant en France autrefois il n'y avoit pas ce qu'on appelle la puissance législative : tout à l'heure vous apprendrez ce que ce que c'est que la nouvelle puissance législative créée par la Charte; en ce moment, je me borne à vous faire remarquer que l'établissement en France d'une puissance législative est une innovation.

2° Une seconde innovation faite par le chapitre II est l'établissement d'une chambre des pairs et d'une cham

de députés, pour participer à l'exercice de l'autorité royale dans des cas déterminés. Autrefois la personne du roi pouvoit tout en France; si veut le roi, si veut la loi, telle étoit la maxime de votre pays: le roi autrefois faisoit seul les règlemens nécessaires à la conservation des lois fondamentales; il exerçoit seul le pouvoir d'exécution; il régloit seul les impôts. Par la Charte, le roi a divisé ces fonctions; il s'est bien réservé, à lui seul, le pouvoir d'exécution, mais il s'est interdit de faire seul les règlemens sur certains objets, comme de mettre seul les impôts, et s'est associé pour ces fonctions deux chambres qu'il a créées.

3o Un changement bien grave, et qui cependant a été à peine remarqué, résulte de l'article 23 du chapitre II ; cet article porte l'établissement d'une liste civile, c'està-dire, la dotation d'une somme à prendre sur les impôts, pour l'entretien de la personne royale. Autrefois la royauté étoit appuyée sur la propriété; des domaines inaliénables, passant par voie de substitution au prince revêtu de l'autorité, pourvoyoient à son existence : le roi de France étoit autant au-dessus de ses sujets par la fortune que par la dignité; et cet état de choses, en assurant l'indépendance de la personne royale, étoit en même temps un appui solide et une base visible de la légitimité. Dans la Charte, Louis XVIII a renoncé à soutenir la royauté par la propriété, et s'est contenté d'une rétribution annuelle pour remplacer les domaines qui appartenoient à la couronne.

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4o Les trois changemens que je viens de vous faire remarquer sont clairement énoncés dans le chapitre II de la Charte; il en est un quatrième que l'on veut trouver dans l'article 1er de ce chapitre, et qu'on fait résulter

de ces mots : « les ministres sont responsables.» On pré tend que de ces seuls mots il résulte que le roi n'a plus le pouvoir d'exécution, que ce pouvoir appartient tout entier à ses miniștres, et que l'autorité royale a été convertie en autorité ministérielle.. #yo soun

Tels sont les quatre changemens principaux portés au chapitre II; nous allons les examiner. Rappelez-vous, dans cet examen, sous quel rapport nous le faisons; ce ne sont pas les institutions telles qu'elles sont aujourd'hui que nous allons juger, ce sont leurs effets dans l'avenir que nous allons chercher à deviner. L'état présent d'une institution n'est rien pour le publiciste, c'est l'état futur sur lequel il doit porter toute son attention : lorsqu'un agriculteur plante un arbre, il pense aux fruits qu'il en recueillera; lorsqu'un législateur forme un établissement, il doit penser aussi aux fruits moraux qui sortiront de son institution. Le tigre, à sa naissance, a des formes douces et gracieuses, cependant le temps développe sa férocité cachée sous ces formes; il en est de même des institutions sociales: quelquefois elles présentent des apparences généreuses, et quelquefois aussi le temps fait apparoître d'horribles fléaux cachés sous ces apparences. On espéroit toutes sortes de biens de la constitution de 1791, elle renfermoit cependant le germe de l'assassinat de Louis XVI et des crimes de la terreur.

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Les anciens n'ont jamais connu l'idée que nous représentent les mots puissance législative; cette idée est moderne: elle a pris naissance dans les abstractions que nous avons créées, et telle est la singularité des choses, que c'est le publiciste qui a le mieux raisonné sur les

matières sociales, qui a amené l'erreur dans laquelle nous sommes tombés sur ce point. Montesquieu, examinant la constitution d'Angleterre, a dit qu'il y avoit dans chaque État trois sortes de pouvoir, la puissance législative, la puissance exécutive et la puissance judiciaire : cette division, imaginée par Montesquieu pour la facilité du raisonnement, a été prise pour une réalité par les publicistes qui l'ont suivi; et l'on a dit: Il y a dans toute société une puissance législative, comme il y a dans toute maison une cave et des greniers. Cette conclusion est due à l'erreur où nous sommes sur la nature du langage; nous ne savons pas distinguer ce qu'il présente de réel, d'avec ce qui est purement intellectuel; et, quand nous avons donné un nom à une chose, nous croyons l'avoir créée; nous sommes comme des peintres qui, ayant représenté sur la toile des corps fantastiques, croiroient avoir peuplé l'univers d'êtres nouveaux. Cette illusion est une des grandes causes du désordre qui existe dans le monde intellectuel..

Sans nous étendre davantage sur une erreur que nous avons déjà signalée, cherchons ce que seroit, dans l'ordre social, une puissance législative, et nous nous convaincrons qu'en nous entendant bien sur les choses et sur les mots, il n'y a pas, et il ne peut y avoir dans aucune société de puissance législative.

Nous l'avons dit, comme l'homme n'a pu se créer luimême, de même il n'a pu créer de société. En faisant l'homme à son image, Dieu l'a doué d'un germe spirituel qui, développé par le temps, amène un état d'union dans le genre humain; c'est ce germe qui a produit toutes les sociétés. Dans cette formation des sociétés, Dieu n'intervient pas à chaque instant, comme un ar

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