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ne croyons pas devoir soumettre à un nouvel examen. De ce que nous avons encore sous les yeux des exemples de fortunes scandaleuses faites dans les prisons du temps de la Révolution et de l'Empire, bon nombre de nos lecteurs s'étonneront du chiffre modique des appointemens des directeurs; d'autres penseront qu'ils se rattrapent sur les profits. Excepté le directeur de la Dette, qui triple au moins son traitement par des droits de greffe que la loi a tarifés, je défierais bien l'un de ces messieurs d'y ajouter impunément un centime.

Jusqu'en 1821, les geôliers ou concierges des prisons de la Seine, étaient, ce que sont encore les gardiens de nos prisons départementales, cantonnales et communales, des gargotiers et des loueurs de chambres en garni. Les mots ont eu à une époque quelconque une valeur rationelle; ainsi donc, à une époque quelconque, on a dû payer 10 francs une chambre particulière dans la prison, d'où nous sera venu le mot pistole. Bien des ordonnances et réglemens étaient intervenus pour restreindre dans des bornes étroites la cupidité des concierges des prisons de la Seine, lorsque, par son arrêté du 12 février 1821, M. le préfet de police leur enleva tout-à-fait la

pistole. A compter de cette époque le mobilier appartint à la Préfecture. Les prisonniers, toujours libres de faire venir du dehors les meubles qui pourraient tenir dans leur chambre ou dans la partie de local à eux concédé, purent louer ce mobilier d'après un tarif excessivement modéré. Tout détenu, prévenu ou condamné, qui veut prendre la pistole, obtient immédiatement une chambre ou partie de chambre séparée. L'administration lui fournit gratuitement une couchette ou un lit de sangle, une paillasse, un matelas, une paire de gros draps, une couverture; il paie par jour, pour chaque matelas (de 30 livres), en sus 3 centimes et demi.

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D'où il résulte que la pistole simple revient à 15 cent., par jour, soit 2 fr. 25 cent. par mois. Pas un tapissier ne voudrait l'entreprendre à ce prix, parce que pas un ne pourrait fournir des draps très blancs et très fins tous les vingt jours,

et les faire blanchir pour 21 cent. et demi,ce que paie l'administration au dépôt de Saint-Denis. Mais comme ces 15 cent. la constitueraient en perte, si le prévenu ne louait que pour un jour ou deux, il est obligé de prendre la pistole pour dix jours, et les condamnés pour un mois, payé d'avance. Si le prévenu reste moins de dix jours, 60 centimes sur sa consignation restent acquis à la maison. On a calculé qu'un mobilier de double pistole, rapportant à l'administration 111 francs 60 cent., lui coûtait 86 fr. 10 cent., et lui laissait par conséquent 25 fr. 50 cent. de bénéfice net. C'est là un bénéfice modéré et que ne pourrait faire aucun entrepreneur autrement placé.

Autrefois aussi les gardiens des prisons se chargeaient à forfait de la nourriture des prisonniers, ou du moins tenaient la cantine, c'est-àdire leur vendaient des douceurs. Il y avait à cela de graves inconvéniens, car, comme le dit Silvio Pellico: « Les geôliers qui tiennent cabaret ont horreur d'un détenu qui ne boit pas de vin. » L'arrêté de M. le préfet, du 9 mars 1821, a coupé court aux réclamations incessantes et souvent très motivées des détenus. Les vivres de prison et d'infirmerie avaient déjà été mis en adjudication. Il a été nommé dans chaque prison un can

tinier aux appointemens de 8 à 1,200 fr. Celuici achète, sur des bons signés du directeur, les vivres de cantine et autres objets de consommation; il les achète des adjudicataires qui en ont soumissionné l'entreprise; il les vend au prix d'un tarif arrêté par le préfet, affiché et connu des détenus, puis il verse chaque jour sa recette entre les mains du greffier. Ce tarif est tellement bas que, si l'administration y gagne quelque chose, ce n'est que parce qu'elle s'approvisionne en grand et par voie d'adjudication au rabais.

Les concierges ayant cessé d'être gargotiers et loueurs de meubles, ont pu reprendre les sentitimens qui conviennent à des fonctionnaires publics, et c'est pour les y rappeler davantage encore qu'un arrêté du 29 décembre 1823 leur a conféré le titre de directeurs.

Nous avons parlé des maladies physiques qui règnent dans les prisons; il nous reste maintenant à entretenir nos lecteurs des maladies morales, c'est-à-dire, des effets de l'emprisonnement sur le moral de l'homme. Il est bien entendu que nous parlons ici de cette peine exercée en commun, au moins pendant le jour, et non de l'emprisonnement complètement solitaire. L'Esprit Saint a dit : « Il n'est pas bon que

l'homme soit seul, » et nous sommes singulièrement de son avis; seulement nous ajouterions volontiers: « Il n'est pas bon que l'homme soit en prison. >>

L'esclavage, le fouet, la mutilation, la confiscation, ont disparu de nos Codes aussi bien que de nos mœurs; l'amende n'atteint que ceux qui la peuvent payer; l'échafaud se dresse rarement, grâce aux progrès de la raison publique; l'exposition, rare aussi, ne punit que les moins pervers d'entre ceux qu'elle frappe; il ne reste bientôt plus entre les mains de la société d'autre moyen répressif que la prison. Certes, nous ne voudrions pas l'en désarmer, et cependant, nous le répétons, il n'est pas bon que l'homme soit en prison, ou, pour rendre plus exactement notre pensée, l'homme n'est pas beau à étudier en prison.

Un des plus forts argumens en faveur de l'immortalité de l'âme se tire de son immense besoin d'exercice, de sa soif insatiable d'occupation et de bonheur; évidemment les limites du monde sont trop étroites pour cette céleste exilée; que sera-ce donc des limites d'une prison? Entre ces murs qui l'enserrent et la pressent, sous cette atmosphère étroite qui pèse si lourdement, l'âme

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