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les mêmes feuilles où vous me déchirez'. C'est en vain que Vous vous efforcez de séparer des hommes que l'opinion publique et l'amour de la patrie ont unis. Les outrages que vous me prodiguez sont dirigés contre lui-même, et les calomniateurs sont les fléaux de tous les bons citoyens. Vous jetez un nuage sur la conduite et sur les principes de mon compagnon d'armes, vous enchérissez sur les calomnies de nos ennemis communs, quand vous osez m'accuser de vouloir égarer et flatter le peuple! Et comment le pourraisje? je ne suis ni le courtisan, ni le modérateur, ni le tribun, ni le défenseur du peuple! Je suis peuple moi-même. » Guadet avait dénoncé Robespierre comme étant devenu, « soit mallieur, soit ambition, l'idole du peuple, » et ajoutait-il : « par amour pour la liberté de notre patrie, il devrait peut-être s'imposer à lui-même la loi de l'ostracisme car c'est servir le peuple que se dérober à son idolâtrie. » — <«< Ah! ce sont les ambitieux et les tyrans qu'il faudrait bannir! répond Robespierre. Pour moi, où voulez-vous que je me retire? Quel est le peuple où je trouverai la liberté établie? et quel despote voudra me donner asile! Ah! on peut abandonner sa patrie heureuse et triomphante; mais menacée, mais déchirée, mais opprimée? on ne la fuit pas, on la sauve, ou on meurt pour elle. Le ciel qui me donna une âme passionnée pour la liberté, et qui me fit naitre sous la domination des tyrans, le ciel qui prolongea mon existence jusqu'au règne des factions et des crimes, m'appelle peut-être à tracer de mon sang la route qui doit conduire mon pays au bonheur et à la liberté; j'accepte avec transport cette douce et glorieuse destinée. Exigez-vous de moi un autre sacrifice? Oui, il en est un que vous pouvez demander encore, je l'offre à ma patrie : c'est celui de ma réputation. Je vous la livre, réunissez-vous tous pour la

1. Pétion, dont Robespierre ne devait pas tarder à se séparer avec éclat.

déchirer, joignez-vous à la foule innombrable de tous les ennemis de la liberté, unissez, multipliez vos libelles périodiques, je ne voulais de réputation que pour le bien de mon pays si, pour la conserver, il faut trahir, par un coupable silence, la cause de la vérité et du peuple, je vous l'abandonne; je l'abandonne à tous les esprits faibles et versatiles que l'imposture peut égarer, à tous les méchants qui la répandent. J'aurai l'orgueil encore de préférer, à leurs frivoles applaudissements, le suffrage de ma conscience et l'estime de tous les hommes vertueux et éclairés; appuyé sur elle et sur la vérité, j'attendrai le secours tardif du temps qui doit venger l'humanité trahie et les peuples opprimés. » Voilà mon apologie, c'est vous dire assez sans doute que je n'en avais pas besoin. >>

Cependant en terminant son discours, Robespierre offrait la paix à ses adversaires, à la condition de s'unir ensemble pour combattre les partis ligués contre l'égalité et la constitution. « De tous ces partis, le plus dangereux, à mon avis, disait-il, est celui qui a pour chef le héros qui, après avoir assisté à la révolution du Nouveau-Monde, ne s'est appliqué jusqu'ici qu'à arrêter les progrès de la liberté dans l'ancier, en opprimant ses concitoyens. Voilà, à mon avis, le plus grand des dangers qui menacent la liberté. Unissez-vous à nous pour le prévenir. Dévoilez, comme députés et comme écrivains, et cette faction et ce chef!» Lorsque Lafayette, après le 20 juin, ayant voulu exercer une pression réactionnaire sur l'Assemblée, fut universellement blâme, Robespierre se réconcilia publiquement aux Jacobins avec Brissot et Guadet: « J'ai senti, dit-il, que l'oubli et l'union étaient dans mon cœur, au plaisir que m'a fait ce matin le discours de Guadet à l'Assemblée et au plaisir que j'éprouve en ce moment en entendant Brissot! Unissons-nous pour accuser Lafayette!» Mais cette réconciliation ne fut pas de longue durée.

Parmi les incidents auxquels donna lieu au club des Jaco

Dins la lutte de Robespierre et des Girondins, il en est un qui est trop caractéristique pour qu'on puisse le passer sous silence. Dans la séance du 26 mars, Robespierre proposa une adresse aux sociétés patriotiques sur les événements qui venaient de s'accomplir. Guadet s'opposa à l'envoi de cette adresse, et parmi les motifs qu'il fit valoir se trouvait celui-ci : « J'ai entendu souvent, dans cette adresse, répéter Le mot Providence, je crois même qu'il y est dit que la Providence nous a sauvés malgré nous. J'avoue que, ne voyant aucun sens à cette idée, je n'aurais jamais pensé qu'un homme qui a travaillé avec tant de courage, pendant trois ans, pour tirer le peuple de l'esclavage du despotisme, pût concourir à le remettre ensuite sous l'esclavage de la superstition. >>

Voici en quels termes Robespierre répondit à ce reproche: « La superstition, il est vrai, est un des appuis du despotisme, mais ce n'est pas induire les citoyens dans la superstition que de prononcer le nom de la Divinité. J'abhorre, autant que personne, toutes ces sectes impies qui se sont répandues dans l'univers pour favoriser l'ambition, le fanatisme et toutes les passions, en se couvrant du pouvoir sacré de l'Éternel qui a créé la nature et l'humanité; mais je suis bien loin de la confondre avec ces imbéciles dont le despotisme s'est armé. Je soutiens, moi, ces éternels principes sur lesquels s'étaie la faiblesse humaine pour s'élancer à la vertu. Ce n'est point un vain langage dans ma bouche, pas plus que dans celle de tous les hommes illustres qui n'en avaient pas moins de morale, pour croire à l'existence de Dieu. (Plusieurs voix: -A l'ordre du jour! - Brouhaha.) Non, messieurs, vous n'étoufferez pas ma voix, il n'y a pas d'ordre du jour qui puisse étouffer cette vérité : je vais continuer de développer un des principes puisés dans mon cœur, et avoués par tous les défenseurs de la liberté; je ne crois pas qu'il puisse jamais déplaire à aucun membre de l'Assemblée nationale d'entendre ces principes, et ceux qui

ont ac.enau la liberté à l'Assemblée constituante ne doivent pas trouver d'opposition au sein des Amis de la constitution. Loin de moi d'entamer ici aucune discussion religieuse qui pourrait jeter de la division parmi ceux qui aiment le bien public, mais je dois justifier tout ce qui est attachê sous ce rapport à l'adresse présentée à la Société. Oui, invoquer la Providence et émettre l'idée de l'Etre éternel qui influe essentiellement sur les destins des nations, qui me paraît à moi veiller d'une manière toute particulière sur la révolution française, n'est point une idée trop hasardée, mais un sentiment de mon cœur, un sentiment qui m'est nécessaire à moi, qui, livré dans l'Assemblée constituante à toutes les passions et à toutes les viles intrigues, et environné de si nombreux ennemis, me suis toujours soutenu. Seul avec mon âme, comment aurais-je pu suffire à des luttes qui sont au-dessus de la force humaine, si je n'avais point élevé mon âme à Dieu. Sans trop approfondir cette idée encourageante, ce sentiment divin m'a bien dédommagé de tous les avantages offerts à ceux qui voulaient trahir le peuple. »

Il faut signaler encore la manifestation de Robespierre dans la séance du 19 mars, contre le bonnet rouge, que portait chaque membre des Jacobins : « En déposant le bonnet rouge, les citoyens qui l'avaient pris par un patriotisme louable, ne perdront rien. Les amis de la liberté continueront à se reconnaître sans peine au même langage, au signe de la raison et de la vertu, tandis que tous les autres emblèmes peuvent être adoptés par les aristocrates et les traîtres. Il faut, dit-on, employer de nouveaux moyens pour ranimer le peuple. Non, car il il a conservé le senti ment le plus profond de la patrie... Le peuple n'a pas besoin d'être excité, il faut seulement qu'il soit bien défendu. C'est le dégrader que de croire qu'il est sensible à des marques extérieures. Elles ne pourraient que le détourner de l'attention qu'il donne aux principes de liberté et

aux actes des mandataires auxquels il a confié sa destinée. » C'est dans cette même séance qu'il donna l'accolade à Dumouriez, aux applaudissements de la société et des tribunes.

A la suite de ces discussions, Robespierre avait donné sa démission d'accusateur public, pour se consacrer entièrement, dit-il, « à plaider la cause de l'humanité et de la liberté, comme homme et comme citoyen, au tribunal de l'univers et de la postérité. » Il fonda un journal, le Défenseur de la constitution, dont le premier numéro parut dans le courant de mai 1792.

« Le 10 août, dit M. Ernest Hamel, le peuple fit violemment ce qu'il eût voulu voir exécuter par la puissance législative. »> Dans le douzième et dernier numéro de son journal, il le félicita de son heureuse initiative, et complimenta l'Assemblée d'avoir enfin effacé, au bruit du canon qui détruisait la vieille monarchie, l'injurieuse distinction établie par la précédente Assemblée entre les citoyens actifs et les citoyens non actifs. Quant aux vainqueurs, il les engageait à tirer de leur triomphe des résultats dignes d'une grande nation: « Vous ne serez heureux que quand vous aurez des lois; vous n'aurez des lois que quand la volonté générale sera entendue et respectée, et quand les délégués du peuple ne pourront plus la violer impunément en usurpant la souveraineté. »

Nommé dans la soirée du 10, membre du nouveau conseil général de la Commune par sa section (celle de la place Vendôme), il alla, le 14 août, à la tête de cette section, prier l'Assemblée législative de décréter qu'à la place de la statue de Louis XIV, on érigerait sur la place Vendôme un monument en l'honneur des citoyens morts en combattant pour la liberté; le lendemain, au nom de la Commune, il reparut devant l'Assemblée pour lui demander de prendre des mesures afin que la punition des coupables soit prompte et certaine « Le décret rendu est insuffisant et il n'y est parlé

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