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peuple la forme de la donation peut être vicieuse; le bienfait du donateur n'est pas équivoque. Vous reconnoîtrez dans la Charte de 1814, comme dans tous les actes émanés du roi, la bienveillance et la générosité qui caractérisent la race des Bourbons; malheureusement les fruits de cette bienveillance seront empoisonnés par l'enveloppe, comme une liqueur précieuse est gâtée par le vase qui la renferme.

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DIX-HUITIÈME LETTRE.

OBSERVATIONS GÉNÉRALES SUR LA CHARTE.

Nous venons d'examiner en droit la doctrine constitutionnelle; nous allons actuellement examiner en fait la Charte de 1814.

D'abord, entendons-nous bien sur la nature de la Charte de 1814. La Charte constitutionnelle est - elle un contrat? est-elle une concession unilatérale? est-elle un règlement de l'autorité? est-elle une simple œuvre de raisonnement? Voilà quatre rapports qui ont des conséquences bien différentes : si la Charte est un contrat, elle est une loi conventionnelle pour les parties qui y ont contracté; si la Charte est une concession, elle est une obligation seulement pour la personne qui a concédé; si la Charte est un règlement donné par l'autorité, tous les Français doivent une obéissance passive aux ordres qui y sont renfermés; enfin, si la Charte est une œuvre de raisonnement, l'obéissance n'est plus un devoir, et chacun peut admettre ou rejeter la Charte suivant sa conviction. Ces conséquences sont claires, positives et faciles à saisir; cependant, comme la Charte participe à la fois de la nature des quatre rapports que nous venons d'indiquer, il devient difficile de s'entendre tâchons d'obtenir quelques idées nettes en considérant la Charte sous ces quatre rapports.

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DE LA CHARte envisagée comme conTRAT.

Vous avez vu dans ma Lettre VII, que le contrat social est une idée fausse, née du dogme de la souveraineté du peuple; vous avez vu que, par la nature des choses, il n'y a pas de contrat social possible. Un contrat, en effet, est une convention passée entre plusieurs personnes jouissant de la faculté de consentir, et pouvant exercer cette faculté : or, la faculté de consentir et son exercice n'existant pas chez l'être collectif appelé peuple, il est évident qu'il n'y a pas de contrat social possible la Charte n'est donc pas un contrat, et sans doute on ne voudra pas prêter au monarque le plus éclairé de l'Europe l'idée extravagante d'avoir voulu contracter avec un être de raison.

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Si le peuple français n'a pu contracter, la Charte n'est pas un contrat, et il s'ensuit qu'envisagée sous le rapport contractuel, elle n'a rien d'obligatoire pour les citoyens : car l'obligation résultant d'un contrat n'existe qu'à cause du consentement des contractans.

Cependant, il ne faut pas étendre cette maxime à tous les rapports de l'existence sociale : sans doute, quand il s'agit de convention, vous ne pouvez être engagé que par votre consentement: mais à l'égard des choses qui dépendent de la Providence et qui sont hors de votre puissance, votre consentement n'est plus nécessaire, et yous avez le sort commun de tous les êtres créés. Ainsi, pour vous soustraire à l'obéissance envers les lois de votre pays, il ne faudroit pas dire, comme font les révolutionnaires, que vous n'avez pas consenti ces lois; ces lois existoient avant vous, et vous êtes entré sous leur joug en entrant dans la vie : tout citoyen doit se sou

mettre à l'état social de la nation où le sort l'a jeté, comme il doit supporter la température du climat qui l'a vu naitre; l'une et l'autre obligations sont de droit divin, et, si l'homme vient au monde sans son consentement, c'est aussi sans son consentement qu'il se trouve citoyen d'un pays ou d'un autre

L'idée d'un pacte social a été imaginée par J. J. Rousseau, le plus grand écrivain du dernier siècle, et l'homme le plus égaré sur les matières sociales: mais, en prenant votre instruction dans les faits et non dans les abstractions, vous apprendrez que, loin qu'une nation ne puisse subsister, comme le dit Rousseau, sans un pacte social, jamais aucune nation du monde n'en a soupçonné l’idée. L'histoire nous fait connoître l'existence de beaucoup de peuples différens de mœurs, d'institutions, de législation; jamais aucun d'eux n'a rêvé qu'il eût besoin d'un contrat social pour exister; jamais non plus aucun roi, prince, empereur ou autre gouverneur de nation, sous quelque nom qu'il ait paru, n'a pensé que son devoir fût de faire un contrat avec le peuple qu'il étoit chargé de gouverner : c'est que, jusqu'à nos jours, les peuples et les rois ont toujours marché avec la Providence, et qu'aucun d'eux n'a voulu mettre sa raison à la place des décrets de cette Providence.

Si l'on ajoute à l'expérience négative de l'histoire, l'expérience positive de la révolution, on demeure convaincu du danger des contrats sociaux. Louis XVI laisse faire un contrat social; son trône est renversé, lui-même est supplicié, et la nation tombe dans l'anarchie la plus déplorable. Six contrats sociaux suivent celui de Louis XVI; tous deviennent tour à tour des causes de guerre et de désunion. En Italie, en Allemagne, en

Espagne, on fait des contrats sociaux; des troubles s'élèvent de tous côtés, les rois sont mis en fuite, les peuples sont dispersés, et les inventeurs du nouveau régime sont obligés eux-mêmes d'aller mettre à la raison leurs frères en constitution.

C'est donc un mensonge philosophique de dire que les sociétés ne peuvent subsister sans contrat, et c'est une vérité au contraire que partout où on veut parler de contrat social, il y a troubles et désordres : je vous ai démontré les causes nécessaires de ces troubles et de ces désordres.

La Charte de 1814, qui n'est point un contrat, a cependant été présentée aux Français sous ce rapport, et de là sont nées beaucoup d'idées fausses et dangereuses; la plus dangereuse de ces idées est celle qui a amené la nécessité de prêter serment à la Charte. Le jeu des sermens introduit avec le régime constitutionnel a jeté sur la France un fonds de corruption morale qui a empoisonné son avenir pour long-temps. Je vais vous donner quelques explications sur ce que c'est que le serment.

DIGRESSION SUR LE SERMENT.

Le serment est un acte religieux par lequel on prend Dieu à témoin, qu'on remplira une obligation que déjà la loi civile impose (1): remarquez bien que le serment est un accessoire et suppose une obligation préexistante; c'est le sceau que l'homme pieux met sur son obligation, mais ce n'est pas l'obligation elle-même : il faut distinguer entre le serment et la promesse; la promesse est l'obligation que vous contractez, le serment est un

(1) Est jusjurandum affirmatio religiosa. Cicéron, Offices, livre III.

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