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HISTOIRE.

BAYART A LYON 1.

A peine âgé de dix-huit ans, Bayart 2 venait d'être mis hors de page, lorsque Charles VIII, parcourant son royaume, arriva à Lyon. Ce jeune monarque, récemment dégagé de la longue tutelle de sa sœur, Madame de Beaujeu, se livrait aux idées belliqueuses que se plaisaient à exciter en lui ses nouveaux favoris. Ils multipliaient autour de lui les joûtes et les tournois, exaltaient son esprit par de fastueuses comparaisons et le rapprochaient à dessein de l'Italie dont ils lui promettaient la conquête.

Durant le séjour du roi à Lyon, un gentilhomme de Franche-Comté, nommé Claude de Vaudrey, che

1 Cet article n'est qu'un extrait de l'Histoire de Pierre Terrail, seigneur de Bayart, etc., par M. Alfred de Terrebasse ; Paris, Ladvocat, 1828, in-8.o; mais il a été revu et corrigé par l'auteur qui y a ajouté quelques notes. Note des rédacteurs.

2 On a cru devoir rétablir cette orthographe d'après les signatures originales de Bayart, conservées à la bibliothèque royale ( Mss. de Béthane) et la remarque du président Salvaing de Boissicu: Bayartius, sic enim vocandus, non ul vulgò Bayardus. ( Salvagnii Silvæ, Grenoble, 1638, in-4.o, pag. 3 ).

Baius, bagus, baïardus se joignaient en basse latinité aux mots equus, caballus, roncinus, pour désigner un cheval bai on bayard, comme l'emploient dans ce sens les vieux auteurs français. D'après cette étymologie, il est aussi naturel de s'appeler Bayard que Bauf ou Cheval. Il faut en outre remarquer que la coutume qu'ont nos ouvriers, en quittant leur village, d'en prendre le nom, u'a pas peu contribué à multiplier les Bayard. On pense que la rectification orthographique que l'on s'est permise doit être adoptée, ne servit-elle qu'à distinguer Bayart de ses nombreux homonymes.

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valier de réputation et d'humeur guerrière, lui demanda la perinission d'ouvrir une passe-d'armes pour occuper les loisirs de la jeune noblesse. L'ayant aisément obtenue de Charles, que charmaient tous ces jeux, images et préludes de la guerre, il dressa l'ordonnance de sa joûte, et fit appendre son écu dans le lieu le plus apparent de la ville. Tout gentilhomme désireux de se mesurer avec lui, devait y toucher, et se faire inscrire par le roi d'armes à qui la charge en était confiée.

Bayart vint à passer avec un de ses amis, et les regards attachés sur ces écussons: « Mon Dieu, se dit-il >> en lui-même, si je savais comment faire pour figurer >> honorablement au tournoi, que volontiers j'y por>> terais la main ! » et il s'arrêta, absorbé dans ses réflexions. « Camarade, lui dit son compagnon, nommé » Bellabre, aussi de la maison du comte de Ligny, à » quoi songez-vous donc, et qui peut vous troubler >> ainsi ? Jugez-en vous-même, reprit Bayart. Le »> nouveau grade auquel vient de m'élever la bonté de » Monseigneur, me donne une furieuse envie de tou>> cher aux écus du sire de Vaudrey; mais où trouver >> ensuite équipement et chevaux? » — Quoi! répliqua Bellabre qui, un peu plus âgé, était d'un caractère tout résolu, «< n'est-ce que cela? n'avez-vous pas ici votre oncle, ce gros abbé d'Ainay, dont on dit la

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1 Ancienne abbaye de l'ordre de Saint Benoît, bâtie sur l'emplacement de l'autel que soixante cités des Gaules consacrèrent à Auguste, au confluent du Rhône et de la Saône, où plus tard Caligula institua des concours académiques dont les conditions, à la fois bizarres et cruelles, inspirèrent cette comparaison à Juvénal :

Palleat ut nudis pressit qui calcibus anguem,
Aut lugdunensem rhetor dicturus ad aram.

Guyard de Berville cite également ces vers qu'il attribue à Horace;

bourse bien garnie. Je fais vœu d'aller le trouver, et s'il ne veut financer de bonne grâce, d'emporter plutôt crosses et mitres ; mais il ne sera pas nécessaire d'en venir à cette extréicité; soyez certain qu'en apprenant votre dessein, il s'exécutera sur-le-clamp de grand arur. Il n'était pas besoin d'exciter beaucoup Bayart, et le voilà qui s'avance aussitôt et touche aux écus. Surpris de la hardiesse d'un si jeune homme, le roi d'arines, Montjoye, ne put s'empêcher de lui dire : Comment, Piquet 1 , inon ami, vous n'aurez Larbe de trois ans et vous prétendez joûter contre Messire Vaudrey, un des plus rudes joûteurs que l'on connaisse? - Montjoye, répondit Bayart, ce n'est ni par orgueil, ni outrecuidance, mais seulement par désir d'apprendre le inétier des armes à aussi bonne école, et de faire, avec l'aide de Dieu, quelque chose d'agréable aux dames.» Chariné de sa réponse à la fois hardie et modeste, le roi d'armes l'inscrivit en souriant.

La nouvelle se répandit aussitôt dans Lyon que Piquet avait toucbé aux écus du sire de Vaudrey; et le comte de Ligny, en l'apprenant, n'en eût pas voulu tenir dix

et cette inexactitude n'a pas même été corrigée dans les nombreuses reimpressions de sou Histoire de Bayart que l'on a faites depuis plus de cinquante aus.

1 Les surnoms et les sobriquets étaient fort à la mode à cette époque parmi les gens de guerre, comme ils le sout encore anjourd'hui. Voici à quelle occasion Bayart avait été surnommé Piquel. Un jour qu'il faisait mauœuvrer son cheval devaut le roi Charles, ce monarque qui ne se lassait point d'admirer l'adresse qu'il déployait dans cet exercice, lui cria: Mon ami, piquez, piquez encore un coup »; piquez, piquez, répétèrent à l'envi les pages de sa suite, et le surnom de Piquet en demeura à Bayart. Nous ferons remarquer en passant que le mot piquez se prononce ainsi (piquet) dans plusieurs provinces de la France.

mille karolus. Il courut la raconter au roi qui n'en fut pas moins ravi. « Par la foi de mon corps, cousin de Ligny, j'ai idée que cet élève vous fera quelque jour honneur. Nous verrons cominent il s'en tirera >>> 9 reprit le comte, « il est encore bien jeune pour supporter la lance de Messire Claude. »

Le plus difficile pour Bayart n'était pas d'avoir touché aux écussons, mais de trouver de l'argent pour s'équiper. « Mon cher Bellabre, dit-il à son camarade, il faut que vous arrangiez cette affaire avec l'abbé ; si mon oncle de Grenoble était ici, je ne serais point en peine d'avoir de lui tout ce qu'il me faudrait, mais il est actuellement à son abbaye de Saint-Sernin à Toulouse, et il n'y a plus assez de temps pour recevoir réponse d'aussi loin. Que cela ne vous inquiète, répondit Bellabre, demain nous irons parler à l'abbé, et je me fais fort d'en tirer bon parti.» Ces paroles remirent un peu le cœur à Bayart, qui toutefois ne dormit guère de la nuit. Les deux amis couchaient ensemble; ils se levèrent de grand matin, prirent un de ces batelets 2 qu stationnent le long des rives de la Saône, et se firent conduire à Ainay.

La première personne qu'ils rencontrèrent en débarquant dans la prairie, fut l'abbé qui disait son bréviaire

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1 Laurent Alleman, évêque de Grenoble, frère de la mère de Bayart. Magnæ pietatis præsul, priscorum Ecclesiæ patrum speci» men extitit. » Gallia christ. Sammarth., episcop. Gratianop., pag. 606.

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2 L'ancien historien de Bayart désigne ici positivement ces petits bateaux connus encore à Lyon sous le nom vulgaire de bé ches, et qui sont ordinairement conduits par une femme. Le mo béche, soit qu'il signifie outil de jardinage, ou, commc ici, batean, paraît dériver de bec, puisque c'est en effet avec une espèce de bec que la bêche coupe la terre ou fend l'onde.

avec un de ses religieux. Les deux amis le saluèrent respectueusement; mais celui-ci, déjà instruit de l'aventure de son neveu, se doutait de ce qui le menaçait, et il ne leur fit pas grand accueil. « Comment, petit garçon, dit-il à Bayart, il y a trois jours à peine que Vous êtes sorti de page, et vous avez eu la témérité de toucher aux écus du sire de Vaudrey. Je sais bien le châtiment que mériterait à votre âge un orgueil pareil. - Je vous jure, Monseigneur, reprit Bayart, que ce n'est point l'orgueil, mais le désir de suivre les honorables traces de vos ancêtres et des miens, qui m'a donné cette hardiesse. Je vous supplie donc, Monseigneur, n'ayant que vous de parent à qui je puisse avoir recours, de vouloir bien m'aider de quelque argent en cette circonstance. - Sur ma foi, reprit l'abbé, cherchez ailleurs quelqu'un qui vous en prête; les biens de cetté abbaye ont été destinés par ses pieux fondateurs au service de Dieu, et non à être dissipés en joûtes et en tournois. » Alors Bellabre prenant la parole, lui dit : << Monseigneur, ce sont les vertus et les prouesses de vos illustres aïeux qui vous ont fait abbé d'Ammay. Que le souvenir du passé vous engage à la reconnaissance envers ceux de votre lignage. Les bonnes grâces du roi et de notre maître, le comte de Ligny, peuvent mener loin votre neveu, ils ont applaudi à sa généreuse ar- · deur, et les deux cents écus dont vous l'aiderez, vousrapporteront de l'honneur pour plus de dix mille. »>

L'abbé, après s'être long-temps débattu, finit par consentir à faire quelque chose en faveur de Bayart. Il rentra dans l'abbaye, escorté des deux amis, et ouvrant ine petite armoire de son cabinet, il tira d'une bourse ent écus qu'il remit Bellabre, en lui disant : « Mon

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