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veillans (les porte-clés d'autrefois); ils touchent 1,100 fr. et leur brigadier 1,400. Au-dessous se trouvent des garçons de service à 900 fr., enfin des auxiliaires ou détenus qui, moyennant 6 fr. par mois, se chargent des services d'infirmerie et des gros ouvrages de la maison. N'oublions pas un cantinier de 8 à 1,200 fr., une lingère à 600, une fouilleuse à 400, enfin un barbier à 120 fr. par an, qu'on appelle invariablement M. Figaro, et qui n'est jamais le personnage le moins curieux de la maison.

Que tous les fonctionnaires dont nous venons de parler soient à la seule nomination de M. le préfet de police, et qu'il les destitue à sa volonté, rien de mieux, puisqu'il se repose sur eux d'une partie de son immense responsabilité. Mais devrait-il en être ainsi des médecins ? Quelle garantie offre aux détenus en particulier, et à la société en général, un médecin qui ne doit sa position qu'au choix d'un préfet, lequel, ne pouvant tout faire par lui-même, subit nécessairement l'influence des protecteurs ou des commis?

Quand il a un aumônier à nommer (6 à 700 fr. de traitement), M. le préfet s'entend avec M. l'archevêque; pourquoi ne s'entendrait-il pas avec un corps savant, l'Académie de médecine par

exemple, quand il s'agit de nommer un médecin? Pourquoi la place ne serait-elle pas mise au concours? Pourquoi M. le préfet ne serait-il pas restreint dans son choix aux seuls médecins admis au bureau central des hôpitaux ? Le médecin et l'aumônier ne sont pas et ne doivent jamais être des hommes de police; il ne serait donc pas mal qu'ils présentassent à la confiance des détenus d'autres titres que la faveur du préfet. Si l'on se rappelle l'ordonnance, naguère ressuscitée, sur les devoirs des médecins et chirurgiens, on peut n'être pas sans crainte sur des choix ainsi faits. Et qu'on ne se figure pas que nous écrivions ici en haine des personnes, que nous voulions faire allusion à tel docteur plutôt qu'à tel autre; nous voyons les choses de trop haut pour cela, et c'est précisément parce que nous rencontrons parmi les médecins des prisons de la Seine des noms infiniment honorables, que nous voudrions voir leur brevet frappé d'un autre cachet que de celui de la police.

Un traitement annuel de 6 à 800 fr. est tout à fait insuffisant, surtout pour ceux des médecins qui pratiquent les grandes opérations de chirurgie. Que dirons-nous donc d'un ou de deux adjoints qui non seulement remplacent le titulaire en

cas d'absence, mais qui généralement font concurremment le service avec lui sans aucune rétribution? Il y a là une indigne parcimonie dans le budget des prisons.

Hâtons-nous de dire que cependant le service médical s'y fait avec autant de zèle que d'humanité, et qu'en général l'état sanitaire y est trèssatisfesant. Nous ne voudrions faire de la prison un séjour désirable pour personne, mais il y a dans le public des erreurs que nous devons relever. De ce que l'homme n'a certainement pas été créé pour y vivre, on s'était imaginé qu'il devait y avoir des maladies de prisons. Les anciens auteurs et de nos jours Fodéré et Villermé placent au premier rang les rhumatismes, les catarrhes opiniâtres, l'anasarque (enflure démateuse du corps), le scorbut et les fièvres endémiques. Par une erreur commune, on prenait ici les circonstances contingentes à la prison pour la prison elle-même. Ces maladies sont celles qu'amènent un air vicié, une habitation humide, le défaut d'exercice, l'insuffisance ou la mauvaise qualité des alimens; elles ont disparu à mesure que nos prisons se sont assainies; elles tenaient non à l'emprisonnement lui-même, mais à la manière dont cette peine était exécutée. D'un relevé mi

nutieux que nous avons fait pour plusieurs années, il résulte que nos prisonniers n'ont qu'un homme sur dix à l'infirmerie. Et qu'on ne s'effraie pas encore de cette proportion, car infirmerie n'est pas rigoureusement ici synonyme d'état de maladie; le soldat va dix fois plus volontiers à l'hôpital que l'officier ne garde la chambre; un prisonnier demande l'infirmerie quand un ouvrier libre ne songerait pas à quitter l'atelier.

D'incontestables améliorations ont eu lieu depuis 1832 dans nos prisons; eh bien! dès cette époque, le choléra y a trouvé les habitans dans des conditions hygiéniques meilleures que dans les trois quarts de la ville et que dans tous les hôpitaux. Il s'y est fait à peine sentir, et on le savait si bien que des malheureux du faubourg Saint-Antoine sont venus chercher à la Force un refuge et des soins qui ne leur ont pas fait faute.

Nous devons ces détails et ceux qui suivent à M. Jacquemin, qui poursuit dans les prisons de la Seine une carrière que son père avait tant honorée. « Je ne connais plus, nous disait ce savant modeste, que deux maladies dominantes chez nous la gale et l'aliénation mentale. La gale, nous l'avons vaincue: deux cents malades en étaient atteints quand je suis entré ici; voilà

ma feuille de service, nous n'en avons plus que huit. L'aliénation mentale, elle frappe surtout les hommes énergiques. Je ne prétends pas excuser mes pauvres malades, mais j'ai toujours aimé à penser que les grands criminels n'étaient bien souvent que de grands fous. On a tué Papavoine et quelques autres comme on tuerait des chiens enragés. La société a eu peur, c'est bien; mais alors elle aurait dû les envoyer à l'abattoir, et ne pas déployer l'appareil de la loi contre des êtres qui n'étaient pas ses justiciables, puisqu'ils n'avaient plus de raison. On ne commettrait pas aujourd'hui de ces boucheries d'aliénés. Outre l'énergie en excès qui se rencontre chez beaucoup de nos prisonniers, il faut tenir compte de la vie qu'ils ont menée avant d'entrer dans nos maisons. Peut-être, au moment où ils ont paru devant les tribunaux, l'aliénation mentale n'existait-elle encore chez eux qu'en un germe qui se développe ensuite. Je le répète, nous avons beaucoup d'aliénés que nous évacuons, après enquête et contre-enquête, sur Bicêtre; mais depuis que j'exerce, je ne me rappelle pas un seul cas de folie véritablement contractée dans la prison. »

Rien n'est tenace comme une idée qui a pu être vraie autrefois, et qu'une fois admise nous

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