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dant quelle distance immense devrait les séparer! Contre les premiers, la société peut avoir des ven→ geances à exercer; contre les seconds, elle n'a qu'un droit, dans l'intérêt commun, celui de les priver momentanément de leur liberté.

La peine de mort est écrite si souvent dans le Code hébraïque, qu'il y reste peu de place pour la prison, et surtout pour une prison de condamnés. Des prisons égyptiennes, nous savons peu de choses, si ce n'est que les pyramides ont paru à quelques auteurs en avoir servi, aussi bien que de tombeaux.

Les Grecs en avaient de plus d'une sorte: d'abord les prisonniers de guerre, mêlés aux condamnés, travaillaient aux mines, et la petite lampe qu'ils portaient devant le front est devenue, en se poétisant, l'œil des Cyclopes; puis venaient les condamnés aux carrières, déjà moins malheureux, et enfin des prisons dignes d'un peuple civilisé, comme celle où fut renfermé Socrate, que nous voyons dans le Phedon, recevant une vingtaine de disciples, devisant avec eux et payant pour deux chambres pistole au geolier, dont il se loue fort, encore que celui-ci remplit aussi les fonctions de bourreau, du moins quant à la mort par la ciguë.

Chez les Romains on distinguait les carceres,

ou prisons proprement dites; les mala mansiones, qui correspondaient à nos secrets et quelquefois aussi à nos chambres de question; les lautumia, cachots taillés dans le roc et presque toujours au-dessous du sol: les condamnés y étaient étroitement enchaînés; les lapidicina, au contraire, étaient de vastes carrières qu'on avait cessé d'exploiter; toutes les issues en étaient fermées; les prisonniers y étaient libres de leurs mouvemens; on leur descendait leurs alimens par un soupirail, et ils ne voyaient leurs gardiens qu'à de rares intervalles, quand il fallait renouveler leurs vêtemens ou la paille qui leur servait de lit. Voilà d'affreuses prisons. Heureusement pour le nom romain, il en existait d'autres plus douces; il y avait même des prisons libres, lorsqu'un prévenu était autorisé à loger chez un sénateur ou autre magistrat qui répondait de sa personne. Enfin il arrivait aussi qu'un prévenu donnait sa parole de ne point sortir de sa propre maison et y restait ainsi aux arrêts simples pendant toute l'instruction de son affaire. Bien qu'en principe général, la loi romaine défendit la tenue en chartre privée, cependant dans certains cas le chef de famille pouvait mettre sa femme ou son fils en prison dans sa propre demeure, à plus forte raison ses

esclaves; le lieu où l'on renfermait ces derniers s'appelait ergastulum.

Si de nombreux squelettes enchaînés nous disent assez ce qu'étaient au moyen-âge les prisons des rois, des seigneurs et des villes, si aujourd'hui encore les plombs de Venise sont la honte de l'humanité, il faut convenir que les ecclésiastiques étaient parvenus à surpasser tous les autres dans leurs raffinemens barbares. Dès le 14me siècle, nous voyons dans les monastères de France ces prisons carceres duri dont le despotisme austroitalien a renouvelé la barbarie en même temps que le nom. « Qui huic pænæ addicti sunt, semper pereunt desperari, » dit à ce sujet l'archevêque de Toulouse au roi Jean (1350-64). Presque pas de couvent d'hommes ou de femmes qui n'eut un vade in pace; c'était un cachot souterrain creusé dans la pierre, d'où ceux qu'on y descendait ne devaient jamais sortir vivans. Quelques-uns y sont morts de faim, mais c'est là une exception; généralement on leur fesait parvenir de grossiers alimens à l'aide d'une corde et d'un panier.

A cette époque, on divisait les prisons en prisons royales, prisons de seigneurs et prisons d'officialités.

Il y avait inégalité entre les citoyens pour l'em

prisonnement ainsi que pour toute autre chose. Les habitans de Nevers, de St-Geniez en Languedoc, de Villefranche en Périgord, ne pouvaient être arrêtés, sauf le cas de flagrant délit, s'ils possédaient des biens-fonds suffisans pour assurer leur comparution en justice. Les Castillans, trafiquant ou voyageant en France, ne pouvaient être emprisonnés sans avoir été préalablement conduits devant le juge ordinaire. Enfin, le roi Jean avait, en 1350, conféré à la ville d'AiguesMortes un privilége tout spécial, à savoir que les femmes seraient séparées des hommes dans la prison et gardées par des femmes sûres. lly a un proverbe persan qui dit : « L'homme riche peut acheter plusieurs maisons, il n'a toujours qu'un estomac et ne peut dîner qu'une fois par jour. » Il paraît que les corps de métiers de la bonne ville de Paris étaient d'un autre avis sur les facultés digestives de la noblesse: le jour de la fête des drapiers, on faisait une distribution de pain blanc, de vin et de viande aux prisonniers du grand et du petit Châtelet, et il était écrit dans une note au réglement: « MM. les gentilshommes recevront le double. » Pareille distribution avait lieu le jour de Pâques pour le compte de la compagnie des orfèvres. De ce que devenaient les prisonniers.

pendant les trois cent soixante-trois autres jours de l'année, nul n'en prenait souci, non plus qu'aujourd'hui en Angleterre, où l'usage s'est conservé de les gorger de spiritueux et de nourriture en certains jours solennels, quitte à jeter la perturbation dans ces établissemens et à décupler pour une semaine au moins les punitions disciplinaires.

Au fur et à mesure des besoins, on avait pris en France d'anciennes forteresses et d'anciens couvens pour garder des condamnés ou des prévenus, et nous n'avions pas un seul bâtiment qui eût été construit spécialement pour cette importante destination. Louis XIV, qui bâtissait Versailles, et Louis XV, qui se vautrait au Parc-auxCerfs, avaient bien autre chose à faire qu'à s'occuper de prisons. Louis XVI, qui venait d'abolir la question, tourna une pensée pieuse vers ces séjours du crime et de l'infortune. Il fit de ses deniers des changemens pleins d'humanité à la Conciergerie, puis, le 23 août 1780, il acheta l'hôtel du duc de la Force pour y renfermer les détenus du For-l'Évêque et du petit Châtelet, qu'il avait fait abattre. Ainsi, le premier de nos rois qui s'occupa de prisons, devait être prisonnier, et cette Conciergerie, qu'il assainissait,

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