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propriétés, sans distinguer le parti des propriétaires. L'assemblee nationale ordonna qu'il seroit fait des poursuites séveres, et accumula les mesures de force et de prudence pour met tre fin à ces désordres. Cependant les arrêtés du 4 août furent rédigés, la proclamation fut faite de l'acte solemnel qui abolit le régime féodal; et le clergé ayant abandonné ses dîmes à la nation, il lui fut promis un remplacement. Cet acte fut poté au roi par l'assemblée entiere, avec le titre de restaurateur de la libertó françoise. Le roi l'accepta, et il invita les députés à venir avec lui rendre graces à Dieu dans son temple des sentiments généreux qui régnoient dans l'assemblée.

LIVRE QUATRIEME.

LA France étoit comme un vaste chaos dans lequel tous les éléments de l'ordre subsistent encore et n'attendent que la main du créateur. Les pouvoirs étoient suspendus, les autorités méconnues, et les débris de la féodalité ajoutoient encore à ce monceau de décombres. Tout faisoit craindre que le royaume ne fût en proie à l'anarchie; et si c'étoit la crainte des bons citoyens, c'étoit l'espoir de ceux qui ne se lassoient pas d'espérer de ramener le despotisme. Mais un peuple qui a vieilli dans l'habitude de l'ordre en sent le besoin et ne peut plus s'en passer. Les propriétaires étoient tous armés, et ce fut le salut de la France; car cette classe d'hommes qui n'a rien à perdre et tout à gagner dans le désordre des révolutions, ne pouvoit se rassembler nulle part, crainte d'être réprimée. Les armes devinrent la passion d'un peuple naturellement guerrier. Paris leur donnoit un grand éclat par l'ordre et

dans la

Ja beauté de ses milices nationales; et cette émulation se répandant par-tout, la France étoit couverte de trois millions d'hommes revêtus de l'uniforme de la nation. Tous ces hommes devinrent les protecteurs des proprié tés et la véritable force publique ; et quoiqu'en plusieurs lieux ils aient causé eux-mêmes des désordres partiels, quoiqu'en d'autres les mécontents les aient employés pour arrêter la révolution, la totalité des gardes nationales forma dans le royaume une telle masse de résistance, que la France en fut sauvée. C'étoit la nation qui protégeoit la nation, et cette grande force étoit aussi une grande sagesse.

Au même temps te zele du bien public amena dins chaque municipalité des hommes disposés à sacrifier leur temps et leurs veilles à maintenir l'ordre et la tranquillité dans les villes et dans les campagnes. Ces deux forces réunies ont agi constamment par-tout, tandis que l'assemblée nationale élevoit insensible` ment le nouvel édifice de la législation. Chacun soutenoit l'ancienne maison en attendant que la nouvelle fût bâtie.

L'assemblée, délivrée pour quelque temps de la crainte des grands mouvements par les

quels on avoit tenté de tout bouleverser, s'occupa de la constitution. Elle arrêta la déclaration des droits, comme dans les fondements d'un édifice on dépose les titres du fondateur, et fixa les principes de la monarchie tels qu'ils étoient demandés par tous les cahiers, et tels qu'ils conviennent à un pays qui renferme vingt sept millions d'habitants sur vingt-six mille lieues carrées d'étendue. Mais lorsqu'on en vint à discuter la part que le roi auroit dans la législation et à calculer l'équilibre entre le monarque et le corps législatif, il s'établi une grande lutte dans le sein de l'assemblée nationale. D'un côté étoient ceux que l'habitude avoit formés à une tendresse aveugle pour le nom et la personne du roi, quel qu'il puisse être, et ceux qui se gouvernent par l'habitude et trouvent bien tout ce qui fut, et ceux qui pen soient que le roi est seul législateur, et ceux, enfin qui espéroient de regagner par le roi tout ce qu'ils avoient perdu par le peuple. De l'autre côté étoient ceux qui, effrayés ou seulement effarouchés de l'ombre même du despotisme, ne voyoient de sauve-garde à la liberté publique que dans la permanence du corps législatif, faisant les loix et les présentant à la sanction

du monarque. Alors une grande scission fut prononcée. Le président, du haut de sa place, voyoit à sa droite et à sa gauche les deux partis, et cette division passa dans tout le royaume.

Il doit arriver, dans un pays libre et instruit, que les discussions publiques du législateur deviennent l'objet des discussions du peuple: sans cette liberté le peuple n'auroit pas des représentants, il auroit des maîtres. L'assemblée agitoit cette question, si le roi pour roit, par un seul acte de sa volonté, arrêter une loi qui seroit portée par le corps légis latif, et si ce refus du roi dureroit à toujours. Ce refus s'exprime par ce mot latin usité en Pologne, veto, je m'y oppose. En général on étoit d'accord sur la nécessité de la sanction du roi, mais on différoit sur la durée de son refus. La discussion fut assez longue pour que tous les citoyens de l'empire, et sur tout ceux de Paris, pussent s'en occuper. Dans cette querelle, comme dans toutes les autres de cette nature, on préjugeoit l'avenir sur le présent; on se figuroit le roi arrêtant, par un refus sans motif, les dispositions les plus utiles au peuple, pour céder aux intriguos de sa cour ou aux intentions de ses ministres.

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