Page images
PDF
EPUB

1

chaînes de sa patrie, ou dans le calme plus affreux de la servitude? Ne troublons donc pas le quiétisme politique de ces heureux patriotes; mais qu'ils apprennent que, sans perdre la tête, nous pouvons mesurer toute la profondeur de l'abîme. Arborons la devise du palatin de Posnanie; elle est sacrée, elle nous convient. Je préfère les orages de la liberté au repos de l'esclavage. Prouvons aux tyrans de la terre que la grandeur des dangers ne fait que redoubler notre énergie, et qu'à quelque degré que montent leur audace et leurs forfaits, le courage des hommes libres s'élève encore plus haut. Qu'il se forme contre la vérité des ligues nouvelles, elles disparaîtront: la vérité aura seulement une plus grande multitude d'insectes à écraser sous sa massue. Si le moment de la liberté n'était pas encore arrivé, nous aurions le courage patient de l'attendre; si cette génération n'était destinée qu'à s'agiter dans la fange des vices où le despotisme l'a plongée; si le théâtre de notre Révolution ne devait montrer aux yeux de l'univers que les préjugés aux prises avec les préjugés, les passions avec les passions, l'orgueil avec l'orgueil, l'égoïsme avec l'égoïsme, la perfidie avec la perfidie, la génération naissante, plus pure, plus fidèle aux lois sacrés de la nature, commencera à purifier cette terre souillée par le crime; elle apportera non la paix du despotisme, ni les honteuses agitations de l'intrigue, mais le feu sacré de la liberté, et le glaive exterminateur des tyrans; c'est elle qui relèvera le trône du peuple, dressera des autels à la vertu, brisera le piédestal du charlatanisme, et renversera tous les monuments du vice et de la servitude. Doux et tendre espoir de l'humanité, postérité naissante, tu ne nous es point étrangère; c'est pour toi que nous affrontons tous les coups de la tyrannie; c'est ton bonheur qui est le prix de nos pénibles combats découragés souvent par les objets qui nous environnent, nous sentons le besoin de nous élancer dans ton sein; c'est à toi que nous confions le soin d'achever

notre ouvrage, et la destinée de toutes les générations l'hommes qui doivent sortir du néant! que le mensonge et le vice s'écartent à ton aspect; que les premières leçons de l'amour maternel te préparent aux vertus des hommes libres; qu'au lieu des chants empoisonnés de la volupté, retentissent à tes oreilles les cris touchants et terribles des victimes du despotisme; que les noms des martyrs de la liliberté occupent dans ta mémoire la place qu'avaient usurpée dans la nôtre ceux des héros de l'imposture et de l'aristocratie; que tes premiers spectacles soient le champ de la félération inondé du sang des plus vertueux citoyens; que ton imagination ardente et sensible erre au milieu des calavres des soldats de Chateau-Vieux, sur ces galères horriples où le despotisme s'obstine à retenir les malheureux que réclament le peuple et la liberté; que ta première passion soit le mépris des traîtres et la haine des tyrans; que ta devise soit Protection, amour, bienveillance pour les malheureux, guerre éternelle aux oppresseurs! Postérité naissante, hâte-toi de croître et d'amener les jours de l'égaité, de la justice, et du bonheur!

SUR LE PARTI A PRENDRE A L'ÉGARD DE LOUIS XVI

CONVENTION.

Séance du 3 décembre 1792.

L'Assemblée a été entraînée, à son insu, loin de la véritable question. Il n'y a point ici de procès à faire. Louis n'est point un accusé; vous n'êtes point des juges; vous n'êtes, vous ne pouvez être que des hommes d'État et les représentants de la nation. Vous n'avez point une sentence à rendre pour ou contre un homme : mais une mesure de salut public à prendre, un acte de providence nationale à exercer. Un roi détrôné, dans la république, n'est bon qu'à deux usages, ou à troubler la tranquillité de l'État, et

à ébranler la liberté; ou à affermir l'une et l'autre. Or, je soutiens que le caractère qu'a pris jusqu'ici votre délibération va directement contre ce but.

En effet, quel est le parti que la saine politique prescrit pour cimenter la république naissante? c'est de graver profondément dans les cœurs le mépris de la royauté, et de frapper de stupeur tous les partisans du roi. Donc, présenter à l'univers son crime comme un problème; sa cause comme l'objet de la discussion la plus imposante, la plus religieuse, la plus difficile qui puisse occuper les représentants du peuple français, mettre une distance incommensurable entre le seul souvenir de ce qu'il fut, et la dignité d'un citoyen; c'est précisément avoir trouvé le secret de le rendre encore dangereux à la liberté.

Louis fut roi, et la république est fondée; la question fameuse qui vous occupe est décidée par ces seuls mots. Louis a été détrôné par ses crimes; Louis dénonçait le peuple français comme rebelle; il a appelé, pour le châtier, les armes des tyrans, ses confrères; la victoire et le peuple ont décidé que lui seul était rebelle: Louis ne peut donc être jugé; il est déjà jugé. Il est condamné, ou la république n'est point absoute. Proposer de faire le procès à Louis XVI, de quelque manière que ce puisse être, c'est rétrograder vers le despotisme royal et constitutionnel; c'est une idée contre-révolutionnaire; car c'est mettre la révolution ellemême en litige. En effet, si Louis peut être encore l'objet d'un procès, Louis peut être absous; il peut être innocent. Que dis-je? Il est présumé l'être jusqu'à ce qu'il soit jugé. Mais si Louis est absous, si Louis peut être présumé innocent, que devient la révolution? Si Louis est innocent, tous les défenseurs de la liberté deviennent des calomniateurs. Tous les rebelles étaient les amis de la vérité et les défenseurs de l'innocence opprimée; tous les manifestes des cours étrangères ne sont que des réclamations légitimes contre une faction dominatrice. La détention même que Louis a

subie jusqu'à ce moment est une vexation injuste; les fédérés, le peuple de Paris, tous les patriotes de l'empire français sont coupables; et ce grand procès pendant au tribunal de la nature entre le crime et la vertu, entre la liberté et la tyrannie, est enfin décidé en faveur du crime et de la tyrannie. Citoyens, prenez-y garde; vous êtes ici trompés par de fausses notions; vous confondez les règles du droit civil et positif avec les principes du droit des gens; vous confondez les relations des citoyens entre eux avec les rapports des nations à un ennemi qui conspire contre elle; vous confondez encore la situation d'un peuple en révolution avec celle d'un peuple dont le gouvernement est affermi; vous confondez une nation qui punit un fonctionnaire public, en conservant la forme du gouvernement, et celle qui détruit le gouvernement lui-même. Nous rapportons à des idées qui nous sont familières un cas extraordinaire qui dépend des principes que nous n'avons jamais appliqués. Ainsi, parce que nous sommes accoutumés à voir les délits dont nous sommes les témoins, jugés selon des règles uniformes, nous sommes naturellement portés à croire que, dans aucune circonstance, les nations ne peuvent avec équité, sévir autrement contre un homme qui a violé leurs droits, et où nous ne voyons point un juré, un tribunal, une procédure, nous ne trouvons point la justice. Ces termes mêmes que nous appliquons à des idées différentes de celles qu'ils expriment dans l'usage, achèvent de nous tromper. Tel est l'empire naturel de l'habitude, que cous regardons les plus arbitraires, quelquefois même les institutions les plus défectueuses, comme la règle la plus absolue du vrai ou du faux, du juste ou de l'injuste. Nous ne songeons pas même que la plupart tiennent encore nécessairement aux préjugés dont le despotisme nous a nourris; nous avons été si longtemps courbés sous son joug que nous nous relevons difficilement jusqu'aux principes éternels de la raison; que tout ce qui remonte à la source sa

crée de toutes les lois semble prendre à nos yeux un caractère illégal, et que l'ordre même de la nature nous paraît un désordre. Les mouvements majestueux d'un grand peuple, les sublimes élans de la vertu se présentent souvent à nos yeux timides comme les éruptions d'un volcan ou le renversement de la société politique; et certes ce n'est pas la moindre cause des troubles qui nous agitent, que cette contradiction éternelle entre la faiblesse de nos mœurs, la 'dépravation de nos esprits, et la pureté des principes, l'énergie des caractères que suppose le gouvernement libre auquel nous osons prétendre.

Lorsqu'une nation a été forcée de recourir au droit de l'insurrection, elle rentre dans l'état de la nature à l'égard du tyran. Comment celui-ci pourrait-il invoquer le pacte social? Il l'a anéanti. La nation peut le conserver encore, si elle le juge à propos, pour ce qui concerne les rapports des citoyens entre eux mais l'effet de la tyrannie et de l'insurrection, c'est de le rompre entièrement par rapport au tyran; c'est de les constituer réciproquement en état de guerre; les tribunaux, les procédures judiciaires sont faites pour les membres de la cité. C'est une contradiction grossière de supposer que la constitution puisse présider à ce nouvel état de choses; ce serait supposer qu'elle survit elle-même. Quelles sont les lois qui la remplacent? Celles de la nature, celle qui est la base de la société même; le salut du peuple. Le droit de punir le tyran et celui de le détrôner, c'est la même chose. L'un ne comporte pas d'autres formes que l'autre; le procès du tyran, c'est l'insurrection; son jugement, c'est la chute de sa puissance; sa peine celle qu'exige la liberté du peuple.

Les peuples ne jugent pas comme les cours judiciaires; ils ne rendent point de sentence, ils lancent la foudre. ils ne condamnent pas les rois, ils les replongent dans le néant; et cette justice vaut bien celle des tribunaux. Si c'est pour leur salut qu'ils s'arment contre leurs oppres

« PreviousContinue »