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doctrines erronées et celui qui avoit ordonné le meurtre du roi, les Français ont perdu la trace de leurs devoirs aussi voyez-vous, depuis le retour du roi, d'abord une sorte de tiédeur dans les esprits à l'égard du crime du 21 janvier, et bientôt après le régicide prêché ouver

tement.

On eût évité ces malheurs si, dans l'article 11, on avoit franchement abordé la question, et si, par une rédaction peu claire on n'avoit pas fait naître la confusion que je viens de vous faire remarquer. Puisqu'on vouloit parler, dans la Charte, du meurtre de Louis XVI, il falloit en parler avec l'indignation et l'horreur que mérite un pareil forfait; il falloit d'abord soulager la nation du poids de ce crime et le faire peser tout entier sur les individus qui l'ont commis; il falloit ensuite frapper les auteurs de la plus honteuse flétrissure; il falloit les marquer, comme Cain, d'une réprobation éternelle.

Mon fils, vous savez l'indulgence que je vous recommande tous les jours; vous savez le soin que je prends d'éloigner de vous tous les sentimens haineux, et d'excuser les hommes entraînés par le mouvement social : sur le meurtre de Louis XVI, je prendrai un langage différent; témoin de cet effroyable évènement, je veux faire passer dans votre cœur toute l'horreur qu'il a laissée dans le mien; je veux que vous n'y pensiez pas, que vous n'en parliez pas sans frémir; je veux que vous ayez en exécration les noms des assassins de Louis XVI comme ceux des Ravaillac, des Damiens et des Louvel; je veux que vous les regardiez comme des monstres qui n'appartiennent plus à l'espèce humaine, et que vous fuyez leur présence, comme celle des pestiférés. Sans doute la miséricorde de Dieu, qui est infinie, trou

vera quelque adoucissement à l'éternité terrible qui les menace je l'espère et je le désire; mais que, sur la terre, les régicides de Louis XVI soient poursuivis par l'exécration universelle, que, nouveaux OEdipes, ils soient rejetés partout, et que l'univers les repousse de son sein.

ARTICLE XII.

La conscription est abolie; le mode de recrutement de l'armée de terre et de mer sera déterminé par une loi.

La révolution, atroce par sa nature, a fait rougir ses plus chauds partisans; pour la couvrir de quelque vernis, plusieurs de ses adeptes tournèrent leurs regards vers la gloire militaire. Ils voyoient une nation d'un côté naturellement belliqueuse, d'un autre côté facile à égarer par ce qui porte le nom de l'honneur : ils lui parlèrent de combats et de victoires. Les Français séduits volèrent partout où on leur demanda le sacrifice de leur vie ; le courage et la valeur se trouvèrent ainsi alliés avec la révolution.

Cependant les chefs révolutionnaires, pour continuer leurs victoires, furent obligés de faire de grands sacrifices d'hommes; la multiplicité des armées, l'inexpérience des soldats, mille causes faciles à concevoir augmentoient le nombre des blessés et des morts; il fallut pourvoir au déficit.

Pendant l'époque de l'anarchie, ce fut la terreur qui alimenta les armées : à cette époque, la destruction de la société et du trône, le massacre des prêtres et des nobles, l'assassinat du roi, la fureur de la convention, la rage du peuple, tout étoit réuni pour jeter dans les ames une stupeur profonde; il n'y avoit plus de familles, il n'y avoit plus de rapports moraux, c'étoit le chaos.

En cet état, il fut facile de pousser aux armées autant d'hommes qu'on en voulut; la mort étoit partout, et l'on préféroit la rencontrer sur un champ de bataille, à la recevoir sur un échafaud.

Après la terreur, le directoire ayant organisé le crime, ne put trouver dans le nouvel ordre de choses les ressources de la terreur; il lui fallut, pour entretenir ses armées, trouver quelque mesure en rapport avec la nature du gouvernement violent qu'il avoit imposé à la France. Le directoire posa en principe que, dans le nouvel ordre social, les enfans n'appartenoient à leurs pères que jusqu'à l'âge de dix-huit ans, et, qu'aussitôt cet âge, ils passoient de droit sous la puissance du gouvernement, qui pouvoit en disposer pour le service militaire; ce principe fut présenté comme une conséquence nécessaire de l'égalité, et soutenu par les grands mots de patrie et de bien public.

Les Français, quoique abrutis par le régime de la terreur, ne goûtèrent pas beaucoup les idées de patrie et de bien public, prônées par des régicides; ils sentirent que patrie et bien public, dans la circonstance, vouloient dire gouvernement et directoire : tous les esprits se soulevèrent contre une maxime effrayante, qui enlevoit les enfans à leurs pères, pour les donner à d'impitoyables directeurs.

Le directoire, furieux de cette résistance, fit alors fabriquer par ses associés révolutionnaires, réunis en corps législatif, une législation terrible contre les pères qui refusoient de livrer leurs enfans, et contre les enfans qui ne vouloient pas quitter leurs pères. Avec cette législation, qui fit sortir une criminalité nouvelle des plus doux rapports de la nature, le principe que tout

enfant arrivé à l'âge de dix-huit où vingt ans appartient au gouvernement fut adopté en France, et donna lieu à ce qu'on appelle la conscription. Par la conscription, les tables de vie furent changées en tables de mort, la paternité devint la plus dangereuse des charges sociales, et le titre de père ne fut plus dans la société française qu'un sujet d'inquiétude, de peine et de misère.

Bonaparte usa et abusa de l'institution qu'il trouva établie : il adoucit la rigueur des peines portées contre les pères; mais forcé, par son ambition désordonnée, de multiplier ses armées pour multiplier ses victoires, ik il rendit la conscription tellement odieuse, que, dans les revers qu'il éprouva, tout le monde se souleva contre l'institution.

Les Bourbons rentrèrent en France : le prince géné reux qui le premier apparut comme l'ange précurseur de la restauration, entendit les plaintes des Français; il les accueillit, et le premier mot qui sortit de sa bouche fut: «< Plus de conscription. » Le prince savoit que ce n'étoient pas les contraintes et les fers qui avoient réuni autour de ses illustres ancêtres ces armées innombrables qui ont sauvé la monarchie; il savoit qu'il est chez les Français un sentiment plus puissant que la crainte des châtimens, c'est celui de l'honneur ; et il étoit digne de lui de réveiller ce sentiment dans les cœurs. Par l'article 12, Louis XVIII a réalisé la promesse de son frère: honneur et reconnoissance éternelle à l'illustre souverain qui, après vingt années d'interruption de toutes les lois de la nature et de l'ordre social, a rendu à la paternité ses droits, à la patrie son existence, et à tous les Français les véritables principes de l'honneur et du courage!

VINGTIÈME LETTRE.

CHAPITRE II DE LA CHARTE.

FORMES DU GOUVERNEMENT DU ROI.

L'INTITULÉ de ce chapitre ne rend pas l'idée du législateur; on vouloit proclamer les nouvelles formes du gouvernement français: il falloit dire alors : « Formes » du gouvernement français. » Je ne m'étendrai pas davantage sur cet intitulé.

Il est une observation bien plus grave sur laquelle je fixerai votre attention; c'est que ce chapitre parle du gouvernement, et non de la société ou de la nation. Déjà je vous ai fait remarquer la différence qui existe entre une société et un gouvernement : par société ou nation, nous entendons l'association des citoyens; par gouvernement, nous entendons l'administration de cette association. Pour bien comprendre les choses renfermées dans ce chapitre, il ne faut pas perdre de vue cette distinction.

De ce que la société et le gouvernement sont deux choses différentes, il suit qu'ils peuvent éprouver des changemens relatifs à leur existence séparée, c'est-àdire que la société peut changer sans que le gouvernement change, et, vice versâ, que le gouvernement peut changer, tandis que la société reste toujours la même.' Sans doute ils peuvent aussi changer tous les deux en même temps; mais toujours est-il vrai qu'ils peuvent

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