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la façade ressemble à un palais; la superbe maison de la Charité, et le Collége. Cette dernière maison est immense, et renferme des beautés sans nombre. Les pères de l'Oratoire, qui l'occupent actuellement, ont fait élever, au-dessus de la partie des bâtimens qui donnent sur le quai, une superbe terrasse dont la vue se porte, d'un côté, sur les montagnes de la Savoie, et de l'autre, sur les Alpes. Cette terrasse longe la bibliothèque, un des plus beaux morceaux en ce genre; et c'est en cet endroit, que Monsieur, frère du roi, reçut les hommages de l'Académie établie dans le collége, en allant voir, il y a quelques années, Madame de Piémont sa sœur.

>> Pour vous donner, Madame, une idée de la bibliothèque des pères de l'Oratoire, voici ce que me racontait un de mes parens qui s'y trouva dans le moment où entrait un prince étranger. Au premier aspect, me dit-il, il me parut si frappé de la beauté du vaisseau que, comme il en témoignait sa surprise, le bibliothécaire, de son côté, lui témoigna la sienne, et lui dit qu'après avoir vu la bibliothèque du Vatican, il était élonné qu'on pût paraitre surpris de quelque chose dans le monde. « La bibliothèque du Vatican, reprit le prince, » est, à la vérité, ce que nous connaissons de plus beau » et de plus magnifique; mais celle-ci joint à un ton de >> grandeur qui ravit, une situation unique qui enchante.»> Vous ne croiriez pas, Madame, qu'en achevant de parcourir la maison des pères de l'Oratoire, j'entrai par hasard dans une grande pièce où je vis beaucoup de caisses,

* Depuis roi de France, sous le nom de Louis XVIII.

ces

et que j'y appris qu'elles renfermaient les machines de M. de Vaucanson, qui depuis long-temps y étaient en dépôt. Les ouvrages de ce grand mécanicien, dont le nom retentit dans l'Europe, ne pourraient-ils pas servir d'argument contre le système de ceux qui ont attribué une àmè aux bêtes ? Rappelez-vous, Madame marques de joie que donnait son canard, en battant des ailes lorsqu'on lui présentait la nourriture, la manière avide avec laquelle il avalait, et sa digestion parfaite. Or, si une machine telle que celle d'un canard de cuivre, rend toutes les sensations d'un animal vivant d'une manière aussi expressive, que n'a pu le grand machiniste par l'opération du sang qui influe sur les animaux de manière à leur prêter à nos yeux du sentiment, j'ose dire du raisonnement? Voilà, Madame, les réflexions que j'ai souvent faites à cette occasion. Vous savez que le fils du grand Racine a pensé de même, et vous m'obligeriez beaucoup de me faire part de vos idées à ce sujet : une conformité de pensée avec vous me flatterait infiniment.

Il n'y avait autrefois qu'un pont sur le Rhône; ce pont de pierre, qui est très-long, conduit à la route. du Dauphiné, et se trouve presque à l'extrémité de la ville. On vient d'en faire construire un nouveau sur le modèle de celui de la Tamise: il est en bois, et situé vers le commencement du quai. Ce bel ouvrage de M. Morand est digne de l'admiration des gens de l'art : il débouche, d'un côté, sur une promenade très-agréable qui embellit les sorties de la ville, et de l'autre, sur une rue qui mène à la place des Terreaux. C'est sur celte place qu'est bâti l'hôtel de ville, et le monument de l'abbaye de Saint-Pierre. Ce sont deux palais dont

la beauté et la richesse sont trop connues pour vous en entretenir. Je vous dirai seulement, Madame, que l'embrasement de la ville de Lyon, arrivé en 1647, est représenté à fresque sur les murs de l'escalier de l'hôtel de ville, avec une énergie qui cause un mou ́vement d'épouvante et de trouble. Ce morceau est de Blanchet, à qui l'on n'a certainement pas rendu toute la justice due à ses talens. Il fut l'ami de Lebrun; cela seul fait son éloge. Il est vrai que la fougue et la vivacité de son génie ont ôté à son pinceau cette correction qu'on pourrait désirer à ses ouvrages; mais le ton de vérité qui y règne, une large et belle touche, des expressions attendrissantes et une grande richesse de composition rendront toujours précieux les morceaux que nous avons de lui ils sont en très-grand nombre à Lyon, où il fixa sa demeure par reconnaissance. Il était né à Paris, en 1617, et il mourut en 1689, âgé de 72 ans. Son caractère aimable le faisait rechercher

:

'M. Crignon se trompe ici doublement : 1.° il n'y a point eu d'embrasement de Lyon en 1647; celui de 1674 dont M. Crignon veut sans doute parler, ne

consuma

qu'une partie de la façade principale de l'hôtel de ville, laquelle fut réparée et embellie depuis sur les dessins de Mansard; 2. ce n'est point cet incendie que Blanchet a voulu représenter sur le mur du grand escalier, mais bien celui de l'an 59, sous Néron, dont Sénèque nous a laissé une description si vive et si poétique dans sa 91.* épitre. Tout le monde sait par cœur cette phrase énergique de l'auteur latin: Una nox interfuit inter urbem maximam et nullam. Pour ne laisser aucun doute sur son intention, Blanchet a eu soin d'inscrire cette phrase dans un coin de son tableau.

B.

dans les sociétés, où il allait se dédommager de tous les déplaisirs que lui causait l'humeur bizarre de sa femme.

» On lit sur une des façades intérieures de l'hôtel de ville de Lyon cette fastueuse inscription dont je crois que le fameux Hypercritique est encore l'auteur :

Fulmineis Rhodanus qua se fugat incitus undis,
Quaque pigro dubitat flumine mitis Arar,
Lugdunum jacet antiquo novus orbis in orbe,
Lugdunumve vetus orbis in orbe novo.

Quod nolis alibi quæras, hic quære quod optes,
Aut hic, aut nusquam vincere vota potes.

>> En voici le sens plutôt que la traduction; car ces sortes d'ouvrages pleins d'antithèses, d'enflure et de jeux de mots ne sont guère supportables dans une langue sage et timide comme la nôtre.

>> Dans ces beaux lieux où le Rhône impétueux unit » ses rapides flots à la Saône lente et paisible, au con» fluent des deux rivières s'élèvent les murs du superbe >> Lyon; murs vastes dont l'immense contour fait res>> sembler cette ville antique à un monde nouveau. C'est » un monde en effet, et tout ce qui peut flatter et sa»tisfaire les désirs s'y trouve rassemblé. S'il est des >> biens que vous ne rencontriez point ici, vous les » chercherez en vain dans le reste de l'univers. »

« Vous préférerez sans doute à ces idées le tour

B.

Jules-César Scaliger. 'Scaliger n'est l'auteur que des deux premiers distiques le troisième est d'André Falconet, de Lyon. Voy. Arch. du Rh., tom. II, pag. 316.

B.

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flatteur du madrigal adressé, en 1754, par un célèbre, poète aux habitans de la même ville :

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Il est vrai que Plutus est au rang de vos dieux,
Et c'est un riche appui pour votre aimable ville.
Il n'a point de plus bel asile;

Ailleurs il est aveugle, il a chez vous des yeux.
Il n'était autrefois que dieu de la richesse ;
Vous en faites le dieu des arts.

J'ai vu couler dans vos remparts

Les ondes du Pactole et les eaux du Permesse.

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>> La beauté des édifices de la place des Terreaux ne pouvait, Madame, distraire mon esprit des scènes sanglantes qui y avaient été données sous Richelieu; elles étaient sans cesse présentes à ma mémoire. Je ne marchais qu'en frémissart sur un pavé où il me semblait voir dressé l'échafaud de ces deux illustres victimes qui devaient être les dernières immolées à la vengeance d'un ministre qui ne sut jamais pardonner. Le sang de Boutteville fumait encore et sa malheureuse épouse versait encore des lammes que rien ne pouvait tarir; compagne de l'infortunée duchesse de Montmorency, plongée comme elle dans le plus affreux désespoir : ces deux grandes âmes ne vivaient que d'un pain de douleur. La triste destinée des Marillac, le sort affreux de Saint-Preuil, l'arrêt de mort porté contre Vendôme les risques que courut Rohan, tant d'autres têtes proscrites ou mises à prix, tant de malheurs enfin dont la France entière gémissait, ne purent assouvir un ministre toujours altéré de meurtres: il fallait, pour

Voltaire. Voy. Arch. de Rh., tom. III, pag. 346.

B.

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