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et d'opinions. Nous disons principalement, car nous sommes bien éloigné de proscrire tous les ouvrages dont nous ne parlons pas dans notre mémorial. Si nous nous sommes borné à l'essentiel, nous n'en convenons pas moins que parmi les auteurs du second et du troisième ordre, il en est d'estimables dont les travaux regagnent en utilité ce qui leur manque en mérite littéraire. Il y auroit injustice à leur interdire l'entrée d'une bibliothèque, même choisie; et de plus, nous ne disconviendrons pas qu'il nous est arrivé d'en citer plusieurs. Les seuls livres que l'on doit proscrire sont ceux qui attaquent la Religion, qui blessent les mœurs, qui tendent à troubler l'État, et ceux que la futilité du sujet ou le mauvais style rendent au moins inutiles; le reste peut être accueilli avec plus ou moins d'empressement. D'ailleurs, on sait que grossir son trésor est, pour celui qui a le goût des livres, un désir, un besoin, une occupation de tous les instans, et qu'il ne seroit pas facile de le circonscrire dans un cercle trop étroit. Malgré cela, nous persistons dans l'opinion qu'une collection bornée aux ouvrages capitaux serą toujours préférable à toute autre. C'est ce que nous avons tâché de démontrer dans l'ouvrage que nous publions. Heureux si nous pouvons convaincre de cette vérité ceux qui ont la

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noble passion des livres, et surtout ceux qui se sentent du penchant à l'avoir! Il en résulteroit un double avantage : le nombre des ouvrages mauvais ou inutiles diminueroit nécessairement, et l'on ne verroit plus que des bibliothèques vraiment précieuses, que la jeunesse inexpérimentée pourroit aborder sans danger et consulter avec fruit.

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DU CHOIX DES LIVRES.

PREMIÈRE PARTIE.

De la nécessité de faire un choix dans l'innombrable quantité de livres qui existent; sur quels ouvrages doit porter ce choix; et quels sont les motifs qui doivent le déterminer.

Le goût des livres, si rare avant le seizième siècle, est maintenant tellement répandu que l'on ne trouve presque pas une seule maison jouissant d'un peu d'aisance, qui ne possède une bibliothèque plus ou moins volumineuse. C'est la preuve que depuis près de quatre cents ans qu'existe l'art de l'imprimerie, le nombre des acquéreurs de livres, soit par besoin, ou par goût, soit par manie ou par ostentation, a toujours été en proportion des produits de cet art. Nous disons acquéreurs et non pas amateurs, car s'il n'y eût jamais eu que de vrais amateurs, c'està-dire, des hommes d'un goût sévère, des savans profonds, des amis éclairés de la saine littérature et de la solide instruction, il est bien présumable que

l'immense quantité de livres répandus dans toutes les parties du monde civilisé ne seroit pas aussi considérable (1), et surtout que l'on seroit moins dans le cas d'appliquer à presque toutes les collections littéraires ce que Martial (Ep. 17, lib. 1) dit à juste titre du recueil de ses épigrammes:

Sunt bona, sunt quædam mediocria, sunt mala plura.

(1) Le curieux, dont nous avons parlé dans notre première édition, pag. vj, qui s'étoit occupé à chercher ce que nous appelions la pierre philosophale, c'est-à-dire, le nombre approximatif des livres qui ont été mis sous presse depuis l'origine de l'imprimerie, jusqu'à 1817, a revu ses calculs et les a continués jusqu'à 1822, en les appuyant de notices historiques assez intéressantes. Voici l'exposé sommaire de son travail, qui nous paroît plus curieux qu'utile. Il a d'abord puisé dans Maittaire, Panzer et les autres auteurs qui ont travaillé sur les éditions du XV.e siècle, et y a trouvé un aperçu de 42,000 ouvrages imprimés de 1436, ou plutôt 1450 à 1536. Voilà pour le premier siècle. Passant ensuite au dernier siècle (de 1736 à 1822), qui doit lui servir de base pour les calculs des deux siècles intermédiaires, et se servant des renseignemens que lui ont fournis, sur le nombre de tous les ouvrages publiés dans ce dernier siècle, les journaux littéraires, les grands catalogues de librairie, ceux des foires d'Allemagne, l'excellente bibliographie de la France, etc., etc.; il a calculé par approximation que depuis quatre-vingt-six ans, c'est-à-dire, depuis 1736, on a pu imprimer en totalité environ 1,839,960 ouvrages : voilà pour le dernier siècle. Restent les deux siècles intermédiaires qui vont de 1536 à 1736. Ici les données étoient plus incertaines; aussi notre calculateur a établi des proportions progressives de vingtcinq ans en vingt-cinq ans, qui ont eu pour premières bases les produits du premier et du dernier siècle, et pour secondes bases les événemens civils, politiques et religieux qui ont pu, de temps en temps, donner plus d'activité à la presse, comme nous l'éprouvons en France depuis plusieurs années; de sorte qu'il a trouvé pour le second siècle, 575,000 ouvrages; et pour le troisième,

Il y a du bon, passablement de médiocre et beaucoup de mauvais. Puisque la littérature prise en général offre malheureusement un tel amalgame, il faut donc nécessairement faire un choix ; et l'on conviendra, d'après l'influence que l'étude et la lecture ont sur le goût, sur les opinions, sur le raison

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1,225,000. Ainsi les quatre siècles typographiques donnent le ré sultat suivant :

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4.e siècle de 1736 à 1822 (incomplet.) 1,839,960 id.

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Voilà donc pour les quatre siècles un total de 3,681,960 ouvrages imprimés dans les différentes parties du monde. Notre amateur suppose que chaque ouvrage, terme moyen, peut être évalué à trois volumes, ce qui nous paroît un peu trop fort; et il porte le tirage aussi, terme moyen, à trois cents exemplaires pour chacun. Il en résulteroit qu'il seroit sorti de toutes les presses du monde jusqu'à ce jour, environ 3,313,764,000 volumes; mais selon lui, les deux tiers au moins de cette masse énorme ont été détruits, soit par un usage journalier, soit par des accidens, soit par l'impitoyable couteau de l'épicier ou de la beurrière, qui, semblable au glaive d'Hérode, fait chaque jour main - basse sur tant d'innocens. Il ne nous reste donc plus pour nos menus plaisirs, dans toutes les bibliothèques publiques et particulières du monde, que 1,104,588,000 volumes. Notre calculateur ajoute que si tous ces volumes auxquels il donne, terme moyen, un pouce d'épaisseur, étoient rangés les uns à côté des autres, comme dans un rayon de bibliothèque, ils formeroient une ligne de 15,341,500 toises, ou de 7,670 lieues (de poste).

Nous ne présentons ces résultats que pour ce qu'ils valent, les considérant plutôt comme un jeu d'esprit que comme un calcul sé

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