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miné sa session. A la sortie de la salle, un peuple enthousiaste fit une ovation triomphale à Robespierre et à Pétion; il leur mit sur la tête des couronnes de chênes; les fit monter dans un carrosse dont les chevaux avaient été dételés, et les ramena en triomphe chez eux, en criant : « Voilà les véritables amis, les défenseurs des droits du peuple 1. » Après la clôture de la session, Robespierre retourna dans son Days, où il fut aussi l'objet d'une véritable ovation. Le 16 octobre, il écrivait à son hôte et ami Duplay : « De Bapaume, plusieurs officiers des deux corps, joints à une partie des officiers de la garde nationale d'Arras, qui étaient venus à ma rencontre, me reconduisirent à Arras, où le peuple me reçut avec des démonstrations d'un attachement que je ne puis exprimer et auquel je ne puis songer sans attendrissement 2. >>

Robespierre ne resta que quelques semaines à Arras. De retour à Paris, il partagea son temps entre ses occupations comme accusateur public près le tribunal criminel de la Seine, et la tribune des Jacobins. Le jour où il reparut dans cette société, Collot d'Herbois, qui présidait, se leva à son entrée : « Je demande, dit-il, que ce membre de l'Assemblée constituante, justement surnommé l'incorruptible, préside la société. » Cette motion fut adoptée par acclamation. Robespierre, prenant alors la parole, dénonça l'empereur d'Autriche, les électeurs de Mayence, de Trèves, de Suisse et de Cologne comme les ennemis de la France. La liberté, s'écria-t-il, ne peut se conserver que par le courage et par le mépris des tyrans : « Il faut dire à Léopold : Vous

1. On jouait à cette époque (septembre 1791) au théâtre Molière, une pièce où Rohan et Condé se trouvaient aux prises avec Robespierre, qui les foudroyait, dit un critique du temps, par sa logique et sa vertu. (Révolutions de Paris, no 113, p. 450.)

2. Après le 9 thermidor, la Société populaire d'Arras fut une des plus empressées à envoyer à la Convention ses félicitations pour « avoir par leur énergie délivré la France d'un tyran. ›

violez le droit des gens en souffrant les rassemblements de quelques rebelles que nous sommes loin de craindre, mais qui sont insultants pour la nation. Nous vous sommons de les dissiper dans tel délai... Il faut tracer autour de lui le cercle que Popilius traça autour de Mithridate. »

Robespierre cependant n'était point partisan de la guerre. Tout le monde connaît les fameux discours qu'il prononça aux Jacobins pour s'opposer à ce que la guerre fût déclarée. Ce dissentiment fut l'origine de sa rupture avec les Girondins : ce fut du moins la première circonstance où cet antagonisme s'accusa ostensiblement.

Nous reproduisons plus loin les deux discours que Robespierre prononça, sur la guerre. Brissot et Guadet qu'il avait personnellement attaqués ainsi que leurs amis', prirent à leur tour l'offensive et accusèrent Robespierre qui leur répondit par un discours, dont le retentissement ne

1. Les Girondins apportèrent d'abord une grande réserve dans cette lutte et traitèrent Robespierre avec tous les égards dus à un patriote sincère. « Robespierre, disait Louvet, vous tenez seul l'opinion publique en suspens. Cet excès de gloire vous était réservé sans doute. Vos discours appartiennent à la postérité, la postérité viendra entre vous et moi. Mais enfin vous attirez sur vous la plus grande responsabilité en persistant dans votre opinion. Vous êtes comptable à vos contemporains et même aux générations futures. Oui, la postérité viendra se mettre entre vous et moi, quelque indigne que j'en sois. Elle dira: un homme parut dans l'Assemblée constituante, inaccessible à toutes les passions, un des plus fidèles défenseurs du peuple. Il fallait estimer et chérir ses vertus, admirer son courage; il était adoré du peuple qu'il avait constamment servi, et, ce qui est mieux encore, il en était digne. Un précipice s'ouvrit. Distrait par trop de soins, cet homme crut voir le péril où il n'était pas, et ne le vit pas où il était. Un homme obscur était là uniquement occupé du moment présent; éclairé par d'autres citoyens, il découvrit le danger, ne put se résoudre à garder le silence, il alla à Robespierre, il voulut le lui faire toucher du doigt. Robespierre détourna les yeux et retira sa main; l'inconnu persiste et sauve son pays... »

fut pas moindre que celui des précédents : « Je ne viens pas vous occuper ici, quoiqu'on en puisse dire, disait-il dans son exorde, de l'intérêt de quelques individus, ni du mien. C'est la cause publique qui est l'unique objet de toute cette contestation. Gardez-vous de penser que les destinées du peuple soient attachées à quelques hommes; gardez-vous de redouter le choc des opinions, et les orages des discussions politiques, qui ne sont que les douleurs de l'enfantement de la liberté. Cette pusillanimité, reste honteux de nos anciennes mœurs, serait-il l'écueil de l'esprit public et la sauvegarde de tous les crimes? Élevons-nous, une fois pour toutes, à la hauteur des âmes antiques, et songeons que le courage et la vérité peuvent seuls achever cette grande révolution. Je suis calomnié à l'envi par les journaux de tous les partis ligués contre moi, je ne m'en plains pas, je ne cabale pas contre mes accusateurs; j'aime bien que l'on m'accuse; je regarde la liberté des dénonciations, dans tous les temps, comme la sauvegarde du peuple, comme le droit sacré de tout citoyen; et je prends ici l'engagement formel de ne jamais porter mes plaintes à d'autre tribunal qu'à celui de l'opinion publique; mais il est juste au moins que je rende un hommage à ce tribunal vraiment souverain, en répondant devant lui à mes adversaires. Je le dois d'autant plus que, dans les temps où nous sommes, ces sortes d'attaques sont moins dirigées contre les personnes que contre la cause et les principes qu'elles défendent. Chef de parti, agitateur du peuple, agent du comité autrichien, payé ou tout au moins égaré. Si l'absurdité de ces inculpations me défend de les réfuter, leur nature, l'in

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1. Trois opinions partagent le public sur M. de Robespierre, écrivait Brissot dans le Patriote français (18 avril 1792): les uns le croient fou, les autres attribuent sa conduite à une vanité blessée, une troisième partie le croit mis en œuvre par la liste civile. Nous ne croyons jamais à la corruption qu'elle ne soit bien prouvée.

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fluence et le caractère de leurs auteurs méritent au moins une réponse.

«Je ne ferai point celle de Scipion, ou de Lafayette, qui, accusé dans cette même tribune de plusieurs crimes de lèse-nation, ne répondit rien. Je répondrai sérieusement à cette question de Brissot: Qu'avez-vous fait pour avoir le droit de censurer-ma conduite et celle de mes amis? Il est vrai que tout en m'interrogeant, il semble lui-même m'avoir fermé la bouche, en répétant éternellement, avec tous mes ennemis, que je sacrifiais la chose publique à mon orgueil; que je ne cessais de vanter mes services, quoiqu'il sache bien que je n'ai jamais parlé de moi que lorsqu'on m'a forcé de repousser la calomnie et de défendre mes principes. Mais enfin, comme le droit d'interroger et de calomnier suppose celui de répondre, je vais lui dire franchement et sans orgueil ce que j'ai fait. Jamais personne ne m'accusa d'avoir exercé un métier lâche, ou flétri mon nom par des liaisons honteuses, ou par des procès scandaleux, mais on m'accusa de défendre, avec trop de chaleur, la cause des faibles opprimés contre les oppresseurs puissants; on m'accusa, avec raison, d'avoir violé le respect dû aux tribunaux tyranniques de l'ancien régime, pour les forcer à être justes par pudeur; d'avoir immolé à l'innocence outragée, l'orgueil de l'aristocratie bourgeoise, municipale, nobiliaire, ecclésiastique. » Robespierre rappelle avec détail sa conduite lorsqu'il était juge au tribunal de l'évêque d'Arras; les persécutions qu'il subit « de la part de toutes les puissances conjurées contre lui, et auxquelles alors « le peuple l'arracha pour le porter. dans le sein de l'Assemblée nationale. » Il fait ensuite l'apologie de son attitude à l'Assemblée, où « des courtisans ambitieux, habiles dans l'art de tromper et cachés sous le 'masque du patriotisme, se réunissaient souvent aux phalanges aristocratiques pour étouffer sa voix. »>

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Brissot lui avait reproché d'avoir calomnié Condorcet,

rappelant la part importante qu'il avait prise avec Voltaire et d'Alembert aux luttes philosophiques desquelles, en définitive, était sortie la Révolution. Voici comment Robespierre répond à ce reproche : « Je pourrais observer que la Révolution a rapetissé bien des grands hommes de l'ancien régime, que, si les académiciens et les géomètres quo M. Brissot nous propose pour modèles, ont combattu ef ridiculisé les prêtres, ils n'en ont pas moins courtisé les grands et adoré les rois dont ils ont tiré un assez bon parti, et qui ne sait avec quel acharnement ils ont persécuté la vertu et le génie de la liberté dans la personne de ce JeanJacques, dont j'aperçois ici l'image sacrée, de ce vrai philosophe qui seul, à mon avis, entre tous les hommes célèbres de ce temps-là, mérita les honneurs publics, prostitués depuis par l'intrigue à des charlatans politiques et à de misérables héros. »

>> Vous me demandez tout ce que j'ai fait, poursuit Robespierre, et vous m'avez adressé cette question dans cette tribune, dans cette société, dont l'existence même est un monument de ce que j'ai fait! Vous n'étiez pas ici lorsque, sous le glaive de la proscription, environné de piéges et de baïonnettes, je la défendais, et contre les fureurs de nos modernes Sylla, et mêmc contre toute la puissance de l'Assemblée constituante. Interrogez donc ceux qui m'entendirent; interrogez tous les amis de la constitution répandus sur toute la surface de l'empire; demandez-leur quels sont les noms auxquels ils se sont ralliés dans ces temps orageux. Sans ce que j'ai fait, vous ne m'auriez point outragé dans cette tribune, car elle n'existerait plus, et ce n'est pas vous qui l'auriez sauvée. Demandez-leur qui a consolé les patriotes persécutés, ranimé l'esprit public, dénoncé à la France entière une coalition perfide et toute - puissante, arrêté le cours de ses sinistres projets, et converti ses jours de triomphe en jours d'angoisses et d'ignominie. J'ai fait tout ce qu'à fait le magistrat intègre que vous louez dans

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