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LES LÈVRES A L'ABEILLE.

Dis-moi, dis-moi, où vas-tu, diligente abeille ? quels soins te pressent de si bonne heure? L'aube matinale ne se montre point encore au sommet de la colline.

La rosée baigne encore les plantes que tu préfères; elle mouillerait tes ailes délicates.

Les boutons des fleurs, penchés sur leur tige, ne sont point encore épanouis à la douce haleine du zéphyr.

Mais tu voltiges, tu te fatigues, tu ne rallentis point ta course; où vas-tu, gentille abeille, errante au milieu de ces vastes campagnes ? où vas-tu avant l'aurore?

Tu cherches à cueillir du miel: ploie tes ailes, reposetoi, et je vais l'enseigner le plus bel endroit où tu en trouveras en abondance.

Tu connais celle que j'adore, ma chère Nicée; ses lèvres renferment le nectar et l'ambroisie des dieux; viens, viens sucer le miel si doux sur ces lèvres charmantes.

MÉLANGES.

Le Segraisiana, Amsterdam, 1723, contient, pag. 37 et suiv., quelques anecdotes sur un abbé Brigalier, aumônier de la duchesse de Montpensier, « qui dépensa » quarante mille écus pour devenir magicien, et ne » put en venir à bout. » Parmi ces anecdotes assez singulières, on remarque la suivante qui appartient à la chronique lyonnaise :

<< Tout le monde a cru à Lyon que l'abbé Brigalier avoit fait voir le diable en bonne compagnie; et il y eut bien des bras et des jambes cassés en cette rencontre. On ne peut pas mieux savoir cette histoire que je lą sais; il me l'a racontée lui-même. 1

» L'abbé Brigalier avoit donné jour à plusieurs dames et autres personnes de Lyon pour leur faire voir le diable. Le jour venu, il étoit fort embarrassé de quelle manière il s'acquitteroit de sa promesse ; et l'heure du rendez -vous s'approchoit, lorsqu'il rencontra dans la rue un petit gueux presque tout noir de l'ardeur du soleil. Il en eut de la joie, disant qu'il pourroit lui fournir le moyen de sortir de l'embarras où il étoit. Il lui demanda s'il vouloit gagner un écu. Le petit gueux répondit qu'il ne demandoit pas mieux, et ce qu'il falloit faire pour cela. L'abbé l'emmena chez lui et le rendit encore plus noir, en le faisant barbouiller de noir à noircir. Il y avoit en sa chambre un tableau qui représentoit le diable, lequel n'étoit pas trop élevé : il fit faire une niche derrière qui fut achevée en deux heures de temps, presque à l'heure qu'il avoit donnée; il y fit monter le petit gueux dans l'état qu'il l'avoit fait ajuster, et lui dit d'y demeurer jusqu'à ce qu'il fit un certain signal. Ceux qui devoient être du spectacle vinrent; et lorsqu'ils furent tous arrivés, l'abbé Brigalier se mit à faire quelques cérémonies, et donna le signal. En même temps le petit gueux poussa le cadre

Cette histoire eut sans doute lien en 1658, époque où la cour se rendit à Lyon, sous prétexte de négocier le mariage du roi avec la princesse Marguerité, fille du duc de Savoie. Voy. les Mémoires de mademoiselle de Montpensier.

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du tableau, se jeta en bas, courant à travers de la compagnie, et disparut à la faveur d'une tapisserie, en se jelant dans une porte qu'elle cachoit. Ce fut alors qu'il y eut des bras et des jambes cassés ; car tous les spectateurs étant épouvantés, comme on peut se l'imaginer, il y en eut qui se jetèrent par les fenêtres.... >>

HISTOIRE D'ARANTHÈS ET D'ASPASIE. 1

« Il y avoit autrefois à Lyon un monument ancien connu sous le nom de Tombeau des deux amans; la tradition n'avoit rien conservé sur ce sujet : le monument existoit; mais on ne savoit pourquoi il avoit été bâti; ce fut dans le dernier siècle qu'il fut détruit. Cette petite histoire que je viens de trouver dans les papiers anglois, en expliqueroit l'origine 2, si ce n'étoit pas plutôt un roman auquel le monument a donné lieu.

Aranthès étoit fils du gouverneur d'une des îles de la Méditerranée ; il avoit tous les avantages que peuvent donner la nature, la fortune et l'éducation. Aspasie étoit une dame grecque, belle au delà de l'expression, admirée de toute la jeunesse d'Athènes, qui étoit alors l'école de la politesse pour l'empire romain.

Leur mérite mutuel fit naître entre eux une estime réciproque qui devint bientôt une passion, ardente; ils

i L'Année littéraire, 1767, tom. III, pag. 332-6.

2 Cette origine est très-obscure, malgré les efforts qu'on a faits pour l'éclaircir. Il y a sur ce sujet mille et une conjectures dont presque aucune n'est plus sérieuse et ne mérite plus de confiance que le petit roman qu'on va lire.

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concurent tous deux l'espérance flatteuse d'être heureux en s'unissant par l'hymen. Aranthès reprit le chemin de son pays pour aller demander le consentement de son père; son voyage fut malheureux : un pirate le prit sur la Méditerranée, et le vendit dans les parties intérieures de l'Afrique, où il se vit condamné aux travaux pénibles de l'esclavage.

Pendant ce temps, Aspasie souffrit tous les tourmens de l'amour et de l'impatience. Deux années s'écoulèrent sans qu'elle reçût aucune nouvelle de son amant: on lui dit qu'il n'étoit plus; elle se livra au désespoir.

Le temps, qui calme les passions les plus violentes adoucit ses chagrins; de nouveaux amans se présentèrent; Aspasie obéit à ses parens, et consentit à passer en France avec un vieux marchand qui l'avoit choisie pour l'épouse de son fils: ce dernier trafiquoit alors en Afrique avec les habitans de ces barbares contrées. Les manières douces d'Aspasie charmèrent le vieillard; le fils qui revint bientôt, n'en fut pas moins enchanté.

Le jour de leurs noces fut fixé. Pour ajouter à la magnificence de la cérémonie, le jeune marchand fit présent à sa future de cinquante esclaves qui venoient d'arriver. Pendant qu'ils passèrent devant Aspasie, elle sentit tout ce que l'humanité peut inspirer à la vue de ce tableau de la misère humaine; mais quelle fut son émotion, quand elle reconnut, parmi ces infortunés son cher Aranthès qui tenoit les yeux attachés sur la terre! Elle poussa un grand cri et tomba sans sentiment entre les bras des femmes qui l'accompagnoient. Sa situation attira naturellement l'attention de tous ceux qui étoient présens. Aranthès leva les yeux; il revit l'objet de sa première passion, et courut préci

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pitamment à son secours : leur histoire fut bientôt sue de toute l'assemblée; le jeune marchand en fut touché et céda la belle Aspasie à l'heureux Aranthès.

Si cette histoire étoit un roman, elle finiroit à merveille; mais la vérité malheureusement allonge le récit. Les deux amans ne se ressouvenoient de leurs malheurs passés que pour mieux jouir de leur bonheur présent; l'hymen avoit augmenté leur tendresse. Un jour ils étoient ensemble à la fenêtre, oubliant l'univers entier ne s'occupant que d'eux-mêmes: un jeune homme poursuivoit des oiseaux, l'arc à la main, et passa devant eux; dans ce moment il crut trouver le moment favorable pour avoir sa proie; il tira une flèche qui vint frapper les deux amans: ils moururent ensemble de ce coup; ils furent mis dans le même tombeau ; on y lit encore leur épitaphe dans la ville de Lyon, quoiqu'il y ait environ mille ans qu'elle a été gravée sur le monument: elle explique leur constance mutuelle et la bizarrerie de leur destin. >>

M. E. C. D. A., en rendant compte dans le Bulletin des sciences historiques, etc., publié par M. de Férussac, tom. XII, pag. 311-313, d'un d'un ouvrage intitulé: Cours théorique et pratique de langue et de littérature française, par F. L. Rammstein, nouvelle édition, Vienne, 1828, 2 vol., in-8. relève quelques erreurs commises par l'auteur de cet ouvrage. Il en est une qui doit être aussi signalée dans les Archives du Rhône. «Nous lisons, « dit M. E. C. D. A., « (pag. 135 du tom. I.er), qu' à Paris, » à Lyon et à Bruxelles, on commence maintenant à » suivre, pour l'r final des verbes en ir, les mêmes

t. XI

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