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Le respect qu'inspire le magistrat dépend beaucoup plus du respect qu'il porte lui-même aux lois que du pouvoir qu'il usurpe, et la puissance des lois est bien moins dans la force militaire qui les entoure, que dans leur concordance avec les principes de la justice et avec la volonté générale.

Quand la loi a pour principe l'intérêt public, elle a le peuple lui-même pour appui, et sa force est la force de tous les citoyens, dont elle est l'ouvrage et la propriété. La volonté générale et la force publique ont une origine commune: la force publique est au corps politique ce qu'est au corps humain le bras, qui exécute spontanément ce que la volonté commande, et repousse tous les objets qui peuvent menacer le cœur ou la tête.

Quand la force publique ne fait que seconder la volonté générale, l'État est libre et paisible; lorsqu'elle la contrarie, l'État est asservi et agité.

La force publique est en contradiction avec la volonté générale dans deux cas: ou lorsque la loi n'est pas la volonté générale, ou lorsque le magistrat l'emploie pour violer la loi. Telle est l'horrible anarchie que les tyrans ont établie de tout temps sous le nom de tranquillité, d'ordre public, de législation et de gouvernement; tout leur art est d'isoler et de comprimer chaque citoyen par la force pour les asservir tous à leurs odieux caprices qu'ils décorent du nom de lois.

Législateurs, faites des lois justes; magistrats, faites-les religieusement exécuter: que ce soit là toute votre politique, et vous donnerez au monde un spectacle inconnu, celui d'un grand peuple libre et vertueux.

SUR LES PRINCIPES DE MORALE POLITIQUE QUI DOIVENT GUIDER LA CONVENTION NATIONALE DANS L'ADMINISTRATION INTÉRIEURE DE LA RÉPUBLIQUE.

CONVENTION.

Séance du 5 février 1794.

(17 pluviose an: 11 de la république française.)

Après avoir marché longtemps au hasard, et comme emportés par le mouvement des factions contraires, les représentants du peuple français ont enfin montré un caractère et un gouvernement: un changement subit dans la fortune de la nation annonça à l'Europe la régénération qui s'était opérée dans la représentation nationale. Mais jusqu'au moment même où je parle, il faut convenir que nous avons été plutôt guidés, dans des circonstances si orageuses, par l'amour du bien et le sentiment des besoins de la patrie que par une théorie exacte et des règles précises de conduite, que nous n'avions pas même le loisir de tracer.

Il est temps de marquer nettement le but de la révolution et le terme où nous voulons arriver; il est temps de nous rendre compte à nous-mêmes, et des obstacles qui nous en éloignent encore, et des moyens que nous devons adopter pour l'atteindre...

Quel est le but où nous tendons? La jouissance paisible de la liberté et de l'égalité, le règne de cette justice éternelle, dont les lois ont été gravées, non sur le marbre et sur la pierre, mais dans le cœur de tous les hommes, même dans celui de l'esclave qui les oublie, et du tyran qui les nie.

Nous voulons un ordre de choses où toutes les passions basses et cruelles soient enchaînées, toutes les passions bienfaisantes et généreuses éveillées par les lois; où l'ambi

tion soit le désir de mériter la gloire et de servir la patrie; où les distinctions ne naissent que de l'égalité même; où le citoyen soit soumis au magistrat, le magistrat au peuple, et le peuple à la justice; où la patrie assure le bien-être de chaque individu, et où chaque individu jouisse avec orgueil de la prospérité et de la gloire de la patrie; où toutes les âmes s'agrandissent par la communication continuelle des sentiments républicains, et par le besoin de mériter l'estime d'un grand peuple; où les arts soient les décorations de la liberté, qui les ennoblit; le commerce, la source de la richesse publique, et non pas seulement de l'opulence monstrueuse de quelques maisons.

Nous voulons substituer dans notre pays la morale à l'égoïsme, la probité à l'honneur, les principes aux usages, les devoirs aux bienséances, l'empire de la raison à la tyrannie de la mode, le mépris du vice au mépris du malheur, la fierté à l'insolence, la grandeur d'âme à la vanité, l'amour de la gloire à l'amour de l'argent, les bonnes gens à la bonne compagnie, le mérite à l'intrigue, le génie au bel esprit, la vérité à l'éclat, le charme du bonheur aux ennuis de la volupté, la grandeur de l'homme à la petitesse des grands, un peuple magnanime, puissant, heureux, à un peuple aimable, frivole et misérable, c'est-à-dire toutes les vertus et tous les miracles de la république à tous les vices et à tous les ridicules de la monarchie.

Nous voulons, en un mot, remplir les vœux de la nature, accomplir les destins de l'humanité, tenir les promesses de la philosophie, absoudre la Providence du long règne du crime et de la tyrannie. Que la France, jadis illustre parmi les pays esclaves, éclipsant la gloire de tous les peuples libres qui ont existé, devienne le modèle des nations, l'effroi des oppresseurs, la consolation des opprimés, l'ornement de l'univers, et qu'en scellant notre ouvrage de notre sang, nous puissions voir au moins briller l'aurore de la félicité universelle!... Voilà notre ambition, voilà notre but.

Quelle nature de gouvernement peut réaliser ces prodiges? Le seul gouvernement démocratique ou républicain: ces deux mots sont synonymes, malgré les abus du langage vulgaire; car l'aristocratie n'est pas plus la république que la monarchie. La démocratie n'est pas un état où le peuple, continuellement assemblé, règle par lui-même toutes les affaires publiques, encore moins celui où cent mille fractions du peuple, par des mesures isolées, précipitées et contradictoires, décideraient du sort de la société entière : un tel gouvernement n'a jamais existé, et il ne pourrait exister que pour ramener le peuple au despotisme.

La démocratie est un état où le peuple, souverain, guidé par des lois qui sont son ouvrage, fait par lui-même tout ce qu'il peut bien faire, et par des délégués tout ce qu'il ne peut faire lui-même.

C'est donc dans les principes du gouvernement démocratique que vous devez chercher les règles de votre conduite politique.

Mais, pour fonder et pour consolider parmi nous la démocratie, pour arriver au règne paisible des lois constitutionnelles, il faut terminer la guerre de la liberté contre la tyrannie, et traverser heureusement les orages de la révolution: tel est le but du système révolutionnaire que vous avez organisé. Vous devez donc encore régler votre conduite sur les circonstances orageuses où se trouve la république, et le plan de votre administration doit être le résultat de l'esprit du gouvernement révolutionnaire combiné avec les principes généraux de la démocratie.

Or, quel est le principe fondamental du gouvernement démocratique ou populaire, c'est-à-dire le ressort essentiel qui le soutient et qui le fait mouvoir? C'est la vertu : je parle de la vertu publique, qui opéra tant de prodiges dans la Grèce et dans Rome, et qui doit en produire de bien plus étonnants dans la France républicaine; de cette

vertu, qui n'est autre chose que l'amour de la patrie et de ses lois!

Mais comme l'essence de la république ou de la démocratie est l'égalité, il s'ensuit que l'amour de la patrie embrasse nécessairement l'amour de l'égalité.

il est vrai encore que ce sentiment sublime suppose la préférence de l'intérêt public à tous les intérêts particuliers; d'où il résulte que l'amour de la patrie suppose encore ou produit toutes les vertus : car que sont-elles autre chose que la force de l'âme qui rend capable de ces sacrifices? et comment l'esclave de l'avarice on de l'ambition, par exemple, pourrait-il immoler son idole à la patrie?

Non-seulement la vertu est l'âme de la démocratie, mais elle ne peut exister que dans ce gouvernement. Dans la monarchie, je ne connais qu'un individu qui peut aimer la patrie, et qui pour cela n'a pas même besoin de vertu; c'est le monarque : la raison en est que de tous les habitants de ses États le monarque est le seul qui ait une patrie. N'est-il pas le souverain au moins de fait? N'est-il pas à la place du peuple? Et qu'est-ce que la patrie, si ce n'est le pays où l'on est citoyen et membre du souverain?

Par une conséquence du même principe, dans les États aristocratiques le mot patrie ne signifie quelque chose que pour les familles patriciennes, qui ont envahi la souveraineté.

Il n'est que la démocratie où l'État est véritablement la patrie de tous les individus qui le composent, et peut comp ter autant de défenseurs intéressés à sa cause qu'il renferme de citoyens. Voilà la source de la supériorité des peu ples libres sur les autres : si Athènes et Sparte ont triomphé des tyrans de l'Asie, et les Suisses des tyrans de l'Espagne et de l'Autriche, il n'en faut point chercher d'autre

cause.

Mais les Français sont le premier peuple du monde qu. ait établi la véritable démocratie en appelant tous les

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