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le cerveau, et revenons à ces végétaux sains et nutritifs dont s'alimentoient nos pères ; c'est-à-dire, revenons à ces bons ouvrages qui exercent agréablement et utilement l'esprit, qui respirent la vertu, fortifient le cœur sans l'enivrer, et donnent du ressort à l'ame sans l'égarer dans les tourbillons d'u-, ne perfectibilité chimérique, qui recommandent ce sublime précepte de l'Évangile, l'amour de Dieu et du prochain, qui font sentir les avantages de la soumission aux lois et au prince, de la modération dans les désirs, de l'union entre les frères, et qui ne s'opposent point à la jouissance des plaisirs licites. C'est parmi des livres de cette nature qu'il faut faire un choix, et se borner à un petit nombre, si l'on veut acquérir une instruction solide et se préparer dans la société une réputation honorable. Car il arrive souvent que la réputation n'est point étrangère aux livres dont on fait ordinairement sa lecture, ou plutôt à la manière dont on compose sa bibliothèque. Richardson dit dans Clarisse : « Si vous avez intérêt de connoître une jeune personne, commencez par connoître les livres qu'elle lit.» M. de Maistre, dans ses Soirées de S. Pétersbourg, tom. 1, pag. 139, donne plus de développement à cette pensée : « Il n'y a rien de si incontestable, dit-il en citant ce passage, mais cette vérité est d'un ordre bien plus général qu'elle ne se présentoit à l'esprit de Richardson. Elle se rapporte à la science autant qu'au caractère; et il est certain qu'en parcourant les livres

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rassemblés par un homme, on connoît en peu de temps ce qu'il est, ce qu'il sait et ce qu'il aime. »

Nous ne pouvons donc trop insister sur la nécessité de borner le goût que l'on peut avoir pour les livres, à un choix sévère d'excellens auteurs, et qui ne soient pas très nombreux. Mais, diront quelques amateurs peu sévères, dans une bibliothèque assortie ne faut-il pas un peu de tout? Oui sans doute, mais de tout ce qui est bon; car, si vous admettez quelques-unes de ces productions infernales dont nous avons parlé plus haut, ou quelquesuns de ces livres médiocres qui, sans être dangereux, sont à-peu-près inutiles (1); votre bibliothè

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(1) Dans tous les temps, mais surtout dans la littérature moderne, ces sortes d'ouvrages à-peu-près insignifians ont été très multipliés; c'est l'ivraie qui, dans nos vastes dépôts littéraires, étouffe la moisson. D'où provient cette malheureuse fécondité? De ce que l'on ne réfléchit pas assez sur la difficulté de faire un bon livre, et de ce qu'on se fait auteur sans se douter de tout ce qu'il faut posséder pour mériter ce titre. « Si l'on examinoit avant de prendre la plume, dit un célèbre critique moderne, bien de qualités sont nécessaires pour composer, je ne dis pas un excellent ouvrage, mais seulement un ouvrage raisonnable, je suis persuadé que l'on ne s'engageroit que bien rarement dans une entreprise aussi difficile. Il ne suffit pas de s'écrier dans un beau transport: Et moi aussi, je suis auteur, et de se mettre aussitôt à écrire; ce n'est que par une longue suite d'études sérieuses et de méditations profondes, que l'on peut espérer de se placer au rang des bons écrivains. Tel homme a l'esprit vif et le jugement sain, de l'impétuosité et de la chaleur dans la conversation; il lui échappe de ces traits vifs et brillans qui surprennent et éblouissent; il a même écrit des pages qui sont admirées. Tel autre a une vaste mémoire; il a long-temps étudié les anciens, il a séché sur les scoliastes; il a lu tous les historiens, tous les poëtes, tous les

que ressemblera à une table bien servie, où parmi de bons mets il s'en trouvera plusieurs dépourvus d'assaisonnement, quelques-uns saupoudrés de coloquinte, et d'autres infectés de poison. Quel honnête homme, sous le prétexte d'offrir un peu de tout, oseroit donner un pareil festin? Qui oseroit assister? Rien de plus naturel que cette comparai

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orateurs; il vous dira juste en quel endroit se trouve tel hémistiche grec ou latin; à propos d'un mot très simple en lui-même, il citera vingt auteurs dont lui seul connoît les noms; mais cependant, que ces deux hommes d'une tournure d'esprit si différente, essaient de composer un livre, on sera tout étonné de voir que le premier soit devenu si froid, si empesé, et que l'autre, avec son immense érudition, n'ait pu parvenir à écrire deux phrases qui eussent de la suite et de la liaison.

Ce qu'il y a de plus difficile dans un ouvrage, c'est l'ensemble, c'est le ponere totum dont parle Horace. Sans cette idée première à laquelle tout vient se rattacher, sans cette disposition savante de toutes les parties, qui forme un tout bien ordonné, on ne parviendra jamais à composer un ouvrage pour la postérité. Il faut du génie pour concevoir un plan dont les proportions soient aussi nobles que régulières; il ne faut que du travail et de la patience pour exécuter ces compilations immenses, dont la vue seule épouvante les plus intrépides lecteurs; aussi quelques auteurs se sontils fait une grande réputation avec un petit nombre de volumes, tandis que d'autres qui ont écrit des in-folio énormes, sont à peine connus aujourd'hui.

Il en est de même des ouvrages d'imagination. Si on n'a pas un plan bien fixe, bien arrêté; si on ne s'est pas proposé un but bien déterminé, on marche au hasard sans savoir ni d'où l'on part, ni où l'on doit arriver; mille exemples en font foi. Combien ne voyous-nous pas de nouveaux poëmes dont les auteurs n'étoient certainement pas sans talens? Mais ils se sont perdus au milieu de leurs épisodes et de leurs descriptions, parce qu'ils n'avoient point tracé d'avance la route qu'ils devoient suivre. »

que

les

les excellens

son, car dans tous les temps on a reconnu que livres sont à l'ame ce que les alimens sont au corps (1); le poison moral n'est pas moins corrosif que le poison matériel; si l'effet n'en est pas quelquefois aussi prompt, aussi apparent, il n'en est pas moins aussi réel et plus pernicieux, parce que ses ravages s'étendent plus loin et durent plus long-temps: On auroit grand tort de croire que livres n'offrent pas assez de ressources dans tous les genres. Il n'y a pas une seule branche des connoissances humaines qui ne soit enrichie de très bons ouvrages; il est vrai que leur nombre est circonscrit en comparaison de celui des médiocres et des mauvais; mais ce nombre, tout circonscrit qu'il est, excède encore beaucoup nos besoins. D'ailleurs on sait combien il est avantageux de ne pas trop dévorer de

(1) Je citerai à cette occasion un bon mot du duc de Vivonne: Louis XIV lui demandant ce que la lecture faisoit à l'esprit : « Sire, répondit le duc, ce que vós perdrix font à mes joues. » La fleur de la santé brilloit sur son visage. Ce duc étoit très spirituel, et avoit la repartie vive et fine.

On prétend qu'à la cour de Louis XIII, les quatre personnages les plus remarquables par leurs saillies et leurs bons mots, étoient le prince de Guémenée, Bautru, le comte de Lude et le marquis de Jarzet.

Boileau-Despréaux, parmi les personnes de son temps en qui it reconnoissoit un esprit supérieur, citoit le prince de Conti (mort en 1709), le marquis de Termes, Bossuet, Bourdaloue, l'abbé de Châteauneuf, protecteur du jeune Arouet nommé depuis Voltaire, et d'Aguesseau, très jeune alors, puisqu'il est mort en 1751. Il étoit procureur-général vers la fin de la vic de Boileau, et depuis a été chancelier.

volumes; Pline dit avec beaucoup de sens: Multum legendum esse, non multa; on connoît aussi cet autre adage fondé sur l'expérience: Cave ab homine unius libri; et Hobbes, qui savoit très bien que la lecture d'un grand nombre de volumes n'est pas ce qui contribue à l'instruction, disoit plaisamment en parlant de quelques savans de son temps: « Si j'avois lu autant de livres que tels et tels, je serois aussi ignorant qu'ils le sont. » Au reste que l'on consulte la plupart des gens qui se sont illustrés dans la carrière des lettres, des sciences, de la magistrature, et même de la guerre, on apprendrà d'eux-mêmes qu'ils né se passionnoient pas pour un grand nombre d'ouvrages; ils choisissoient ce qui leur paroissoit le meilleur, selon le précepte de Pline le jeune : Tu memineris sui cujusque generis auctores eligere, et ils s'en tenoient là.

De tous les anciens, celui qui a donné les meilleurs avis à cet égard, est Sénèque, dans la deuxième et la quarante-cinquième de ses épîtres à Luci lius. (1) « La lecture de beaucoup d'ouvrages de différens genres, dit-il, offre quelque chose de vague

(1) Lectio omnis generis voluminum habet aliquid vagum et instabile. Paucis libris immorari et innutriri oportet, si velis aliquid trahere quod in animo fideliter hæreat. Lectio certa prodest, varia delectat. Qui vult pervenire quò destinavit, unam sequatur viam, non per plures vàgetur. Librorum inopiam quereris : non refert quàm multos habeas, sed quàm bonos. Distrahit animum librorum multitudo. Itaque cùm legere non possis quantum habueris, sat est habere quantum legas. Modd, inquis, hunc

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