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langueyeur de porc; et ces métiers étoient dès-lors exclusifs; on les appeloit des privileges. Les gens riches les achetoient par ́spėculation, et les revendoient avec avantage. Tel financier avoit dans son porte-feuille trente charges de perruquiers, qu'on lui achetoit chèrement du fond des provinces. Outre que cette basse spéculation altéroit le caractere d'un peuple où tout étoit à vendre jusqu'à l'honneur, puisque la noblesse étoit vénale, toutes ces créa tions de charges étoient des impôts indirects; car l'acheteur d'un office ne manquoit pas de se faire rembourser en détail par le public. Elle nuisoit à l'industrie, puisque, pour exercer un métier, il ne falloit pas avoir du talent, mais être déja riche, ou emprunter pour le devenir. Enfin, elle étoit une charge de plus pour l'état, qui payoit les gages ou les intérêts de chaque office qu'il avoit vendu. Le nombre en étoit énorme. Un homme qui fut chargé de les compter, et qui se lassa, les estimoit au-delà de trois cents mille. Un autre homme calcula que, dans l'espace de deux siecles, on avoit mis sur le peuple plus de cent millions d'impôts nouveaux, uniquecat pour payer les intérêts de ces charges

On l'a vu, lorsque l'assemblée constituante, tranchant toujours dans le vif et détruisant les abus par la racine, a ordonné le rembour sement des offices. Chaque jour en a vu sortic de nouveaux de l'obscurité; et l'on a prévu qu'il seroit impossible de les liquider qu'avec le temps.

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Tout ce qu'il y avoit d'un peu considèrąble dans le royaume vivoit de cette véna litė, puisque tout avoit été vendu. Chaque jour de nouveaux impôts, dont on masquoit le nom sous celui de droits, quoiqu'il n'y eût rien de moins droit et de plus inique, tom boient brusquement sur quelque objet de né cessité, et dérangeoient les fortunes de tous ceux qui vivent de leur travail. Cette partie de la fiscalité avoit aussi ses mysteres, qui n'étoient connus que des initiés ; et le peuple payoit toujours. Mais, par une longue durée et par l'accroissement de ces abus, il s'étoit formé dans la nation une nation particuliere et privilégiée; c'étoit la réunion de tous ceux dont les abus composoient la vie et l'existence. Elle vivoit aux dépens de l'autre. Mais sa coa lition inevitable empêchoit qu'on pût faire aucune réforme : le ministre qui l'auroit tentéa auroit été bientôt envoyé. M. Turgot, qui vou

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loit la faire toute à la fois, fut décrié et obligė de se retirer. M. Necker vouloit l'opérer avec le temps et insensiblement ; mais cinquante aus d'un ministere paisible, sans guerre et sans besoins, n'y auroient pas suffi. Cette prodigieuse tentative étoit au-dessus des moyens d'un seul homme il ne falloit pas moins que la nation entiere pour l'oser; et l'on a vu quels périls out courus l'assemblée constituante et la chose publique dans cet immense ébranlement. Quelle prodigieuse coalition, en effet, un ministre, un roi même auroient eue à combattre ! soixanre mille nobles ou ennoblis, qui tenoient tous les fils de la féodalité, et la foule de soudoyés qu'elle faisoit vivre les militaires, tous nobles, ou, ce qui est encore pis, prétendant l'être cent mille privilégiés, dont la prérogative consistoit à ne pas payer tel ou tel impôt : deux cents mille prêtres, inégalement fortunés, mais tous liés par un même systême, ne formant qu'un seul tout, dirigeant à leur gré la populace et les femmes, et accoutumés depuis mille ans à gouverner l'empire par l'opinion et les préjugés soixante mille personnes vivant de la vie religieuse, et dont plusieurs influoient puissamment sur le monde auquel ils avoient

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fait vou de renoncer: les fermiers-généraux, tous les agents du fisc, et leur armée de cinquante mille hommes, et cette multitude de gens qui occupoient des emplois jusques dans les plus petites villes, et leurs familles et leurs amis enfin la robe tout entiere; ces parlements rivaux des rois, c'est-à-dire de leur puissance, défendant ou sacrifiant le peuple pour leur agrandissement, et qui, de juges, aspiroient à devenir législateurs ; les cours in férieures qui leur étoient soumises; et cett nuée de gens de pratique, qui, tous ensemble, -levoient sur la nation un impôt dont l'imagi nation redoute le calcul. Cette masse effrayant d'hommes occupoit toute la France; ils l'enchaînoient par mille liens réunis, ils formoient la haute nation; tout le reste étoit lo peuple. C'est eux que l'on a vus depuis unir leurs voix et leurs clameurs contre l'assemblée nationale, parcequ'avec une audace et un courage sans exemple, elle a supprimé tous les abus qui composoient leur existence.

La réforme des finances étoit donc impossible à un seul homme; on ne pouvoit en essayer que l'administration, qui, dans la pénusie de l'état, n'étoit autre chose que l'art d'ima

giner les ressources les moins alarmantes. M. Joly de Fleury, qui succéda à M. Necker, imagina les dix sous pour livre et quelques droits sur les entrées de Paris. M. d'Ormesson vint après, et n'apporta dans le ministere que des vertus inutiles, et l'estime générale qui le suivit en sortant, et qu'il a toujours conservée depuis. Enfin M. de Calorine fut appelé.

L'opinion publique n'étoit pas pour lui. Cependant cette classe d'hommes confiants et faciles, qui ont besoin d'espérer et de se tromper, se flattoient que ce ministre nous tireroit du gouffre dans lequel nous étions près de tomber. Les esprits défiants et clairvoyauts prévirent qu'il perdroit la France. Cependant il s'annonça d'abord avec tant de jactance, qu'il éblouit tous les yeux. Personne ne réunissoit plus d'audace à plus de talents; il avoit, pardessus tout, celui de plaire et de séduire : c'étoit encore un grand mérite en France, et sur-tout à la cour. Mais cette cour avide et intéressée ne vouloit du ministre que des com plaisances et des dons; elle en fut servie atdelà peut-être de ses espérances. Toutes les demandes étoient accueillies; on n'entendoit parler que de pensions et de gratifications. L

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