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étant répandue dans Versailles, le peuple accourut pour être témoin de cette scandaleuse scene, qui néanmoins fut répétée trois jours après, dans un autre repas donné à l'hôtel des gardes du-corps: misérables folies qui alloient irriter la France entiere contre la cour et cinq ou six cents imprudents! La reine fut soupçonnée d'être à la tête du projet. Elle avoit donné des drapeaux à la garde nationale de Versailles; et celle-ci étant allée la remercier, la reine lui dit : « La nation et l'armée doivent être attachées, au roi comme nous le som«mes nous-mêmes. J'ai été enchantée de la

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journée du jeudi Ce jeudi étoit le jour du repas. On ne doutoit pas enfin qu'elle n'en eût été instruite à l'avance, et les esprits étoient déja mal disposés. On fút persuadé que la reine étoit à la tête du complot d'enlever le roi, ce qui auroit entraîné la guerre civile. Et lorsque quelques jours après, un député, c'étoit M. Pethion, dénonça cette orgie à l'assemblée nationale, un autre député l'ayant défié de siguer sa dénonciation, Mirabeau se leva, et dit qu'il signeroit dui, et qu'il donneroit des preuves, pourvu que l'assemblée déclarat

qu'aucune personne dans le royaume quelle qu'elle fût n'étoit inviolable, hors le roi.

On a vu avec quelle rapidité Paris entier étoit échauffé, soulevé, rassemblé, quand la chose publique étoit en péril. A la nouvelle du repas des gardes-du-corps l'émotion devint générale. On proscrivit toute autre cocarde que celle de la nation, et quelques étourdis qui en portoient une noire coururent risque de la vie. On s'écrioit que le complot étoit visible; que le mépris de la cocarde nationale et le refus de boire à la santé de la nation étoient une véritable déclaration de guerre; que l'apparition de beaucoup de chevaliers de S. Louis, et d'uniformes étrangers, et de cocardes d'une seule couleur, prouvoient le complot; qu'il étoit temps de terminer tant d'inquiétudes; et que puisqu'on vouloit enlever le roi pour le mettre à la tête d'un parti, il n'y avoit qu'à prendre le devant et l'amener à Paris. A ces mouvements se joignirent ceux du peuple, qui, lassé de souffrir de la famine, et persuadé que la présence du roi feroit cesser la rareté du pain, dont le projet de sa fuite étoit la cause, haitoit également de le posséder à Paris,

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Vouloir et exécuter furent l'affaire d'un jour. La faim fit sortir des fauxbourgs une multitude de femmes qui crioient qu'il falloit aller chercher le roi, et ce sentiment terrible de meres qui ne peuvent donner du pain à leurs enfants fut le mobile de cette journée. Rien ne put y résister. Elles se porterent à l'hôtel-de-ville, au milieu des hommes armés rassemblés sur la place. Des hommes déguisés en femmes étoient avec elles: elles forcent l'hôtel-de-ville pour y chercher des armes, et, avec un tumulte qu'on ne peut décrire,) , prennent ce qu'elles trouvent, ramassent des canons, les condui sent entraînent avec elles toutes les femmes qu'elles rencontrent, se mettent en marche, recrutant toujours à leur maniere; et l'on ignore quels auroient été leurs caprices tumultueux, si un citoyen, nommé Maillard, ne se fût mis à leur tête pour les corriger, les gouverner, les appaiser, les diriger avec un talent qui est au-dessus de tout éloge.

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Cependant les citoyens aussi vouloient amener le roi à Paris. Rassemblés en armes, ils exprimoient leur vou de maniere à être obéis, Les compagnies du centre, jalouses de garder le roi, joignoient le sentiment de leur amour.

propre offensé. En vain M. de la Fayette, que sembloit étonner cette idée de faire violence au roi, cherche à calmer ces mouvements; il est menacé lui-même. Il demande un ordre de la commune on lé lui donne, et il part. Nul pinceau ne peut déchire l'ivresse de Paris, voyant défiler ses milices, qui vont chercher et lui amener son roi. La capitale ne doutoit pas que ses peines ne fussent enfin terminées.

Les femmes, conduites par la faim, s'avançoient à Versailles; et Maillard', qui les goŭvernoit, les engagea, chose difficile, à ne se présenter qu'en suppliantes à l'assemblée nationale. C'étoit au moment où l'assemblée` insistoit encore auprès du roi, où elle attendoit l'acceptation tant retardée des articles Constitutionnels. Le roi accordoit son accession avec des remarques, et eu egard, disoit-il, aux circonstances alarmantes et aux besoins de l'état. Mais l'assemblée prétendoit qu'elle ne devoit attendre de lui que son acceptation. On disoit que cette accession prétendue avec ses clauses étoit une vraie protestation ; que les droits des peuples avoient existé avant les rois; que ce refus de les reconnoître devoit enfin engager l'assemblée à déchirer le voile

religieux qui couvroit cette grande vérité, quo l'autorité des rois est suspendue quand le souverain donne ses loix.

Maillard s'étoit ́ chargé de parler pour les femmes, afin de les empêcher de parler ellesmêmes. Son discours cut deux objets ; le manque de pain depuis trois jours, et le mépris de la cocarde nationale. I demande que les gardes-du-corps, qui en portoient encore une blanche, arborent celle de la nation; et, dans ce même instant, on lui porte, de leur part, une cocarde nationale; ce qui fit crier aux femmes Vive le roi et M M. les gardesdu-corps! C'est ici le moment de le dire; la plupart de ces militai es avoient été patriotes ; et leur faute devoit être attribuée sur-tout à leurs chefs, qui étoient courtisans, et à ceux de ce corps qui, arrivés depuis peu, n'avoient pas été témoins des crises, des travaux et du courage de l'assemblée nationale. L'assemblée envoya une députation au roi pour lui porter les représentations des Parisiens sur le manque de subsistances. Sa réponse fut telle que les citoyens pouvoient la desirer. Ce ne fut que sur les dix heures du soir qu'il lui envoya son acceptation pure et simple de la déclaration

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