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Dans cette admission générale de tous les individus aux avantages de l'état civil, l'homme a perdu de son influence, et le talent n'a plus suffi pour conduire les multitudes sociales. Aussi la Providence, qui veille toujours sur l'univers, a-t-elle répandu sur la terre de nouvelles forces morales en rapport avec ce changement de choses. L'Évangile, par sa doctrine, est devenu la puissance morale capable de diriger ces immenses machines sociales pour cela, il ne fallut qu'une seule idée, mais susceptible de s'appliquer à toutes les positions où pourroit se trouver le citoyen dans l'association. Cette idée fut l'établissement de l'obéissance, comme le premier devoir de l'homme en société.

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L'Évangile, dans tous ses points, prescrivit l'obéissance, en fortifia l'obligation par la crainte de Dieu, en montra la récompense dans le royaume des cieux, et en fit sur la terre la source des plus grandes satisfactions intérieures. Ainsi, dans la face nouvelle qui fut donnée aux associations politiques, par la participation générale de tous aux avantages moraux de la réunion, la doctrine de l'Évangile devint la base de l'état social; et la foule immense des associés, qui sembloit, dans cette circonstance, ne devoir éprouver que des agitations tumultueuses, connut les douceurs de l'union, par la protection du précepte divin de l'obéissance.

Le monde social, ranimé par la doctrine évangélique, marchoit ainsi vers un état de choses qui s'amélioroit tous les jours, lorsque, vers le commencement du seizième siècle, un moine obscur vint jeter dans le champ social un germe empoisonné, dont nous recueillons aujourd'hui les tristes fruits. Luther, égaré par l'amourpropre et la vengeance, non seulement méconnut en

fait l'obéissance, mais encore il établit comme un point de dogme l'insurrection, en rejetant le respect dû à l'autorité existante, et en soumettant tous les devoirs de ła vie morale à l'examen de la raison individuelle.

Cette doctrine de Luther est bien à remarquer; car elle est la cause de l'état convulsif où se trouve aujourd'hui l'intelligence humaine. La base de cette doctrine est de méconnoître l'ordre divin, et de substituer les raisonnemens de l'individu à la marche de la Providence. La base de cette doctrine est de rendre l'homme tout-puissant, et de substituer sa sagesse à la sagesse divine. Dans cette doctrine, l'homme devenu créateur peut réformer à son gré le monde moral; il ne reconnoit pas d'antécédens, sa raison de chaque jour est le dieu de l'univers, et, devant cette raison, le produit des siècles et l'expérience des générations doivent se dissiper comme des ombres.

Cette doctrine, qui flattoit l'orgueil humain et favorisoit toutes les passions personnelles, se répandit avec rapidité, et devint pour les sociétés un germe de mort morale. Il ne falloit cependant qu'un éclaircissement simple pour la renverser. Cet éclaircissement étoit qu'il n'existe dans la nature ni homme, ni raison humaine; qu'il existe bien des hommes, mais que ces hommes ne forment pas une unité susceptible d'exercer la nouvelle puissance attribuée à l'homme. Cet éclaircissement étoit que, pour créer, il faut unité, infinité, éternité. Dieu a créé le monde, parce qu'il est un, infini et éternel; mais les hommes, qui naissent, croissent et meurent, n'ont ni unité, ni infinité, ni éternité. Cet éclaircissement enfin étoit que le mot l'homme n'est qu'une idée fictive; qu'il n'y a point d'homme en géné

ral, et que ce qu'on appelle la raison humaine n'est qu'un jeu de l'imagination. Mais cet éclaircissement ne fut pas donné; alors les raisonneurs, usant de la facilité d'égarer l'intelligence donnée par le système de Luther, infiltrèrent la doctrine nouvelle dans tous les esprits, et le monde se trouva bouleversé par les réformes ordonnées au nom de la raison.

Luther étoit loin de voir les conséquences de son système, et d'apercevoir les résultats définitifs de cette faculté d'appeler des devoirs à la raison individuelle. Mais ces conséquences, que ne voyoit pas Luther, n'en existoient pas moins, et elles ne tardèrent pas à se faire sentir. Les hommes à passions personnelles, trouvant dans cette émancipation du genre humain des moyens de servir leurs passions, apprirent à remuer les masses par les illusions de l'orgueil et de l'amour-propre. De son côté, la foule, éblouie de ses nouveaux droits et de la puissance à laquelle elle étoit appelée, suivit avec enthousiasme des donateurs généreux qui l'élevoient au des dieux; et, dans cet égarement imprévu, les sociétés privées de gouvernail marchèrent à la dissolution.

rang

Il n'est pas douteux que, si les gouverneurs qui étoient alors à la tête des nations eussent pu prévoir les conséquences de la doctrine de Luther, ils l'eussent généralement repoussée, et en eussent évité les dangers; mais ces gouverneurs n'imaginoient pas le fruit qui alloit sortir d'un germe qu'ils voyoient pour la première fois. Loin de cela, quelques-uns ayant cru trouver des secours dans les nouveaux doctrinaires, ils s'en servirent, et leur prêtèrent même l'appui de la force publique; par là les peuples reçurent le poison fatal des mains de l'autorité qui devoit les en préserver.ne

Cependant certains gouverneurs des nations ouvrirent les yeux, et ne se laissèrent pas entraîner à l'illusion de la réforme; quelques-uns firent même des efforts pour en arrêter les progrès ces efforts consistèrent à employer la force publique, pour empêcher les prédications insurrectionnelles. La France fut au nombre des puissances qui rejetèrent la doctrine de Luther.

La force publique pouvoit arrêter les prédications verbales; mais dans le même temps se fit la découverte de l'imprimerie, c'est-à-dire, la faculté de multiplier par la presse les opérations de l'intelligence. Cette découverte aida beaucoup aux succès de la nouvelle doctrine, en la faisant circuler dans toutes les ramifications du corps politique; et bientôt les efforts de l'autorité, qui pouvoient quelque chose contre des prédications verbales, se trouvèrent sans force contre les écrits. Il fallut donc remédier aux inconvéniens sortis de la presse.

La première idée fut de regarder la publication des écrits comme des crimes, et de les faire punir par les tribunaux. Cette punition des écrits par les tribunaux amena les inconséquences que nous avons remarquées de nos jours. Alors les gouvernemens, fatigués de recourir sans fruit à des jugemens qui d'un côté ne remédioient pas au mal, et d'un autre côté introduisoient dans la justice un arbitraire dangereux, cessèrent de poursuivre les pensées, et imaginèrent le moyen simple de prévenir le crime, au lieu de le punir, en créant la

censure.

DE LA CENSURE.

L'établissement de la censure, pour les écrits, étoit une institution sage et parfaitement sage et parfaitement en rapport avec l'in

convénient qu'elle devoit corriger. Un nouveau mode de favoriser les doctrines anti-sociales étoit découvert : ce mode consistoit à multiplier les forces ennemies et à les répandre dans le corps politique, de telle manière qu'on ne pût juger de leurs effets qu'après que le mal étoit fait, et l'étoit d'une manière inguérissable. Dans cette position délicate, le gouvernement avoit établi un comité d'hommes graves, chargés d'examiner les publications à faire par l'imprimerie, et d'arrêter ces publications, si elles avoient quelque chose de contraire à la marche tranquille de la société. Une telle institution étoit vraiment sociale : elle prévenoit le crime, au lieu de le punir; elle soumettoit à la sagesse des anciens les innovations de la jeunesse et de l'inexpérience; elle arrêtoit les impulsions trop violentes qui auroient pu être données au mouvement social; en un mot, elle maintenoit l'équilibre de la machine publique, sans secousse, sans violence, et sans affliger aucun amour-propre.

Les révolutionnaires ont raisonné contre la censure, et, dans leur humeur chagrine, ils ont présenté comme un inconvénient de la censure, l'arbitraire de cette institution. Mais, puisque les révolutionnaires vouloient raisonner, la raison auroit dû leur indiquer qu'il est dans la mécanique sociale certaines parties où l'arbitraire est indispensable; que, quand il s'agit de pensées et non d'actions, d'intentions et non de faits, il est impossible qu'il n'y ait pas de l'arbitraire; et qu'il faut bien qu'il y ait parfois nécessité d'arbitraire, puisque eux-mêmes n'ont pu l'éviter dans leur législation sur la presse.

La raison auroit dû leur indiquer aussi qu'il est des matières où l'arbitraire est sans conséquence, lorsqu'il en est d'autres où il devient du plus grand danger; que,

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