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Un arrêté du 29 avril 1828 a constitué, sous le nom de Grand Dépôt de la Préfecture de police, le bâtiment qu'on venait de construire dans la seconde cour à gauche, vis-à-vis le bureau des prisons. De ce bâtiment nous n'avons rien à dire, si ce n'est que c'est une affaire à recommencer. Conçoit-on qu'en 1828 on ait élevé une prison calculée pour deux cent vingt détenus des deux sexes, et qu'on n'y ait ménagé ni cour, ni préau, ni infirmerie, ni cantine, ni salle de bains! A cela, on répond que cette construction n'est que provisoire, bien qu'elle ait coûté 420,000 francs, et qu'on se réserve de faire beaucoup mieux lorsqu'on exécutera le plan magnifique des agrandissemens du Palais. Et puis, ajoute-t-on, on est toujours assez bien pour passer un jour ou deux. Étrange raisonnement! Parce qu'on n'a encore aucune preuve que vous soyez coupable, parce qu'il y a moitié à parier que vous serez acquitté, et un quart que vous serez renvoyé sans passer devant le jury ou les juges correctionnels, on se croit le droit de vous traiter infiniment plus mal que des forçats à perpétuité. On s'est beaucoup tourmenté de savoir si un homme comme Lacenaire avait dû souffrir deux secondes ou deux secondes et demie après le couperet tombé, et l'on ne s'est pas en

quis de savoir ce qu'avaient dû souffrir, pendant quarante-huit heures au Dépôt, des hommes comme MM. de Châteaubriand et Hyde de Neuville. C'est au mois de juin 1852 que cela est arrivé. M. de Châteaubriand accepta cette coupe amère le sourire du mépris sur les lèvres. M. Hyde de Neuville, lui, était furieux. Lorsque l'inspecteur général vint s'informer, de la part du préfet, si ces messieurs étaient bien et si par hasard ils ne désiraient pas quelque chose, ce contraste de mauvais procédés et de politesse dérisoire ne lui permit pas de se contenir: «< Monsieur, s'écria-t-il, allez dire à celui qui vous envoie que si, lorsque j'avais l'honneur d'être ministre du roi de France, son prédécesseur s'était permis de traiter un homme de ma sorte comme il me traite en ce moment, je l'aurais fait destituer dans les vingt-quatre

heures. >>

Nous avons dit que le Dépôt avait été calculé pour 220 détenus; dans les temps ordinaires la population varie de 80 à 120; en 1837, 22,129 individus y ont donné 68,545 journées de présence. Mais à l'époque des événemens de juin, on entassa jusqu'à 1,400 hommes debout dans les corridors et les escaliers, dont une partie encore haletante du combat et couverte de sang. C'était

horrible! Dès qu'on put se reconnaître, 800 de ces malheureux furent évacués sur la Conciergerie, où l'on put du moins les coucher sur la paille.

Ce sont là des temps exceptionnels, et ce n'est pas pour de pareilles circonstances que nous réservons nos critiques. Ne parlons donc du Dépôt que dans son état normal, nous aurons encore bien assez à reprendre. En 1832, 29,295 prévenus de délits et 3,580 accusés de crimes ont été acquittés dans toute la France. Voilà donc 32,875 individus que, dans sa sollicitude, l'administration avait cru devoir priver de leur liberté et que la justice du pays y a rendus. J'admets qu'il ne leur soit dû aucune indemnité, j'admets que ce système d'arrestation préventive soit un mal nécessaire, bien que je pense avec l'Instruction annexée à la loi du 29 septembre 1791, que : « toutes les fois qu'on peut suppléer à l'emprisonnement par une caution, l'humanité ordonne de le permettre et la justice doit en rendre grâce à l'humanité » (sur 20,000 prévenus de délits 300 à peine obtiennent leur liberté sous caution). Mais ces 32,875 individus, que la justice a depuis déclarés innocens, est-ce que l'administration ne leur devait pas quelques égards? est-ce qu'elle ne devrait pas au moins les loger,

les coucher, les nourrir aussi bien que les condamnés? Eh bien ! elle les entasse par 50 ou 60 dans des pièces étroites et dallées, dont les latrines font partie intégrante, elle ne les chauffe que depuis 1828, elle ne leur donne pour coucher que des paillasses infectes dont le nombre est souvent moins grand que celui des détenus. M. Delessert est le premier qui leur ait accordé les vivres ordinaires des prisons, avant lui ils ne recevaient par jour que 2/5 de litre de bouillon maigre.

Au milieu du jour, le Dépôt est propre, dit-on. Oui, de la propreté des cages du Jardin-desPlantes; 50 fois on y jette des seaux d'eau, et de demi-heure en demi-heure on arrose au chlorure de chaux. Mais il n'y a pas de visite de médecin à l'arrivée, mais on ne sépare pas les galeux de ceux qui ne le sont pas, mais quand un individu a mis le pied dans une salle commune, il ne peut plus obtenir la pistole, parce qu'à coup sûr il y apporterait de la vermine; mais la nuit, se figure-t-on un honnête homme au milieu de 50 voleurs, respirant les émanations de 50 corps que l'eau n'a pas touchés depuis six mois et dont quelques-uns n'ont jamais eu de chemise, mais les déjections de ces 50 individus accumulées pendant les nuits d'hiver de 14 et de 15 heures!

Etonnez-vous que les suicides soient plus nombreux au dépôt que partout ailleurs, proportion gardée, et qu'il y en ait eu trois en 1837.

Le Dépôt se compose d'une chambre de petits garçons, d'une chambre de petites filles, d'une salle commune d'hommes, d'une salle commune pour les filles publiques, d'une salle commune pour les autres femmes, de quinze pistoles de un à quatre lits et de trois cellules d'aliénés, qui servent à l'occasion de privé ou de cachot de punition pour les filles. Complice ou non de sa mère, comme dans les faits de mendicité, l'enfant l'accompagne, si elle le veut, toutes les fois qu'il n'est pas âgé de plus de neuf ans.

A cause de la courte durée du séjour au Dépôt, la pistole y est plus chère que dans les autres prisons; elle se paie 80 centimes les deux premières nuits et 60 les suivantes. Le Dépôt n'a ni cuisine ni cantine, les détenus font venir du dehors; toutefois, le directeur doit donner une livre de pain blanc, un quart de viande et deux décilitres de vin aux individus amenés en état de faiblesse ou d'inanition, ainsi qu'aux indigens qui n'obtiendront que le lendemain une feuille de route avec secours. Le Dépôt n'a ni chapelle, ni aumônier, ni infirmerie ni pharmacie. M. le doc

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