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Je vous propose de statuer dès ce moment sur le sort de Louis. Quant à sa femme, vous la renverrez aux tribunaux, ainsi que toutes les personnes prévenues des mêmes attentats. Son fils sera gardé au Temple, jusqu'à ce que la paix et la liberté publique soient affermies. Pour lui, je demande que la Convention le déclare, dès ce moment, traître à la nation française, criminel envers l'humanité; je demande qu'il donne un grand exemple au monde, dans le lieu même où sont morts, le 10 août, les généreux martyrs de la liberté. Je demande que cet événement mémorable scit consacré par un monument destiné à nourrir dans le cœur des peuples le sentiment de leurs droits et l'horreur des tyrans; et dans l'âme des tyrans, la terreur salutaire de la justice du peuple.

OBSERVATIONS SUR LE PROJET ANNONCÉ AU NOM DU COMITÉ DES FINANCES, DE SUPPRIMER LES FONDS AFFECTÉS AU CULTE, ADRESSÉES A LA CONVENTION NATIONALE.

Extrait des Lettres à ses commettants.

Les questions qui tiennent aux idées politiques, morales et religieuses peuvent-elles être discutées, comme de simples questions de finance ou d'économie? Non; il est même dangereux de les présenter sous ce point de vue; car jamais la sagesse du législateur, ni celle du peuple luimême, ne doit être tentée ou distraite par l'appât de l'inté rêt pécuniaire. Le plus sacré, le plus grand de tous les intérêts, c'est celui de nos mœurs et de notre liberté; mettez d'un côté cent milliards, et de l'autre une seule raison, puisée dans la cause de la révolution et de l'ordre public, ce dernier poids fera pencher la balance.

L'abolition du culte entretenu par l'état peut être consisidérée, ou dans les principes généraux ou abstraits de la

philosophie, ou dans les circonstances particulières de notre situation politique. On peut examiner ce qui est bon et utile aujourd'hui, et ce qui ne le sera que demain; on peut raisonner enfin, ou en philosophes spéculatifs, ou en philosophes hommes d'État.

Je laisse à la superstition et à la métaphysique tout ce qui leur appartient à chacune dans cette question, et je m'attache à prouver 1o que l'opération qu'on vous propose, est mauvaise en révolution, dangereuse en politique, et qu'elle n'est même pas bonne en finances.

Ce n'est pas une faible preuve des progrès de la raison humaine, que l'embarras que j'éprouve à traiter cette question, et l'espèce de nécessité où je crois me trouver de faire une profession de foi qui, dans d'autres temps ou dans d'autres lieux, n'aurait pas été impunie. Mon Dieu, c'est celui qui créa tous les hommes pour l'égalité et pour le bonheur; c'est celui qui protége les opprimés et qui extermine les tyrans; mon culte, c'est celui de la justice et de l'humanité ! Je n'aime pas plus qu'un autre le pouvoir des prêtres; c'est une chaîne de plus donnée à l'humanité. Mais c'est une chaîne invisible attachée aux esprits, et la raison seule peut la rompre. Le législateur peut aider la raison; mais il ne peut la suppléer. Il ne doit jamais rester en arrière; il doit encore moins la devancer trop vite.

Commencez donc par fixer vos regards sur les disposilions générales du peuple que vous devez instituer. Si vous les bornez à l'horizon qui vous environne, peut-être croirez-vous pouvoir tout faire; mais si vous embrassez la nation tout entière, si vous pénétrez surtout sous le toitdu laboureur et de l'artisan, vous reconnaîtrez sans doute qu'il est des bornes à votre puissance morale.

Pour moi, sous le rapport des préjugés religieux, notre situation me paraît très-heureuse, et l'opinion publique très-avancée. L'empire de la superstition est presque détruit; déjà c'est moins le prêtre qui est un objet de vénéra

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tion, que l'idée de la religion, et l'objet même du culte Déjà le flambeau de la philosophie, pénétrant jusqu'aux conditions les plus éloignées d'elle, a chassé tous les redoutables ou ridicules fantômes que l'ambition des prêtres et la politique des rois nous avait ordonné d'adorer au nom du ciel; et il ne reste plus guère dans les esprits que ces dogmes imposants qui prêtent un appui aux idées morales, et la doctrine sublime et touchante de la vertu et de l'égalité que le fils de Marie enseigna jadis à ses concitoyens. Bientôt sans doute l'évangile de la raison et de la liberté sera l'évangile du monde.

Législateurs, vous pouvez hâter cette époque par des lois générales, par une constitution libre qui éclaire les esprits, régénère les mœurs, et élève toutes les âmes à la simplicité de la nature; mais non par un décret de circonstances et par une spéculation financière. Si le peuple est dégagé de la plupart des préjugés superstitieux il n'est point disposé à regarder la religion en elle-même comme une institution indifférente ou soumise aux calculs de la politique. Le dogme de la divinité est gravé dans les esprits, et ce dogme, le peuple le lie au culte qu'il a professé jusques ici; et à ce culte, il lie au moins en partie le système de ses idées morales. Attaquer directement ce culte, c'est attenter à la moralité du peuple. Qu'une société de philosophes fonde la sienne sur d'autres bases, on le conçoit, mais les hommes qui, étrangers à leurs méditations profondes, ont appris à confondre les motifs de la vertu avec les principes de la religion, ne peuvent voir sans effroi le culte sacrifié par le gouvernement à des intérêts d'une autre nature. Si le peuple en agissait autrement, ce ne serait qu'aux dépens de ses mœurs; car quiconque renonce, par cupidiié, même à une erreur qu'il regarde coume une vérité, est déjà corrompu. Or, rappelez-vous que votre révolution est fondée sur les notions de la justice, et que tout ce qui tend à affaiblir le sentiment moral du peuple, en énerve le ressort.

Songez que le premier but des ennemis hypocrites de l'égaité fut toujours de l'étouffer, et que votre premier devoir est de l'éveiller et de l'exalter. Si vous voulez être heureux et libres, il faut que le peuple croie à sa propre vertu ; il faut qu'il croie à celle de ses représentants; il ne suffit pas qu'il dise « Mes représentants sont économes; » il faut qu'il dise: « Mes représentants sont justes et intègres », et il n'aura pas de vous cette idée, s'il vous voit immoler à des intérêts pécuniaires, des objets qu'il regarde comme sacrés. Ne dédaignez pas de vous rappeler avec quelle sagesse les plus grands législateurs de l'antiquité, ceux qui fondèrent l'empire des lois sur l'empire des mœurs, surent manier ces ressorts cachés du cœur humain; avec quel art sublime, ménageant la faiblesse ou les préjugés de leurs concitoyens, ils consentirent à faire sanctionner par le ciel l'ouvrage de leur génie tutélaire! D'autres temps, d'autres mœurs; je le sais, mais chaque siècle a ses erreurs et sa faiblesse; et quel que soit notre enthousiasme, nous ne sommes point encore arrivés aux bornes de la raison et de la vertu humaines, et nos neveux nous trouveront peut-être encore assez encroûtés d'un reste d'ignorance et de barbarie. Ce n'est pas que je croie que vous deviez employer de semblables moyens, ni que je vous conseille de respecter les préjugés, même les plus respectables par leur principe et par leurs conséquences. Mais attendez le moment où les bases sacrées de la moralité publique pourront être remplacées par les lois, par les mœurs et par les lumières publiques. Jusques-là, consolez-vous en songeant que ce que la superstition avait de plus dangereux a disparu; que la religion, dont les ministres sont stipendiés encore par la patrie, nous présente au moins une morale analogue à nos principes politiques. Si la déclaration des droits de l'humanité était déchirée par la tyrannie, nous la retrouverions encore dans ce code religieux que le despotisme sacerdotal présentait à notre vénération; et s'il faut qu'aux frais de la société en

tière les citoyens se rassemblent encore dans des temples communs devant l'imposante idée d'un être suprême, là du moins le riche et le pauvre, le puissant et le faible sont réellement égaux et confondus devant elle.

Il résulte de ce que j'ai dit, que le projet du comité des finances n'est rien moins que philosophique; si l'on parle de la philosophie qui choisit les moyens les plus sûrs d'être utile aux hommes. Mais combien paraîtra-t-il impolitique, si vous prévoyez les conséquences nécessaires qu'il doit entraîner! Formez-vous une idée juste de votre situation. Vous êtes précisément au moment le plus difficile de la crise révolutionnaire. L'ancien gouvernement n'est plus; le nouveau n'existe pas encore. La république est proclamée, plutôt qu'établie; notre pacte social est à faire; et nos lois ne sont encore que le code provisoire et incohérent que la tyrannie royale et constitutionnelle nous a transmis; l'esprit de faction s'éveille, et tous les ennemis de l'égalité se rallient; vous avez à la fois à prévenir les sourdes menées de l'intrigue, et la ligue des tyrans à exterminer. Est-ce là le moment qu'il faut choisir pour jeter au milieu de nous de nouveaux fermens de troubles et de discorde, et pour mettre de nouvelles armes entre les mains de la malveillance ou du fanatisme? A peine délivrés des maux que nous a causés la vengeance des anciens ecclésiastiques, votre intention est-elle de les renouveler? Voulez-vous créer une nouvelle génération de prêtres réfractaires? Et, si nous avons eu tant de peine à déterminer une grande partie du peuple à accepter les nouveaux prêtres à la place des anciens, en conservant le culte lui-même; s'il a fallu tant d'efforts et d'instructions pour lui persuader que la religion était indépendante des changements apportés dans l'état de ses ministres, que penserait-il s'il voyait périr le culte luimême? Les nouveaux ministres seront-ils moins ardents ou moins habiles à le circonvenir? Seront-ils moins dangereux avec leurs arguments spécieux, que les autres avec

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