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niennes, étrangères à notre situation actuelle; mais avant de s'occuper des détails, il faut combiner le plan et surtout établir les principes: avant d'instituer le peuple, il faut le conserver et le constituer. Or, j'ai examiné d'après ces principes le plan de votre comité d'instruction; il ne mérite , pas d'être discuté.

Des détails minutieux, une constitution mécanique d'écoles primaires et secondaires; des maîtres de lecture, d'écriture, de géométrie; quelques institutions antiques, proposées avec faste; point de plan, ni de principes; des réminiscences historiques; point de conceptions morales ni philosophiques; des places lucratives, mises à la disposition d'un parti dominant; de nouveaux moyens de tromper l'opinion publique, livrée au gouvernement actuel : voilà tous les avantages que présente ce système. Législateurs, repoussez les ennemis de l'État; déconcertez les complots qui se renouvellent chaque jour sous nos yeux; témoignez hautement votre mépris pour l'intrigue et pour l'imposture; arrachez les rênes du pouvoir des mains de l'immoralité et de l'hypocrisie, et vous serez dignes alors de commencer le grand ouvrage de l'instruction publique.

DISCOURS SUR LA PROPRIÉTÉ, SUIVI DU PROJET COMPLET DE DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME ET DU CITOYEN.

CONVENTION.

Séance du 24 avril 1793.

Je vous proposerai d'abord quelques articles nécessaires pour compléter votre théorie sur la propriété; que ce mot n'alarme personne. Ames de boue! qui n'estimez que l'or,' je ne veux point toucher à vos trésors, quelque impure qu'en soit la source. Vous devez savoir que cette loi agraire, dont vous avez tant parlé, n'est qu'un fantôme créé par les fripons pour épouvanter les imbéciles; il ne fallait pas une

révolution sans doute pour apprendre à l'univers que l'extrême disproportion des fortunes est la source de bien des maux et de bien des crimes, mais nous n'en sommes pas moins convaincus que l'égalité des biens est une chimère. Pour moi, je la crois moins nécessaire encore au bonheur privé qu'à la félicité publique. Il s'agit bien plus de rendre la pauvreté honorable que de proscrire l'opulence. La chaumière de Fabricius n'a rien à envier au palais de Crassus. J'aimerais bien autant pour mon compte être l'un des fils d'Aristide, élevé dans le Prytannée, aux dépens de la république, que l'héritier présomptif de Xercès, né dans la fange des cours, pour occuper un trône décoré de l'avilissement des peuples, et brillant de la misère publique.

Posons donc de bonne foi les principes du droit de propriété; il le faut d'autant plus qu'il n'en est point que les préjugés et les vices des hommes aient cherché à envelopper de nuages plus épais.

Demandez à ce marchand de chair humaine ce que c'est que la propriété; il vous dira, en vous montrant cette longue bière qu'il appelle un navire, où il a encaissé et serré des hommes qui paraissent vivants : Voilà mes propriétés, je les ai achetées tant par tête. Interrogez ce gentilhomme qui a des terres et des vassaux, ou qui croit l'univers bouleversé depuis qu'il n'en a plus, il vous donnera de la propriété des idées à peu près semblables.

Interrogez les augustes membres de la dynastie capétienne; ils vous diront que la plus sacrée de toutes les propriétés est, sans contredit, le droit héréditaire dont ils ont joui de toute antiquité d'opprimer, d'avilir, et de s'assurer légalement et monarchiquement les 25 millions d'hommes qui habitaient le territoire de la France sous leur bon plaisir.

Aux yeux de tous ces gens-là, la propriété ne porte sur aucun principe de morale. Pourquoi notre déclaration des

droits semblerait-ce présenter la même erreur en définissant la liberté, « le premier des biens de l'homme, le plus sacré des droits qu'il tient de la nature. » Nous avons dit avec raison qu'elle avait pour bornes les droits d'autrui; pourquoi n'avez-vous pas appliqué ce principe à la propriété, qui est une institution sociale, comme si les lois éternelles de la nature étaient moins inviolables que les conventions des hommes? Vous avez multiplié les articles, pour assurer la plus grande liberté à l'exercice de la propriété, et vous n'avez pas dit un seul mot pour en déterminer la nature et la légitimité, de manière que votre déclaration paraît faite, non pour les hommes, mais pour les riches, pour les accapareurs, pour les agioteurs et pour les tyrans. Je vous propose de réformer ces vices en consacrant les vérités suivantes :

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Art. Ier. La propriété est le droit qu'a chaque citoyen de jouir et de disposer de la portion de biens qui lui est garantie par la loi.

II. Le droit de propriété est borné, comme tous les autres, par l'obligation de respecter les droits d'autrui.

III. Il ne peut préjudicier ni à la sûreté, ni à la liberté, ni à l'existence, ni à la propriété de nos semblables.

IV.

Toute possession, tout trafic qui viole ce principe est illicite et immoral.

Vous parlez aussi de l'impôt, pour établir le principe incontestable qu'il ne peut émaner que de la volonté du peuple ou de ses représentants; mais vous oubliez une disposition que l'intérêt de l'humanité réclame : vous oubliez de consacrer la base de l'impôt progressif. Or, en matière de contributions publiques, est-il un principe plus évidemment puisé dans la nature des choses et dans l'éternelle justice que celui qui impose aux citoyens l'obligation de contribuer aux dépenses publiques progressivement, selon l'étendue de leur fortune, c'est-à-dire selon les avantages qu'ils retirent de la société?

Je vous propose de le consigner dans un article conçu en

ces termes :

« Les citoyens dont les revenus n'excèdent point ce qui est nécessaire à leur subsistance doivent être dispensés de contribuer aux dépenses publiques; les autres doivent les supporter progressivement, selon l'étendue de leur for

tune. >>

Le comité a encore absolument oublié de consacrer les devoirs de fraternité qui unissent tous les hommes à toutes les nations, et leur droit à une mutuelle assistance. Il paraît avoir ignoré les bases de l'éternelle alliance des peuples contre les tyrans. On dirait que votre déclaration a été faite pour un troupeau de créatures humaines parqué sur un coin du globe, et non pour l'immense famille à laquelle la nature a donné la terre pour domaine et pour séjour.

Je vous propose de remplir cette grande lacune par les articles suivants. Ils ne peuvent que vous concilier l'estime des peuples; il est vrai qu'ils peuvent avoir l'inconvénient de vous brouiller sans retour avec les rois. J'avoue que cet inconvénient ne m'effraie pas; il n'effraie point ceux qui ne veulent pas se réconcilier avec eux. Voici mes quatre articles:

Art. Ier. Les hommes de tous les pays sont frères, et les différents peuples doivent s'entr'aider selon leur pouvoir, comme les citoyens du même État.

II.

Celui qui opprime une nation se déclare l'ennemi de toutes.

-

III. Ceux qui font la guerre à un peuple pour arrêter les progrès de la liberté et anéantir les droits de l'homme, doivent être poursuivis par tous, non comme des ennemis ordinaires, mais comme des assassins et des brigands rebelles.

IV. Les rois, les aristocrates, les tyrans, quels qu'ils soient, sont des esclaves révoltés contre le souverain de la

erre, qui est le genre humain, et contre le législateur de 'univers qui est la nature.

Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Les représentants du peuple français, réunis en Con vention nationale,

Reconnaissant que les lois humaines qui ne découlent point des lois éternelles de la justice et de la raison ne sont que des attentats de l'ignorance ou du despotisme contre l'humanité; convaincus que l'oubli et le mépris des droits naturels de l'homme sont les seules causes (des crimes et des malheurs du monde,

Ont résolu d'exposer, dans une déclaration solennelle, ces droits sacrés, inaliénables, afin que tous les citoyens, pouvant comparer sans cesse les actes du gouvernement avec le but de toute institution sociale, ne se laissent jamais opprimer et avilir par la tyrannie, afin que le peuple ait toujours devant les yeux les bases de sa liberté et de son bonheur; le magistrat, la règle de ses devoirs ; le législateur, l'objet de sa mission.

En conséquence, la Convention nationale proclame, à la face de l'univers, et sous les yeux du législateur immortel, la déclaration suivante des droits de l'homme et du citoyen:

Art. - Ier. Le but de toute association politique est le maintien des droits naturels et imprescriptibles de l'homme, et le développement de toutes ses facultés.

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II. Les principaux droits de l'homme sont celui de pourvoir à la conservation de son existence et de sa liberté.

III. Ces droits appartiennent également à tous les hommes, quelle que soit la différence de leurs forces physiques et morales.

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