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qu'il n'en peut être de même à l'égard d'une nation, pour l'établissement de laquelle il faut une religion fixe, une morale fixe, des principes d'éducation fixes, et pardessus tout cela des siècles qui aient fondu toutes ces choses ensemble pour en faire un esprit général.

Regardons donc comme constant que les chartes qui peuvent établir des gouvernemens ne peuvent constituer des nations; et, partant de là, rectifions cette confusion dans laquelle on parle indistinctement des effets constitutionnels sur les gouvernemens et sur les nations; la nature des choses s'oppose ouvertement à cette assimilation. L'écrivain et le relieur diffèrent entre eux : il n'y a pas moins de différence entre ce qui constitue une nation, et ce qui constitue un gouvernement; et ceux qui croient faire des nations en faisant des gouvernemens ressemblent au relieur qui croiroit avoir composé un livre, en reliant des feuilles de papier

blanc.

D'après cela, ne vous attendez pas

à

rencontrer dans la Charte de 1814 les élémens constitutifs d'une nation; cherchez seulement les bases d'un nouveau gouvernement; et c'est là, en effet, tout ce qui est l'objet de la Charte royale.

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-y

La dernière observation que je viens de vous faire étoit essentielle avant de parcourir les corollaires de la Charte elle vous prémunira d'abord contre les mauvais raisonnemens que l'on pourra vous faire, en confondant le sens des mots nation et gouvernement, Bien persuadé ensuite que le roi, par la Charte, n'a voulu̟ qu'établir un gouvernement nouveau à la place de l'ancien, vous vous rappellerez sans cesse, dans l'examen que nous allons faire, que vous êtes Français, que vous

appartenez toujours à cette nation généreuse, fondée il y a quatorze siècles par Clovis, et que tout ce qui tient à la religion, à la morale et aux autres fondemens de la société française, n'a pu éprouver de changement par la Charte de 1814.

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DIX-NEUVIÈME LETTRE.

CHAPITRE PREMIER DE LA CHARTE.

DROITS PUBLICS DES FRANÇAIS.

Lors de la constitution de 1791, tous les publicistes de l'Europe s'élevèrent contre la déclaration des droits, mise à la tête de cette constitution. On demanda où étoit la mission des députés qui avoient fait cette déclaration; on demanda où cette déclaration avoit été puisée; on demanda comment des hommes pouvoient accorder des droits à d'autres hommes. Dans ce premier chapitre, la Charte royale est plus restreinte, et ne proclame pas les droits de l'homme en général, mais seulement les droits particuliers des Français : cette différence est importante; elle vous annonce que Louis XVIII ne s'est pas présenté comme un nouveau créateur de l'univers, mais comme le souverain de la France.

Sous ce point de vue, la mission du roi est attestée par la Providence, qui, par huit siècles de possession, a fixé la puissance souveraine entre les mains de la famille des Bourbons: si veut le roi, si veut la loi, tel étoit le principe légitime de la monarchie française. Le roi, proclamant les droits des Français, ne peut donc être comparé à l'assemblée constituante proclamant les droits de l'homme : l'assemblée usurpoit la puissance divine en voulant constituer l'homme; le roi a usé d'un

pouvoir légitime en réglant la société confiée à sa surveillance.

Cependant, s'il y a ici pouvoir légitime, ce qui n'existoit dans l'assemblée constituante, il y a, d'un autre pas côté, même abus de langage et de mots. On reprocha à l'assemblée constituante les abstractions et les idées vagues; on lui reprocha d'avoir énoncé des maximes générales et des principes métaphysiques; le même reproche peut être fait à la Charte de 1814, à l'exception qu'au lieu de parler à l'univers, la Charte ne parle qu'aux Français. Le roi ne s'adresse pas au genre humain, il s'adresse au peuple dont il est le souverain légitime; mais son langage, comme celui de l'assemblée constituante, rentre quelquefois dans les généralités et les abs

tractions.

On se demande d'abord, sur l'intitulé de ce chapitre, qu'est-ce que les droits publics des Français? Un droit suppose un rapport; un droit existe ou sur une chose ou contre une personne; un droit sans corrélation est une chimère; sur quoi donc portent les droits publics des Français? Droits publics des Français! Contre qui? Est-ce contre les membres de l'autorité, est-ce contre le chef? S'il s'élève des débats sur l'exercice de ce droit, qui jugera ces débats? Quelles lois seront appliquées? Une déclaration de droits publics par le roi est la souveraineté du peuple, proclamée par la souveraineté royale.

Pour réaliser une déclaration de droits publics, il faudroit une autorité supérieure à l'autorité souveraine, qui pût réprimer la violation de ces droits, et qui commençât par la juger : qui donc jugera entre le peuple plaignant et le roi accusé? Qui décidera que le peuple

a abusé, ou que le roi a violé? Quelle sera la force qui mettra le jugement à exécution? Ce n'étoit pas de droits publics qu'il falloit parler aux Français; c'étoit de devoirs publics; c'étoit l'obéissance à laquelle il falloit les appeler au nom de Dieu, dont les rois sont les représentans sur la terre; c'étoit cette obéissance qu'il falloit leur prescrire comme leur premier devoir : l'homme en société a des devoirs à remplir, et n'a point de droits publics à réclamer.

ARTICLE PREMIER.

Les Français sont égaux devant la loi, quels que soient d'ailleurs leurs titres et leurs rangs.

Maxime générale, et qui ne peut être l'objet d'un commandement; la Charte est une loi fondamentale, le législateur y doit donc parler en termes impératifs : lex jubeat, non doceat. Dire que les Français sont égaux, ce n'est pas commander, c'est raisonner, et le raisonnement ne mène pas à l'obéissance. La maxime est d'ailleurs mal énoncée, et offre même un contre-sens politique.

Que veut-on dire en proclamant que les hommes sont égaux devant la loi? On veut dire que la loi est égale pour tout le monde, ce qui certainement n'est pas une découverte nouvelle. Cette maxime est vraie, et la soumission à la loi est un devoir général, mais il ne falloit pas la présenter comme un droit public, parce qu'en effet il n'y a pas là de droit public : ce n'étoient pas non plus les hommes qu'il falloit proclamer égaux, c'étoit la loi à laquelle il falloit appliquer le rapport d'égalité. Si l'on eût dit : «< La loi est égale pour tout le monde, » cela étoit inutile sans doute; cependant cette énonciation ne

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