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Dans ce nouvel état de choses, il n'y avoit pas encore d'emplois publics; les nouveaux citoyens pourvoyoient à leurs besoins par des moyens personnels, et ne pensoient pas à se faire nourrir par des places qui n'existoient pas la culture des terres, les arts et l'industrie leur fournissoient des ressources.

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La propriété, qui prit de grands développemens après la suppression totale de l'esclavage de la glèbe, fit naître les beaux-arts, le luxe; et l'existence devint plus dispendieuse. L'autorité, qui jusqu'alors avoit trouvé dans la propriété de quoi satisfaire à ses besoins comme à ceux de l'État, fut obligée de recourir à des impôts. Ici apparoissent les emplois publics; c'est-à-dire, ces places dans lesquelles l'employé ne vit point de sa propriété ou de son industrie personnelle, mais de la rétribution qui lui est accordée par l'autorité.

La création des impôts produisit des effets remarquables. D'un côté, l'autorité, dont la puissance pécuniaire se trouvoit bornée à sa propriété, vit augmenter cette puissance; et, d'un autre côté, les citoyens virent ouvrir une nouvelle mine de richesses, qui leur parut plus facile à exploiter que la culture des terres ou l'industrie personnelle.

Lors de la création des emplois publics, ce ne furent pas les familles nobles de France qui sollicitèrent ces emplois. Ces familles, appuyées sur la propriété, auroient rougi de recevoir des salaires pris sur les travaux du peuple. C'est ici qu'il faut relever l'erreur des déclamateurs du jour, qui vous diront que, dans l'ancien régime, les places publiques étoient attribuées exclusivement à la noblesse. Ce fait mensonger a été imaginé pour soulever la haine publique contre les nobles; mais,

loin d'être privilégiés sur ce point, c'est une vérité, au contraire, qu'ils s'excluoient eux-mêmes de tous emplois publics.

Les dignités de l'État étoient bien réservées pour la noblesse; mais il faut distinguer entre les dignités et les emplois les dignités sont onéreuses, les emplois sont lucratifs; il faut être riche pour soutenir les diguités, les emplois mènent à la fortune. Ici, comme partout ailleurs, les révolutionnaires ont confondu, et c'est parce qu'ils ont confondu qu'ils ont été conduits à tant de ridicules déclamations contre l'ancien régime. La noblesse française a dû son éclat à la propriété et au service militaire, auquel elle étoit principalement dévouée; jamais elle ne l'a dû aux richesses acquises par des emplois publics. Loin de solliciter ces moyens d'obtenir des richesses, la noblesse les regardoit comme au-dessous d'elle; elle excluoit de son sein ceux qui, dans une profession plus indépendante, vouloient augmenter leur fortune par des voies spéculatives: fondée sur la propriété, c'étoit par la propriété qu'elle avoit acquis son élévation; elle rejetoit tout autre moyen de fortune, et toute place ou emploi qui ne lui auroit rapporté que de l'argent étoit méprisé par elle.

Il est arrivé quelquefois, il est vrai, que les grandes familles, appelées seules auprès du roi pour contribuer à l'éclat du trône, profitèrent de cet avantage pour se faire donner par l'autorité une part dans les impôts; mais ce fait est loin de ressembler à ce que laissent entendre les déclamateurs : les libéralités, dans ce cas, provenoient de la foiblesse des princes, qui ne savoient pas refuser, mais elles ne provenoient pas de la possession des places ou emplois publics.

Cependant arriva la révolution : à son approche, l'autorité existante fut détruite pour être remplacée par une autre; la nouvelle autorité, étrangère à la propriété, se trouva composée tout entière de places et d'emplois, au salaire desquels il fallut pourvoir par des impôts considérables, et le gouvernement s'attribua le tiers ou le quart du revenu de la France, pour faire face à ce salaire.

L'effet de l'augmentation des impôts pour salarier l'autorité, dépouillée entièrement par la révolution de ses moyens d'existence, fut d'attirer toute l'attention des Français sur les emplois publics : jadis indépendans lorsqu'ils acquéroient le titre de propriétaires, ils sentirent que la propriété n'étoit plus qu'un futile avantage, qui n'étoit pas à comparer à la possession d'une place qui donnoit à la fois fortune et autorité : on aima mieux recevoir que donner, et l'on abandonna tout-à-fait le système de la propriété, pour embrasser la carrière des places et des emplois publics.

L'article 3 de la Charte n'est propre qu'à exalter davantage les Français en faveur du système de l'autorité salariée, et, dans mon opinion, cet article ne tardera pas à répandre une misère générale sur le pays le plus favorisé de la nature, en anéantissant le goût de la propriété, et en détruisant la condition du propriétaire, cette condition si sage, si bien combinée par la Providence, et si utile à l'ordre social. Arrêtez-vous un instant sur le malheur de cette destruction.

Avant la révolution, il existoit une classe de citoyens qui soutenoient l'état, et en faisoient principalement la force morale, politique et même financière; c'étoit la classe des propriétaires. On appeloit propriétaire l'homme vivant

du seul revenu de sa propriété, et n'ajoutant à ce revenu aucun moyen de spéculation ou d'industrie : il ne suffisoit pas alors d'avoir une propriété pour porter le titre de propriétaire, il falloit encore que la propriété fût votre seul moyen d'existence. Le négociant, le financier, quoique très-riches en biens-fonds, n'étoient pas compris dans la classe des propriétaires; ce titre étoit réservé pour celui-là qui vivoit exclusivement du revenu de sa propriété. On parle maintenant du titre de propriétaire, et l'on ne s'entend plus sur ce titre, parce que le mot de propriétaire a changé de signification; nous appelons aujourd'hui propriétaire tout homme qui a une propriété; c'est même dans ce sens qu'a été établi le droit électoral de la Charte, mais le titre de propriétaire n'entraîne plus avec lui les présomptions morales qu'il emportoit autrefois.

Dans l'ancien ordre de choses, lorsque le titre de propriétaire étoit donné à l'homme vivant du seul revenu de sa propriété, ce titre supposoit dans la personne du propriétaire modération de l'ame, respect envers la Providence, sagesse, prudence, économie; aujourd'hui, il ne suppose plus que la richesse; le spéculateur sur les biens d'émigrés, l'enrichi par l'agiotage, portent le titre de propriétaire, tout comme le bon citoyen qui, étranger à toutes les passions orageuses de l'ambition, du commerce et des spéculations, pourvoit à ses besoins et à ceux de sa famille par le seul revenu de sa propriété.

Quand vous aurez réfléchi sur les différentes conséquences morales qui doivent sortir, pour l'état social, de l'existence de ces deux sortes de propriétaires, vous penserez avec moi que la destruction de la condition du propriétaire, telle qu'elle existoit autrefois, est un mal

heur politique, et qu'il est fâcheux que l'art. 3 ait confirmé cette destruction. C'étoit un des progrès de la civilisation d'avoir séparé l'autorité de la propriété avec laquelle elle étoit originairement confondue. L'article 3 fait renaître cette confusion, avec cette différence notable que, dans les commencemens de la monarchie française, la propriété avoit au moins un caractère de fixité qui pouvoit servir l'État, au au lieu que la propriété moderne est devenue d'une mobilité qui ne peut apporter avec elle que des agitations désordonnées.

L'article 3 présente en outre un vice de rédaction. <<< Tous les Français, y est-il dit, sont également admis<<sibles. » Ce fait heureusement n'est pas vrai. Admettre également, c'est admettre sans distinction : l'article 3, ainsi rédigé, présente un sens qui certainement n'est pas le sien; on ne prêtera pas aux rédacteurs de la Charte l'idée absurde d'avoir voulu rendre tous les Français admissibles aux emplois publics, sans exiger d'eux quelques présomptions de capacité; mais ce qui n'est pas dans l'intention des rédacteurs de la Charte, se trouve cependant dans les termes de l'article 3: admettre également tous les Français, c'est les admettre sur leur seule qualité de Français, et abstraction faite de toute autre condition. Il est vrai que l'article 3 ne vouloit, dans sa généralité, que proscrire les supériorités politiques; mais il falloit alors préciser cette proscription, et ne pas se servir du mot également dans le sens plus le étendu. D'après la rédaction de l'article 3, le grand, le petit, l'ignorant, le lettré, le capable comme l'incapable, tous sont également admissibles, s'ils sont Français; certes, ce n'est pas là l'intention des rédacteurs de la Charte.

Il ne faut pas dire que cette admissibilité générale

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