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l'Assemblée ne puisse être porté au ministère pendant les trois années qui suivront la session, ni avoir aucuns dons, pensions, places, traitements ou commissions du pouvoir exécutif pendant le même délai : « Un philosophe dont vous honorez les principes disait que, pour inspirer du respect et de la confiance, le législateur devait s'isoler de son œuvre; c'est l'application de cette maxime que je veux vous proposer. »

Dans l'opinion de Robespierre, les ministres devaient être absolument dépendants du pouvoir exécutif, auquel il appartenait de les nommer et de répartir leurs attributions. Il s'éleva donc contre les articles proposés par le comité sur les fonctions des différents ministres. Prétendait-on élever un pouvoir distinct à côté de l'autorité royale? Il ne fallait pas que les ministres pussent peser en aucune façon sur les corps constitutionnels. « Par exemple, disait-il pour rendre son opinion plus saisissante, le ministre de la justice n'avilirait-il pas les magistrats par de prétendus avertissements nécessaires, sous prétexte de les rappeler à la décence et à la règle de leurs fonctions? » Les mêmes principes lui firent repousser toute espèce de contrôle par les ministres sur les corps administratifs et aussi le pouvoir de mettre la gendarmerie en mouvement: c'était aux seuls corps administratifs à diriger la gendarmerie nationale. Il est assez curieux de noter qu'à ce sujet Beaumetz reproche à Robespierre de vouloir détruire l'unité monarchique au profit d'un système fédératif. '.

On a beaucoup abusé dans la Révolution de cette accusation de fédéralisme. Dans le principe ce furent les royalistes qui la mirent en avant contre les révolutionnaires. On peut lire à ce sujet les plaintes de M. de Clermont-Tonnerre, dans le Recueil de ses opinions, publiée en 1791, contre « le système qui a livré la France aux municipalités, et énervé le pouvoir en le partageant. » « Il a changé la monarchie en une multitude de petites portions détachées, qui ont leurs intérêts, leurs prétentions, leur régime, n'obéis

obespierre s'éleva non moins vivement contre les traitements énormes attribués aux ministres.

Séance du 19 avril. Sortie véhémente de Robespierre contre les ministres et contre le comité diplomatique, à propos d'une adresse par laquelle les habitants de Porentruy informaient l'Assemblée d'une concentration de troupes autrichiennes sur leur territoire: les ministres sont inactifs, dit Robespierre, et cependant, depuis plus de six mois, il n'est pas permis de douter de l'intelligence des ennemis de l'extérieur avec ceux du dedans. Et c'est une nation étrangère qui nous avertit des dangers que nous courons! Il incrimine les membres du comité diplomatique, les commissaires chargés de surveiller les ministres, et qui, infidèles à leurs devoirs, gardaient le silence ou trompaient l'Assemblée. « C'est le moment pour l'Assemblée de savoir que chacun de ses membres doit se regarder comme chargé personnellement des intérêts de la nation. C'est le moment de sortir de la tutelle des comités et de ne pas prolonger les dangers publics par une funeste sécurité. »

Séance du 23 avril. On donne lecture à l'Assemblée d'une lettre écrite au nom du roi par le ministre des affaires étrangères à tous les ambassadeurs près les diverses cours de l'Europe, lettre où, afin de détruire des bruits mal fondés, le ministre annonce à ses agents que Sa Majesté à accepté librement la nouvelle forme du gouvernement français, qu'elle s'estime parfaitement heureuse du présent état de choses, qu'enfin elle est sincèrement attachée à la constitution et aux principes de la Révolution. Des transports sent à personne, et qui regardent ce qui reste du pouvoir exécutif plutôt comme un ennemi commun que comme un centre de réunion. - Nous voilà bien loin de l'idéal centralisateur qu'une certaine école historique attribue à la Révolution. On verra que les idées exprimées par Robespierre à la Convention, dans son discours sur la Constitution, ne diffèrent pas de celles qu'il manifestait en 1790 et en 1791.

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d'enthousiasme accueillent cette lecture. Plusieurs membres proposent qu'on envoie à Louis XVI une députation pour le remercier d'avoir, en quelque sorte, appris à l'univers, son attachement à la constitution. Robespierre, « toujours sévère comme les principes et la raison, » dit un journal du temps (Le Point du Jour), s'efforça de calmer cette effervescence, et dit qu'il fallait, non remercier, mais féliciter le roi du parfait accord de ses sentiments avec ceux de la nation. L'Assemblée chargea une députation d'aller immédiatement porter au roi ses félicitations, dans les termes mêmes proposés par Robespierre. La majorité du côté droit, déconcertée, refusa de prendre part à la délibération.

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Discours sur l'organisation des

Séance du 9 mai. Le comité de constitution voulait restreindre le droit de pétition aux seuls citoyens actifs, et que ce droit fût purement individuel, et ne pût-être exercé collectivement par nulle corporation, nulle société, nulle commune. Robespierre s'éleva vivement contre ces restrictions « Le droit de pétition est le droit imprescriptible de tout homme en société. Les Français en jouissaient avant que vous fussiez assemblés; les despotes les plus absolus n'ont jamais osé contester formellement ce droit à ce qu'ils appelaient leurs sujets. Plusieurs se sont fait une gloire d'être accessibles et de rendre justice à tous. C'est ainsi que Frédéric Il écoutait les plaintes de tous les citoyens. Et vous, législateurs d'un peuple libre, vous ne voudrez pas que des Français vous adressent des observations, des demandes, des prières, comme vous voudrez les appeler! Non, ce n'est point pour exciter les citoyens à la révolte que je parle à cette tribune, c'est pour défendre les droits des citoyens; et si quelqu'un voulait m'accuser, je voudrais qu'il mît toutes ses actions en parallèle. Je défends les droits les plus sacrés de mes commettans; car mes commettans sont tous Français, et je ne ferai sous ce rapport aucune distinction entre

eux je défendrai surtout les plus pauvres. Pius un homme est faible et malheureux, plus il a besoin du droit de pétition; et c'est parce qu'il est faible et malheureux que vous le lui ôteriez! Dieu accueille les demandes non-seulement des plus malheureux des hommes, mais des plus coupables. Or il n'y a de lois sages et justes que celles qui dérivent des lois simples de la nature. Si vos sentiments n'étaient point conformes à ces lois, vous ne seriez plus les législateurs, vous seriez plutôt les oppresseurs des peuples. Je crois done qu'à titre de législateurs et de représentants de la nation, vous êtes incompétents pour ôter à une partie des citoyens les droits imprescriptibles qu'ils tiennent de la nature. »

Les autres restrictions que le comité voudrait apporter au droit de pétition ne sont pas davantage motivées : « Il suffit qu'une société ait une existence légitime pour qu'elle ait le droit de pétition; car si clle a le droit d'exister reconnu par la loi, elle a le droit d'agir comme une collection d'êtres raisonnables, qui peuvent publier leur opinion commune et manifester leur vou.» « Je le demande à tout homme de bonne foi qui veut sincèrement le bien, mais qui ne cache pas sous un langage spécieux le dessein de dominer la liberté, disait en terminant Robespierre, je demande si ce n'est pas chercher à troubler l'ordre public par des lois oppressives, et porter le coup le plus funeste à la liberté. » Robespierre monta de nouveau à la tribune dans la séance du lendemain pour combattre l'interdiction proposée par le comité contre les citoyens non actifs : « Il est évident que le droit de pétition n'est autre chose que le droit d'émettre son vou; que ce n'est donc pas un droit politique, mais le droit de tout être pensant. Bien loin d'être, comme on vous l'a dit, l'exercice de la souveraineté, de devoir être exclusivement attribué à tous les citoyens actifs, le droit de pétition au contraire suppose l'absence de l'activité, l'infériorité, la dépendance. Celui qui a l'autorité en main ordonne; celui qui est dans l'inactivité, dans la dé

pendance, adresse des vœux. La pétition n'est donc point l'exercice d'un droit politique, c'est l'acte de tout homme qui a des besoins. (Les tribunes applaudissent.) « On vit dans cette discussion, chose assez rare pour être signalée, l'abb Maury, soutenir l'opinion de Robespierre.

Robespierre prit une troisième fois la parole, à propo de l'article du projet, portant que les citoyens ne pourraien. demander le rassemblement de la commune ou de leur sec tion qu'avec de certaines formalités et pour objet d'intérê municipal, déterminé d'une manière précise : « C'est ains qu'on parvient à anéantir insensiblement les droits des citoyens, à leur ôter toute influence, à les mettre dans la dépendance de leurs délégués et sous le despotisme des municipalités. (On murmure.) Les objections banales qu'on fai contre ces raisonnements sont le désordre et l'anarchie. Er bien! aurez-vous jamais autre chose que le désordre et l'anarchie si vous établissez les formes despotiques qu'on vous propose! D'un côté, oppression, de l'autre, indignation des citoyens; lutte perpétuelle entre les mandataires et le peuple; voilà ce qui résultera de cet ordre de choses. Lorsqu'au contraire les citoyens ont le droit de faire des représentations, d'éclairer les représentants, alors l'ordre se soutient sur les bases de la justice et de la confiance. » Séance du 12 mai. Robespierre réclame l'égalité des droits politiques pour les hommes de couleur. La discussion fut très-vive: elle paraissait se poser entre l'existence des colonies et les principes. « Si vous voulez de la déclaration des droits quant à nous, s'était écrié le créole Moreau de Saint-Méri, il n'y a plus de colonies. » La phrase vulgairement attribuée à Robespierre : « Périssent les colonies plutôt qu'un principe, » n'est pas de lui, mais bien de Duport. Cependant dans son discours à cette occasion on retrouve un mouvement à peu près analogue: « L'intérêt supreme de la nation et des colonies est que vous demeuriez libres, et que vous ne renversiez pas de vos propres mains les bases de

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