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militaire, vous demandez une loi de proscription contre les citoyens qui vous déplaisent, sous le nom d'ostracisme. Ainsi vous ne rougissez plus d'avouer ouvertement le motif honteux de tant d'impostures et de machinations; ainsi vous ne parlez de dictature que pour l'exercer vous-mêmes sans aucun frein; ainsi vous ne parlez que de proscriptions et de tyrannie, que pour proscrire et tyranniser; ainsi vous avez pensé que, pour faire de la Convention nationale l'aveugle instrument de vos coupables desseins, il vous suffirait de prononcer devant elle un roman bien. astucieux, et de lui proposer de décréter sans désemparer, la perte de la liberté et son propre déshonneur! Que me reste-t-il à dire contre des accusateurs qui s'accusent euxmêmes?... Ensevelissons, s'il est possible, ces méprisables manœuvres dans un éternel oubli. Puissions-nous dérober aux regards de la postérité ces jours peu glorieux de notre histoire, où les représentants du peuple, égarés par de lâches intrigues, ont paru oublier les grandes destinées auxquelles ils étaient appelés. Pour moi, je ne prendrai aucunes conclusions qui me soient personnelles; j'ai renoncé au facile avantage de répondre aux calomnies de mes adversaires par des dénonciations plus redoutables. J'ai voulu supprimer la partie offensive de ma justification. Je renonce à la juste vengeance que j'aurais le droit de poursuivre contre mes calomniateurs. Je n'en demande point d'autre que le retour de la paix et le triomphe de la liberté. Citoyens, parcourez d'un pas ferme et rapide votre superbe carrière. Et puissé-je, aux dépens de ma vie et de ma réputation même, concourir avec vous à la gloire et au bonheur de notre commune patrie! »

Louvet voulut répliquer, mais il ne put obtenir la parole. Barbaroux se présenta à son tour pour dénoncer Robespierre. « Il signera sa déclaration, il la gravera sur le marbre, dit-il. On refuse également de l'entendre. Il descend à la barre pour soutenir son accusation en qualité de péti

tionnaire et réclame la faculté que l'on accorde à tout simple citoyen. Un grand tumulte s'élève dans l'Assemblée. Une voix s'élève dans le bruit : « Si Robespierre était pur, il demanderait la parole pour ses adversaires! » Barère propose de décréter l'ordre du jour, motivé ainsi qu'il suit: << Considérant que la Convention nationale ne doit s'occuper que des intérêts de la république, etc. » « Je ne veux pas de votre ordre du jour, s'écria Robespierre, si vous mettez un préambule qui me soit injurieux! » La Convention adopte l'ordre du jour pur et simple, après avoir voté l'impression du discours de Robespierre; et le soir, les Jacobins célébrèrent le triomphe de Robespierre. Robespierre dit dans ses Lettres à ses commettants, en rapportant les incidents de cette séance de la Convention que « sa justification fut éclatante et le triomphe de la vérité complet. »

L'instruction du procès du roi devant la Convention fut commencée dans la séance du 7 novembre, par un rapport de Mailhe présenté au nom du comité de législation. Des débats qui se prolongèrent pendant plusieurs séances, s'engagèrent d'abord sur cette question : le roi peut-il être jugé? Ce fut dans la séance du 30 novembre, à l'occasion d'une discussion sur les moyens de rétablir la tranquillité publique, que Robespierre opina pour la première fois dans le procès « Je demande qu'au sein de cette Assemblée reviennent pour jamais l'impartialité et la concorde; je demande de proposer un moyen sûr de confondre les complots de tous les ennemis de la Convention nationale, c'està-dire de tous les partisans du royalisme et de l'aristocratie!... Ce moyen, le voici. Je demande que demain le tyran des français, le chef, le point de ralliement de tous les conspirateurs, soit condamné à la peine de ses forfaits. Je demande à prouver en dix minutes que tant que la Convention différera la décision de ce procès, elle réveillera toutes les factions; elle ranimera toutes les espérances des amis de la royauté. Après demain vous concilierez les droits

de la propriété avec la vie des hommes, vous prononcerez sur les subsistances; le jour suivant vous poserez les bases de toute constitution libre. Alors tous les ennemis de la liberté tomberont à vos pieds! Mais étouffons les petites passions, car c'est là que nous donnons le signal de la discorde. »

Séance du 2 décembre. Discours sur les subsistances. Robespierre repousse la théorie de la liberté absolue dont les auteurs, dissertant plus sur le commerce des grains que sur la subsistance du peuple, n'ont mis aucune différence entre le commerce du blé et celui de l'indigo. Si les denrées qui ne tiennent point aux besoins de la vie peuvent être abandonnées aux spéculations les plus illimitées du commerçant, la vie des hommes ne peut être soumise aux mêmes chances. Nul homme n'a le droit d'entasser des monceaux de blé à côté de son semblable qui meurt de faim: « Quel est le premier objet de la société? C'est de maintenir les droits imprescriptibles de l'homme. Quel est le premier de ces droits? celui d'exister. La première loi sociale est donc celle qui garantit à tous les membres de la société les moyens d'exister; toutes les autres sont subordonnées à celle-là; la propriété n'a été instituée ou garantie que pour la cimenter; c'est pour vivre d'abord que l'on a des propriétés. Il n'est pas vrai que la propriété puisse jamais être en opposition avec la subsistance des hommes. Les aliments nécessaires à l'homme sont aussi sacrés que la vie elle-même. Tout ce qui est indispensable pour la conserver est une propriété commune à la société entière. Il n'y a que l'excédant qui soit une propriété individuelle et qui soit abandonné à l'industrie des commerçants. Toute spéculation mercantile que je fais aux dépens de la vie de mon semblable n'est point un trafic, c'est un brigandage et un fratricide. D'après ce principe, quel est le problème à résoudre en matière de législation sur les subsistances? le voici: assurer à tous les membres de la société la jouissance

de la portion des fruits de la terre qui est nécessaire à leur existence; aux propriétaires ou aux cultivateurs le prix de leur industrie, et livrer le superflu à la liberté du commerce. Je défie le plus scrupuleux défenseur de la propriété de contester ces principes, à moins de déclarer ouvertement qu'il entend par ce mot le droit de dépouiller et d'assassiner ses semblables. Comment donc a-t-on pu prétendre que toute espèce de gêne, ou plutôt que toute règle sur la vente du blé était une atteinte à la propriété, et déguiser ce système barbare sous le nom spécieux de la liberté du commerce. » Il demande donc que des précautions soient prises contre le monopole : « J'ai déjà prouvé que ces mesures et les principes sur lesquels elles sont fondées sont nécessaires au peuple. Je vais prouver qu'elles sont utiles aux riches et à tous les propriétaires. Je ne leur ôte aucun profit honnête, aucune propriété légitime; je ne détruis point le commerce, mais le brigandage du monopole; je ne les condamne qu'à la peine de laisser vivre leurs semblables. Or, rien sans doute ne peut leur être plus avantageux; le plus grand service que le légistateur puisse rendre aux hommes, c'est de les forcer à être honnêtes gens. Le plus grand intérêt de l'homme n'est pas d'amasser des trésors, et la plus douce propriété n'est point de dévorer la subsistance de cent familles infortunées. Le plaisir de soulager ses semblables, et la gloire de servir sa patrie, valent bien ce déplorable avantage. A quoi peut servir aux spéculateurs les plus avides la liberté indéfinie de leur odieux trafic? à être ou opprimés, ou oppresseurs. Cette dernière destinée, surtout, est affreuse. Riches égoïstes, sachez prévoir et prévenir d'avance les résultats terribles de la lutte de l'orgueil et des passions lâches contre la justice et contre l'humanité. Que l'exemple des nobles et des rois vous instruise. Apprenez à goûter les charmes de l'égalité et les délices de la vertu; ou du moins contentezvous des avantages que la fortune vous donne, et laissez

au peuple du pain, du travail et des mœurs. C'est en vain que les ennemis de la liberté s'agitent pour déchirer le sein de leur patrie : ils n'arrêteront pas plus le cours de la raison humaine, que celui du soleil; la lâcheté ne triomphera point du courage; c'est au génie de l'intrigue à fuir devant le génie de la liberté. Et vous, législateurs, souvenez-vous que vous n'êtes point les représentants d'une caste privilégiée, mais ceux du peuple français, n'oubliez pas que la source de l'ordre, c'est la justice, que le plus sûr garant de la tranquillité publique, c'est le bonheur des citoyens, et que les longues convulsions qui déchirent les États ne sont que le combat des préjugés contre les principes, de l'égoïsme contre l'intérêt général; de l'orgueil et des passions des hommes puissants contre les droits et contre les besoins des faibles. >>

Séance du 3 décembre. - La discussion sur le procès du roi est rouverte. Il n'y a plus de doute sur ce point: que le roi peut être jugé et qu'il doit l'être par la Convention. Il s'agit d'examiner quelles seront les formes du procès. Robespierre monte à la tribune pour développer son opinion sur le parti à prendre à l'égard de Louis XVI.

Séance du 4 décembre. Philippeaux demande que la Convention se déclare en permanence jusqu'à ce qu'elle ait statué sur le sort de Louis XVI. Pétion s'y oppose, mais il demande que chaque jour on s'occupe du procès du roi depuis midi jusqu'à six heures. Robespierre demande la parole. Il ne l'obtient qu'à grand' peine, et il commence son discours par dénoncer, aux applaudissements des tribunes, la violation qui a été faite plusieurs fois en sa personne du droit de représentant, par des manœuvres multipliées pour étouffer sa voix. Il dénonce l'intention où l'on paraît être de mettre le trouble dans l'Assemblée, en faisant opprimer une partie par l'autre. Puis, arrivant au sujet de la discussion, il dit que la mesure que l'on doit prendre, c'est de juger Louis XVI sur-le-champ, sans désemparer. Il ne s'agit

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