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leurs grossiers sophismes? Et si ceux qui étaient couverts de la lèpre des anciens abus, ont trouvé des spectateurs, manquera-t-il des partisans à ceux qui auront été dépouillés de l'existence que la révolution même venait de leur assurer.

Ne dites pas qu'il ne s'agit point ici d'abolir le culte, mais de ne plus le payer. Car ceux qui croient au culte croient aussi que c'est un devoir du gouvernement de l'entretenir, et ils sentent bien que ne plus le payer, ou le laisser périr, c'est à peu près la même chose.

Quant au principe que les ministres ne doivent être payés que par ceux qui veulent les employer, il ne peut s'appliquer exactement qu'à une société, où la majorité des citoyens ne le regarde pas comme une institution publique utile; hors de là ce n'est plus qu'un sophisme. Mais qu'y a-t-il de plus funeste à la tranquillité publique que de réaliser cette théorie du culte individuel? Vous semblez craindre l'influence des prêtres; mais vous la rendrez bien plus puissante et bien plus active, puisque, dès le moment où cessant d'être les prêtres du public, ils deviennent ceux des particuliers, ils ont avec ceux-ci des rapports beaucoup plus fréquents et plus intimes.

Que peut-il résulter de cette étroite alliance entre des prêtres mécontents et des citoyens superstitieux, ou du moins assez attachés aux principes religieux, pour les pra'tiquer à leurs propres frais? Vous verrez naître mille associations religieuses, qui ne seront que des conciliabules mystiques ou séditieux, que des ligues particulières contre l'esprit public ou contre l'intérêt général; vous ressuscitez, sous des formes plus dangereuses, les confréries et toutes es corporations contraires aux principes de l'ordre public, mais pernicieuses surtout dans les circonstances actuelles, où l'esprit religieux se combinera avec l'esprit de parti et avec le zèle contre-révolutionnaire. Vous verrez les citoyens les plus riches saisir cette occasion de réunir légitimement

les partisans du royalisme sous l'étendard du culte dont ils feront les frais. Vous allez rouvrir ces églises particulières que la sagesse des magistrats avait fermées; toutes ces écoles d'incivisme et de fanatisme, où l'aristocratie irritée rassemblait ses prosélytes sous l'égide de la religion. Vous réveillez la pieuse prodigalité des fanatiques envers les prêtres dépouillés et réduits à l'indigence; vous établissez entre les uns et les autres un commerce de soins spirituels et de services temporels, également funeste aux bonnes mœurs, au bien des familles et à celui de l'Etat; enfin, vous réchauffez le fanatisme engourdi; vous rappelez à la vie la superstition agonisante, pour le seul plaisir de violer toutes les règles de la saine politique. Ne voyez-vous pas encore le signal de la discorde élevée dans chaque ville, dans chaque village surtout; les uns voudront un culte, les autres voudront s'en passer, et tous deviendront, les uns pour les autres, suivant la diversité des opinions, des objets de mépris ou de haine. Et d'ailleurs, pouvez-vous compter pour rien le manquement à la foi publique, donnée aux ministres actuels, au nom de la liberté même, par les premiers représentants du peuple, et le malheur de réduire à l'indigence un si grand nombre de citoyens? Ne craignez-vous pas que leur désastre paraisse même un sinistre présage à tous les créanciers de l'état?

Si ce système est détestable en politique, il n'est guère meilleur en finances. C'est la dernière proposition que j'ai promis de prouver.

Pour qu'une mesure financière soit bonne, il faut 1° qu'elle tende au soulagement des citoyens les plus indigents; si c'est une mesure d'économie, il faut qu'elle porte sur les dépenses les plus inutiles et qui peuvent être supprimées avec le moins d'inconvénient. Or, quoiqu'on en ait dit, loin que le système du comité soulage le peuple, il fait retomber sur lui tout le poids des dépenses du culte. Faites-y bien attention: quelle est la portion de la société qui est dégagée

de toute idée religieuse? Ce sont les riches: cette manière de voir dans cette classe d'hommes suppose chez les uns plus d'instruction, chez les autres seulement plus de corruption. Qui sont ceux qui croient à la nécessité du culte? Ce sont les citoyens les plus faibles et les moins aisés, soit parce qu'ils sont moins raisonneurs ou moins éclairés, soit aussi par une des raisons auxquelles on a attribué les progrès rapides du christianisme, savoir que la morale du fils de Marie prononce des anathêmes contre la tyrannie et contre l'impitoyable opulence, et porte des consolations à la misère et au désespoir lui-même. Ce sont donc les citoyens pauvres qui seront obligés de supporter les frais du culte, ou bien ils seront encore à cet égard dans la dépendance des riches ou dans celle des prêtres, ils seront réduits à mendier la religion, comme ils mendient du travail et du pain. Ou bien encore réduits à l'impuissance de salarier les prêtres, ils seront forcés de renoncer à leur ministère; et c'est la plus funeste de toutes les hypothèses; car, c'est alors qu'ils sentiront tout le poids de leur misère, qui semblera leur ôter tous les biens, jusqu'à l'espérance; c'est alors qu'ils accuseront ceux qui les auront réduits à acheter le droit de remplir ce qu'il regarde comme des devoirs sacrés: Vous parlez de la liberté des consciences, et ce système l'anéantit. Car réduire le peuple à l'impuissance de pratiquer la religion, ou la proscrire par une loi expresse, c'est exactement la même chose. Or, nulle puissance n'a le droit de supprimer le culte établi, jusqu'à ce que le peuple en soit luimême détrompé.

Peu importe que les opinions religieuses qu'il a embrassées soient des préjugés ou non; c'est dans son système qu'il faut raisonner.

J'ai annoncé que le projet proposé ne portait pas sur la suppression du genre de dépense le plus onéreux et le plus inutile. Pour adopter un système d'économies vraiment utiles, il faudrait embrasser le système entier des dépenses

et des dilapidations, et frapper sur les abus les plus criants. Les économies salutaires seraient celles qui rendraient impossibles les déprédations du gouvernement, en résolvant le problème encore nouveau pour nous d'une comptabilité sérieuse. Ce seraient celles qui ne laisseraient point à un seul l'administration presque arbitraire des domaines immenses de la nation, avec une dictature aussi ridicule que monstrueuse.

Les véritables économies sont celles qui assurent pa des moyens infaillibles et simples la subsistance publique. Les véritables économies sont celles qui enchaînent l'agiotage, qui proscrivent ce commerce scandaleux de l'argent, qui s'exerce sous vos yeux avec une imprudence hideuse, et qui préviennent les faux publics.

Les véritables économies seraient celles qui combleraient les gouffres dévorants qui menacent d'engloutir la fortune publique, en fixant des bornes sages à nos entreprises militaires. Il est temps de ramener votre attention sur cet objet important. Il est nécessaire que vous formiez un plan à cet égard, et que vous preniez une idée précise et du but politique de la guerre, et des moyens que vous deves employer pour l'atteindre. Si vous êtes convaincus qu'aprèz avoir affranchi les peuples voisins chez qui vous avez porté vos armes, vous devez défendre leur liberté comme une partie de la vôtre: et ramenant ensuite votre énergie à vos affaires domestiques pour fixer au milieu de nous la liberté, la paix, l'abondance et les lois, si tous les ministres et tous les généraux conforment leur conduite à ces principes, vous serez également économes et du sang et des larmes et de l'or de la nation. Mais si vous abandonnez la destinée du peuple au hasard ou à l'intrigue, vous ne ferez que creuser l'abîme où la fortune publique s'engloutira avec la liberté. La nouvelle ressource qui vous est offerte sera dévorée en un instant, avec les domaines que la ruine de la royauté a remis dans nos mains. Tous ces im

menses trésors n'auront servi qu'à enrichir la cupidité et la tyrannie, sans soulager l'indigence, sans secourir l'humanité. Législateurs, point de mesures mesquines et partielles, mais des vues générales et profondes; point d'engouement, point de précipitation, mais de la sagesse et de la maturité; point de passions ni de préjugés, mais des principes et de la raison; enfin, des lois et des mœurs! voilà la plus utile de toutes les économies; voilà le seul moyen de sauver la patrie.

OBSERVATIONS GÉNÉRALES SUR LE PROJET D'INSTRUCTION PUBLIQUE PROPOSÉ A LA CONVENTION NATIONALE.

Extrait des Lettres à ses commettants.

L'homme est bon sortant des mains de la nature: quiconque nie ce principe, ne doit point songer à instituer l'homme. Si l'homme est corrompu, c'est donc aux vices des institutions sociales qu'il faut imputer ce désordre. De ces deux vérités découlent tous les principes de l'éducation, soit publique, soit particulière.

Si la nature a créé l'homme bon, c'est à la nature qu'il faut le ramener. Si les institutions sociales ont dépravé l'homme, ce sont les institutions sociales qu'il faut réformer.

Mais quelle est la puissance qui opérera ce prodige? Je m'effraie, si ceux qui ont déjà vieilli sous le régime d'une société corrompue sont ceux qui prétendent régénérer les mœurs publiques. Suivant le cours naturel des choses, nos neveux sont destinés à être meilleurs que nous; et c'est nous qui devons les instituer. Je tremble que l'intrigue ne s'empare encore des générations futures, pour perpétuer l'empire des viccs et les malheurs de la race humaine.

Le but de la société civile est de développer les facultés

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