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elle détruise les impressions qu'ont cherché à répandre contre la France les ennemis de la liberté. La postérité pourra seule être fustruite des causes secretes auxquelles il faut attribuer les évènements particuliers qui ont rempli le cours de la révolution, et l'ont accélérée : mais les causes générales datent de plus loin. Elle avoit été préparée par le cours des choses humaines; et la convocation inévitable des étatsgénéraux ne fit, en quelque maniere, que proclamer la révolution. Si quelque chose doit exciter l'étonnement des étrangers, c'est le bonheur avec lequel elle a été conduite au milicu du choc de tant de passions exaltées et de tant d'intérêts opposés. Vingt fois le vaisseau de l'état a paru devoir être submergé par la tempête, et vingt fois il a échappé au naufrage, fort de sa masse et de la prudence de ses pilotes. L'histoire de ces trois années mémorables nous présente une scene dramatique qui a eu son commencement, son milieu et sa fin. Les intérêts particuliers en ont formé les intrigues diverses, qui ont été déconcertées, qu par la grandeur du corps constituant, ou par a puissance et l'impétuosité de la nation elle même, jusqu'au jour où le roi, en acceptant

la constitution, a fait le dénouement de cette scene éclatante.

Quelques nuages se promenent encore sur le ciel de la France. C'est avec peine que les intérêts particuliers se voient obligés de céder à l'intérêt général, et la lutte inutile des privileges subsiste encore. La noblesse, dont la supériorité imaginaire n'existoit que dans l'opinion, se flatte d'exister toujours, quoique cette opinion soit détruite. Elle a tâché de res susciter l'esprit altier de la féodalité dans des temps où la féodalité n'étoit plus, et de porter les idées chevaleresques du douzieme siecle au milieu des lumieres du dix-huitieme. Ainsi les corps ne s'apperçoivent pas, en vieillissant, que leurs maximes vieillissent avec eux? et que, lorsque tout est changé autour d'eux, il faut qu'ils changent eux-mêmes ou qu'ils périssent. Comment de tels édifices pourroient-ils subsister, quand les étais de l'opinion publique ne les soutiennent plus ?

Le clergé cherche encore, dans une religion qu'on appelle de paix, des prétextes et des moyens de discorde et de guerre ; il brouille les familles, dans l'espoir de diviser l'état ; tant il est difficile à ce genre d'hommes

de savoir se passer de richesses et de pouvoir! Mais les lumieres, en se communiquant bientôt aux dernieres classes des citoyens, les affranchiront de la plus dangereuse de toutes les servitudes, l'esclavage de la pensée. Alors, ou les prêtres seront citoyens, ou l'on ne vou dra plus de prêtres.

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Tous ces pouvoirs abusifs, dont la barbarie des premiers temps et le despotisme des derniers avoient accru le nombre, ont disparu du milieu de nous. Ils s'appuyoient du despotisme du trône même, qui les avoit créés comme des instruments utiles à son autorité. Aussi ont-ils affecté, pendant deux ans un attachement hypocrite à l'autorité royale, dont ils se disoient les défenseurs; et les amis des privileges se sont dits les amis du roi. Mais l'hypocrisie n'a des succès que lorsqu'elle parle à la crédulité. Dès que Louis XVI consenti lui-même à ce que l'autorité royale fût restreinte, il ne leur est plus resté de prétexte; et l'on ne les a plus vu que s'agiter franchement pour reconquérir leurs propres privileges. Ils seront forcés néanmoins à ne plus vivre que ressouvenirs; car, malgré les mouvements particuliers qu'ils pourront exciter encore

de

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la masse de la France est assise, la constitution est faite, et le moment est venu où l'on peut écrire l'histoire de la révolution,

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LA NATION FRANÇOISE a été soumise, pendant plusieurs siecles, à des loix arbitraires qui pesoient à la fois sur la vie et sur la fortune. des citoyens. Le peuple, qui est tout dans les, p pays libres, et qui n'est rien dans les emplres despotiques, étoit asservi à un si grand. nombre de tyrannies particulieres, que sa plus pure substance se dissipoit en impôts, levés par la violence ou par l'adresse, ou par la superstition, ou par les privileges. Le roi de France lui seul levoit des impôts plus considérables que plusieurs grands princes de l'Europe réunis. Le clergé recueilloit sans frais le cinquieme du produit net des revenus territoriaux du royaume; il possédoit d'ailleurs des biens immenses, et ne fournissoit que des dons gratuits qu'il s'imposoit à sa volonté. Les droits avilissants de la féodalité donnoient à la noblesse un genre de revenu qui étoit un véritable impôt sur les campagnes et une source de vexations; et, quoique possédant des propriétés immenses, elle se croyoit dispensée de

contribuer aux dépenses publiques, dont le poids retomboit tout entier sur le peuple. Une foule de privilégiés et d'ennoblis avoient obtenu du pouvoir despotique ou en avoient acheté le droit de ne pas concourir aux dépenses de l'état. La vénalité des charges avoit rendu nécessaire la vénalité de la justice; et chaque différend entre deux hommes étoit encore un impôt contribution désastreuse, parcequ'elle ne décimoit pas le bien des plaideurs, mais que souvent elle l'emportoit tout entier.

Cependant la facilité apparente avec laquelle le peuple sembloit payer des impôts aussi considérables, encourageoit à en inventer de nouveaux. Les dépenses de la courétoient arbitraires, et la substance des peuples se dissipoit depuis long-temps en de fastueuses frivolités. Le trône étoit assiégé d'une multitude d'hommes avides et de femmes intéressées, auxquels on prodiguoit, sous divers prétextes, les trésors de l'état. Des

guerres ruineuses, entreprises avec légèreté, et souvent pour l'avantage seul de quelques individus, avoient accru, pendant deux regnes, la calamité publique. Des emprunts désastreux avoient successivement formé une dette immense; et la nation, effrayée de la situation des

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