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est dans les ouvrages des SS. Pères. Quant à l'histoire, elle a été traitée d'une manière si diffuse et si confuse dans le moyen âge, par les Grégoire de Tours, les Bede, les Turpin, les Alcuin, les Eginhart, les Nithard, les Villehardouin, les Joinville, les Froissard, les Monstrelet, les Gaguin, etc., qu'on ne peut considérer leurs écrits que comme des matériaux informes. Cependant nous dirons que Joinville enchante par la naïveté de son style, et certainement sans lui nous ne connoîtrions pas dans un aussi grand détail toutes les vertus et toute la grandeur d'ame de Saint Louis.

L'aurore de la littérature moderne a été plus brillante chez l'étranger qu'en France; le plus beau poëme moderne honoroit déjà l'Italie, que le feu sacré couvoit encore chez nous sous la cendre ; et le fou; gueux Milton esquissoit en traits de feu la chute du prince des ténèbres (1), que les premiers chefs-d'œuvre de la littérature française commençoient à peine à éclore. Nous n'avons conservé des écrits des premiers temps de la renaissance des lettres en France, que quelques vers du naïf Marot, quelques passages du plaisant Rabelais, des pensées du vigoureux Montaigne, quel

(1) La première édition du Paradis perdu parut en 1667, et ne contenoit que dix chants. Ce poëme eut alors si peu de succès, que le libraire, pour faciliter la vente de cette édition, fut obligé d'y mettre de nouveaux frontispices en 1668 et 1669. On sait depuis quel a été l'enthousiasme des Anglais pour ce poëme vraiment sublime. La plus belle édition qui en ait paru est celle de Londres, W. Bulmer, 1794-97, 3 vol. gr. in-fol. fig.

ques satires de Regnier, et quelques strophes de Malherbe. Les noms de Balzac (1) et de Voiture ne sont plus mentionnés que dans les fastes du bel esprit. Enfin, nous arrivons au siècle de Louis XIV : Pascal et Corneille ouvrent la carrière du génie, et une foule d'illustres émules dans tous les genres se précipitent sur leurs pas. Voyez avec quelle grandeur, quelle dignité s'avancent dans le sanctuaire des lettres un Bossuet, un Bourdaloue, un Fénélon, un Larochefoucauld, un Labruyère, un Boileau, un La Fontaine, un Racine, un Molière, une Sévigné, un Fléchier, un Regnard, puis ensuite un Massillon, un J.-B. Rousseau, un Rollin et un Crébillon, qui lient le grand siècle au siècle suivant. Celui-ci place au premier rang Voltaire, Montesquieu, J.-J. Rousseau et Buffon. On peut encore citer, quoique dans un rang inférieur, l'aimable Bernardin de SaintPierre, le savant Barthelemy, et l'abbé Delille dernier anneau de cette chaîne brillante dont malheureusement l'or de quelques chaînons est mêlé d'un funeste alliage.

Voilà donc dans toute la littérature à peu près une soixantaine d'écrivains distingués, qui offrent, non pas tous dans leurs œuvres complettes, mais dans un choix de leurs productions, des chefs-d'œuvre en

(1) Il faut cependant convenir que Balzac, malgré son enflure et ses phrases ambitieuses, fut le fondateur de l'harmonie de la prose, comme Malherbe le fut de celle des vers. Nous ne parlons ici que de l'harmonie, et non pas de la force, de la correction et du génie de la langue, car alors nous aurions cité Pascal.

tous genres, dont les véritables amateurs se sont tou-> jours empressés de faire la base de leur bibliothèque. Il est certain qu'en matière de goût, on peut s'en tenir à peu près là (1), et si l'on vouloit augmenter le nombre de ces auteurs comme modèles, il nous semble que ce ne seroit guères que multiplier des échos, et l'on sait que le propre de l'écho est de répéter les mêmes sons en les affoiblissant. Ainsi, avec trois à quatre cents volumes, on pourroit se composer la collection la plus précieuse qu'un amateur puisse posséder, sans crainte de choquer aucune opinion littéraire.

Quant aux connoissances bibliographiques, toujours subordonnées aux connoissances littéraires dont elles ne sont que l'accéssoire, elles ne peuvent et ne doivent être que d'un intérêt secondaire dans le choix des livres, à moins que l'on ne soit attaqué de

(1) Pour confirmer, par une autorité du plus grand poids, ce que nous avançons ici, nous citerons le savant et profond auteur des Mélanges littéraires publiés en 1819, 2 vol. in-8. Il dit positivement, tom. II, p. 570 : « Les chefs-d'oeuvre de la littérature ancienne, seuls ouvrages qu'il soit nécessaire à l'homme de goût d'étudier et de retenir, sont en assez petit nombre; et les productions d'un rang inférieur, plus capables de corrompre le goût que propres à le former, traduites, imitées, citées dans nos cours de belles-lettres, pour ce qu'elles ont de meilleur, sont reléguées au fond de nos bibliothèques, d'où l'idolâtrie de quelques commentateurs a fait de vains efforts pour les exhumer. Il faut bien se persuader qu'il n'y a à la longue que les chefs-d'œuvre qui surnagent sur le fleuve d'oubli, et c'est ce qui doit nous faire envisager avec moins d'effroi le prodigieux accroissement des productions littéraires et scientifiques. » M. DE BONALD.

cette funeste maladie appelée bibliomanie, c'est-àdire, de cette passion aveugle qui fait tout sacrifier au futile plaisir de posséder exclusivement certains livres et certaines éditions. Que l'on se pénètre bien de cette vérité, que l'impression et la reliure d'un volume, quelque belles, quelqu'élégantes qu'elles soient, ne sont à l'ouvrage que ce que l'écorce et les couches ligneuses sont à la sève de l'arbre; et les arbres les plus beaux à la vue ne portent pas toujours les fruits les plus agréables et les plus sains.

Ce n'est cependant pas que s'attachant exclusivement au mérite intrinsèque d'un ouvrage, il faille en négliger le matériel extérieur, c'est-à-dire, la partie typographique. Au contraire, nous pensons qu'il est de la plus grande importance de toujours rechercher les éditions les meilleures, les plus correctes et les mieux imprimées; car, ainsi que le dit le sage Rollin, «une belle édition qui frappe les yeux, gagne l'esprit, et, par cet attrait innocent, invite à l'étude. » C'est ce que l'on éprouve surtout quand on a le bonheur de rencontrer ces excellentes éditions d'auteurs anciens, si recherchées des amateurs. Il n'y a pas de doute que la beauté d'une impression très soignée contribue à faciliter l'intelligence du texte, et semble en insinuer le sens avec plus de charmes et de développement dans l'esprit du lecteur.

Des connoissances bibliographiques sont donc utiles à l'amateur; mais, comme nous l'avons dit, elles doivent céder le pas aux connoissances littéraires. D'ailleurs, le choix des éditions n'est pas aussi diffi

cile que le choix des livres ; celui-ci est un talent qui ne s'acquiert qu'à la longue; il ne peut être que le résultat de principes fixes, d'excellentes études, de lectures immenses et de connoissances profondes et variées; au lieu que le choix des éditions n'exige guère que des yeux et un peu de goût. En quoi consiste une belle édition? Dans la netteté d'un beau caractère, et dans sa proportion avec le format; dans une sévère correction qui conserve le texte et chaque mot en particulier, dans toute leur intégrité, et l'orthographe dans toute sa pureté ; dans l'élégante disposition du frontispice, des titres de chapitre, des notes, etc.; dans une justification (longueur des lignes) qui ne soit ni trop grande ni trop petite; dans de belles marges; dans l'uniformité du tirage, et surtout de la couleur de l'encre qui, ni trop noire ni trop pâle, doit être de la même nuance pour toutes les pages; enfin, dans la beauté et la solidité du papier. Il n'est pas difficile au premier coupd'œil de voir si ces diverses conditions sont remplies. Au reste, le nom de certains imprimeurs est une garantie à cet égard : les Aldes, les Étiennes, les Elzevirs, les Cramoisy, les Wetstein, les Foulis, les Baskerville, les Ibarra, les Didot, les Bodoni, les Mussi, les Crapelet, et beaucoup d'anciens imprimeurs de Paris, se sont attiré l'estime de l'Europe savante par la beauté et la bonté de leurs éditions ; on ne risque donc rien de donner la préférence à celles qu'ils ont publiées. Et parmi les éditeurs de collections curieuses et intéressantes, on distinguera

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