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plus de trente mille hommes, et l'ennemi l'appeloit, par mépris, la grand'garde de Postdam. Chap.CXII. L'avis de Daun, qui jugeoit que le manque de vivres et la rigueur du temps forceroient le roi de Prusse à se retirer, fut rejeté comme trop timide. Le prince Charles, ayant quitté son camp de Breslaw, alla en avant, et prit poste près de Lissa. Le 4 décembre, Frédéric s'empara de Neumarkt, qu'occupoit un corps de troupes légères; et le 5, au matin, il fit ses dispositions. pour engager une action. L'avant-garde ayant mis en déroute un corps de troupes saxonnes, posté à Born, l'armée prussienne s'ébranla. Le roi courut avec ses Hussards vers une chaîne de tertres boisés, qui étoit parallèle au front des Autrichiens, et de ce point il examina leur position. Connoissant parfaitement la nature du terrain sur lequel il avoit fréquemment exercé ses troupes, il résolut de diriger son attaque principale contre la gauche de l'ennemi, qui commandoit le reste des lignes. En un instant l'ordre du déploiement des colonnes prussiennes fut renversé. (1) Le prince Charles qui s'étoit imaginé que l'attaque seroit dirigée contre sa

(1) Il paroît que l'idée de cette belle manoeuvre a été suggérée au roi de Prusse par celle que fit Epaminondas à la bataille de Leuctres. Frédéric l'avoit rendue familière à ses troupes. Œuvres posthumes, tom. III, p. 257.

Chap.CXII

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droite, y avoit fait venir plusieurs corps de troupos et sa réserve. Daun, lui-même, quoique plus circonspect, prit le mouvement des Prussiens pour une retraite ; et dit au prince : « Ces gens>> ci s'en vont, laissons-les faire. » (1) Mais le roi, qui occupoit la chaîne des tertres avec ses Hussards, pouvoit observer les mouvements de l'ennemi, à qui il étoit impossible de rien voir des siens. Le flanc gauche des Autrichiens étoit déjà tourné avant qu'ils s'en fussent aperçus. Le prince Charles tenta vainement de renforcer son aile gauche. Nadasti, qui commandoit cette partie de l'armée, après avoir chargé avec vigueur la cavalerie prussienne, plia et laissa l'infanterie à découvert. Les généraux autrichiens voulurent former une ligne parallèle à celle des Prussiens; mais ils en furent empêchés par une batterie qu'on dressa sur une hauteur qui commandoit leur position. Ils rallièrent plusieurs fois leurs troupes et disputèrent le terrain avec opiniâtreté. Ils firent un dernier effort dans le village de Leuthen, qui étoit environné de retranchements, et qui fut disputé long-temps. Les Autrichiens en furent délogés à la fin. Cependant ils se rallièrent encore derrière les fossés. Une partie de la cavalerie prussienne les ayant alors pris en flanc sur la droite, les mit dans un désordre

(1) Euvres posthumes, tom. III, p. 238.

irréparable. Des bataillons entiers furent anéan

tis ou faits prisonniers; et le reste de l'armée Chap.CXII. s'enfuit par les ponts de la rivière de Schweidnitz.

Le nombre des Autrichiens, ou morts ou blessés, s'éleva à sept mille, et celui des prisonniers à vingt mille. Cent trente-quatre pièces de canon, cinquante-neuf drapeaux, tout le bagage et la caisse militaire, tombèrent entre les mains des Prussiens, qui ne perdirent pas plus de cinq mille hommes, tués et blessés. Breslaw capitula le 10; et dix-sept mille six cent trente-cinq soldats, avec six cent quatre-vingt-six officiers et treize généraux, furent faits prisonniers de guerre. Lignitz éprouva bientôt le même sort; et Schweidnitz, la seule forteresse que conservassent les Autrichiens, fut bloqué par les vainqueurs. (1)

La fin de la campagne fut partout malheureuse pour les alliés. Les Russes, après leur victoire de Jagersdorf, abandonnèrent subitement toutes leurs conquêtes, à l'exception de Memmel, et se retirèrent au-delà de leurs frontières. Les Prussiens purent alors diriger leurs efforts contre les Suédois, que non-seulement ils chas

(1) Histoire du Règne de Marie-Thérèse ,p. 151. Euvres posthumes, ch. VI. - Archenholtz, p. 70.Warnery, p. 239. Military Miscellany. - Daun's

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sèrent de la Poméranie prussienne, mais qu'ils obligèrent à chercher un refuge sous le canon de Stralsund.

Après la journée de Rosbach, le maréchal de Richelieu sortit de Magdebourg avec précipitation, et se replia sur le Hanovre. Le duc de Cumberland s'étoit retiré en Angleterre, laissant au prince Ferdinand de Brunswick, qui avoit étudié l'art de la guerre à l'école de Frédéric, le commandement des auxiliaires à la solde de la Grande-Bretagne. Les affreuses exactions de Richelieu dans le Hanovre, (1) et ses efforts pour désarmer les Hanovriens et les Hessois, fournirent un prétexte de rompre la capitulation de Closter-Severn, qui n'avoit été ratifiée ni par la France ni par l'Angleterre. Le prince Ferdinand n'eut aucun égard aux ordres du duc de Brunswick, son frère, qui lui redemandoit ses troupes, et favorisa, par une contrainte simulée, l'ardeur belliqueuse de son ne→ veu. Le landgrave de Hesse-Cassel rompit aussi

(1) Archenholtz, Histoire de la Guerre de sept ans, p. 60, a tracé un tableau affligeant des exactions qui ont été commises par ordre du maréchal de Richelieu; et le nom que le public a donné au pavillon si connu, que ce général a fait élever à son retour, n'a vengé que foiblement les malheureux habitants du Hanovre.

(Note du traducteur.)

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ses négociations avec la France, et renoua ses engagements avec la Prusse et l'Angleterre. En conséquence, les troupes auxiliaires furent de nouveau rassemblées à Stade. Ayant été renforcées par un corps de troupes prussiennes, elles chassèrent les Français de presque tout le duché de Lawenbourg, et d'une partie des domaines de la maison de Brunswick; mais l'époque avancée de la saison les empêcha de pousser plus loin leurs avantages, et les deux armées prirent leurs Décembre. quartiers d'hiver, les Français dans l'électorat, et les auxiliaires dans le duché de Lunebourg. (1)

Telle fut la fin de cette campagne singulière et mémorable, qui, par le grand nombre de combats importants qu'on y a livrés, par les efforts prodigieux de talents qu'on y a faits, par la variété des événements et les surprenantes révolutions de fortune qui l'ont signalée, est peutêtre la plus remarquable qui soit retracée dans l'histoire. On y voit les Autrichiens, d'abord accablés par l'habileté supérieure des Prussiens, se relever, et obtenir des succès qui passent toutes leurs espérances; on y voit quarante mille hommes de troupes auxiliaires réduits à l'inaction, et peu s'en faut prisonniers de guerre; on y voit les Français maîtres de tout le pays qui

(1) Opérations de l'armée des alliés, commandée par le prince Ferdinand de Brunswick.

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