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Pourquoi craindrais-je de présenter la vérité aux représentants du peuple? pourquoi oublierais-je que défendre devant eux la cause sacrée des hommes et la souveraineté inviolable des nations, avec toute la franchise qu'elle exige, c'est à la fois flatter le plus doux de leurs sentiments et rendre le plus noble hommage à leurs vertus? D'ailleurs, l'univers ne sait-il pas que votre véritable vœu,' que votre véritable décret même est la prompte révocation des dispositions dont je parle; et que c'est en effet l'opinion de la majorité de l'Assemblée nationale que je défends, en les combattant? Je le déclare donc; de semblables décrets n'ont pas même besoin d'être révoqués expressément, ils sont essentiellement nuls, parce qu'aucune puissance humaine, pas même la vôtre, n'était compétente pour les porter. Le pouvoir des représentants, des mandataires d'un peuple est nécessairement déterminé par la nature et par l'objet de leur mandat. Or quel est votre mandat? De faire des lois pour rétablir et pour cimenter les droits de vos commettants; il ne vous est donc pas possible de les dépouiller de ces mêmes droits. Faites-y bien attention: ceux qui vous ont choisis, ceux par qui vous existez, n'étaient pas des contribuables au marc d'argent, à trois, à dix journées de contributions directes; c'étaient tous les Français, c'est-à-dire tous les hommes nés et domiciliés en France, ou naturalisés, payant une imposition quelconque.

Le despotisme lui-même n'avait pas osé imposer d'autres conditions aux citoyens qu'il convoquait . Comment donc pouviez-vous dépouiller une partie de ces hommeslà, à plus forte raison la plus grande partie d'entre eux, de ces mêmes droits politiques qu'ils ont exercés en vous envoyant à cette Assemblée, et dont ils nous ont confié la garde? Vous ne le pouvez pas sans détruire vous-mêmes

1. Voyez le réglement de la convocation des états-généraux.

votre pouvoir, puisque votre pouvoir n'est que celui de vos commettants. En portant de pareils décrets vous n'agiriez pas comme représentants de la nation; vous agiriez directement contre ce titre : vous ne feriez point de lois; vous frapperiez l'autorité législative dans son principe. Les peuples mêmes ne pourraient jamais ni les autoriser ni les adopter, parce qu'ils ne peuvent jamais renoncer ni à l'égalité, ni à la liberté, ni à leur existence comme peuple, ni aux droits inaliénables de l'homme. Aussi, messieurs, quand vous avez formé la résolution, déjà bien connue, de les révoquer, c'est moins parce que vous en avez reconnu la nécessité, que pour donner à tous les législateurs et à tous les dépositaires de l'autorité publique un grand exemple du respect qu'ils doivent aux peuples, pour couronner tant de lois salutaires, tant de sacrifices généreux, par le magnanime désaveu d'une surprise passagère, qui ne changea jamais rien ni à vos principes, mi à votre volonté constante et courageuse pour le bonheur des hommes.

Que signifie donc l'éternelle objection de ceux qui vous disent qu'il ne vous est permis dans aucun cas de changer vos propres décrets? Comment a-t-on pu faire céder à cette prétendue maxime cette règle inviolable, que le salut du peuple et le bonheur des hommes est toujours la loi suprême, et imposer aux fondateurs de la constitution française celle de détruire leur propre ouvrage, et d'arrêter ies glorieuses destinées de la nation et de l'humanité entière, plutôt que de réparer une erreur dont ils connaissent tous les dangers. Il n'appartient qu'à l'être essentiellement infaillible d'être immuable: changer est non-seulement un droit, mais un devoir pour toute volonté humaine qui a failli. Les hommes qui décident du sort des autres hommes sont moins que personne exempts de cette obligation commune. Mais tel est le malheur d'un peuple qui passe rapidement de la servitude à la liberté, qu'il transporte,

sans s'en apercevoir, au nouvel ordre de choses, les préjugés de l'ancien dont il n'a pas encore eu le temps de se défaire; il est certain que ce système de l'irrévocabilité absolue des décisions du corps législatif n'est autre chose qu'une idée empruntée au despotisme. L'autorité ne peut reculer sans se compromettre, disait-il, quoiqu'en effet elle ait été forcée quelquefois de reculer. Cette maxime Clait bonne en effet pour le despotisme, dont la puissance oppressive ne pouvait se soutenir que par l'illusion et la terreur; mais l'autorité tutélaire des représentaats de la nation, fondée à la fois sur l'intérêt général et sur la force de la nation même, peut réparer une erreur funeste, sans courir d'autre risque que de réveiller les sentiments de la confiance et de l'admiration qui l'environnent; elle ne peut se compromettre que par une persévérance invincible dans Jes mesures contraires à la liberté, et réprouvées par l'opinion publique. Il est cependant quelques décrets que vous ne pouvez point abroger, ce sont ceux qui renferment la déclaration des droits de l'homme, parce que ce n'est point vous qui avez fait ces lois; vous les avez promulguées. Ce sont ces décrets immuables du législateur éternel, déposés dans la raison et dans le cœur de tous les hommes avant que vous les eussiez inscrits dans votre code, que je réclame, contre des dispositions qui les blessent et qui doivent disparaître devant eux. Vous avez ici à choisir entre les uns et les autres, et votre choix ne peut être incertain d'après vos propres principes. Je propose à l'Assemblée nationale le projet de décret suivant:

« L'Assemblée nationale, pénétrée d'un respect religieux pour les droits des hommes, dont le maintien doit étre Polt de toutes les institutions politiques;

Convaincue qu'une constitution faite pour assurer la liberté du peuple français, et pour influer sur celle du monde, doit être surtout établie sur ce principe;

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Déclaro que tous les Français, c'est-à-dire tous les

hommes nés et domiciliés en France, ou naturalisés, doi. vent jouir de la plénitude et de l'égalité des droits du citoyen, et sont admissibles à tous les emplois publics, sans autre distinction que celle des vertus et des talents 1. »>

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Robespierre revenant encore sur cette importante question dans la séance du 11 août 1791, disait : « Vous avez reconnu que tous les citoyens étaient admissibles à toutes les fonctions, sans autre distinction que celle des vertus et des talents. A quoi nous sert cette promesse, puisqu'elle a été violée sur-le-champ? Que nous importe qu'il n'y ait plus de noblesse féodale, si vous y substituez une distinction plus réelle, à laquelle vous attachez un droit politique ? Et que m'importe à moi qu'il n'y ait plus d'armoiries, s'il faut que je voie naître une nouvelle classe d'hommes à laquelle je serai exclusivement obligé de donner ma confiance? Cette contradiction permettrait de douter de votre bonne foi et de votre loyauté. (Les tribunes applaudissent.) Je conviens cependant qu'il faut une garantie qui rassure contre les électeurs; mais est-ce la richesse? L'indépendance et la probité se mesurent-elles sur la fortune? Un artisan, un laboureur, qui paient dix journées de travail,. voilà des hommes plus indépendants que le riche, paree que leurs besoins sont encore plus bornés que leurs fortunes. Quoique ces idées soient morales, elles n'en sont pas moins dignes d'être présentées à l'Assemblée. (On rit et on murmure. - Une voix s'élève : C'est trop fort, M. Robespierre!) D'après les principes de vos comités, nous devrions rougir d'avoir élevé une statue à J.-J. Rousseau, parce qu'il ne payait pas le marc d'argent. Apprenez à reconnaître la dignité d'homme dans tout être qui n'est pas noté d'infamie. Il n'est pas vrai qu'il faille être riche pour tenir à son pays; la loi est faite pour protéger les plus faibles; et n'est-il pas injuste qu'on leur ôte toute influence dans sa confection ? Pour vous décider, réfléchissez quels sont ceux qui vous ont envoyés ? Étaient-ils calculés sur un marc d'argent? Je vous rappelle au titre de votre convocation: «Tout Français ou naturalisé Français, payant une imposition quelconque, devra être admis à choisir les électeurs.» Nous ne sommes donc pas purs, puisque nous avons été choisis par des électeurs qui ne payaient rien. (On applaudil

SUR L'ABOLITION DE LA PEINE DE MORT

CONSTITUANTE.

Séance du 30 mai 1791.

La nouvelle ayant été portée à Athènes que des citoyens avaient été condamnés à mort dans la ville d'Argos, on courut dans les temples et on conjura les dieux de détourner des Athéniens des pensées si cruelles et si funestes. Je viens prier, non les dieux, mais les législateurs, qui doivent être les organes et les interprètes des lois éternelles que la divinité a dictées aux hommes, d'effacer du code des Français les lois de sang qui commandent des meurtres juridiques, et que repoussent leurs mœurs et leur constitution nouvelle. Je veux leur prouver : 1o que la peine de mort est essentiellement injuste; 2o qu'elle n'est pas la plus réprimante des peines, et qu'elle multiplie les crimes beaucoup plus qu'elle ne les prévient.

Hors de la société civile, qu'un ennemi acharné 'vienne attaquer mes jours, ou que, repoussé vingt fois, il revienne encore ravager le champ que mes mains ont cultivé, puisque je ne puis opposer que mes forces individuelles aux siennes, il faut que je périsse ou que je le tue; et la loi de la défense naturelle me justifie et m'approuve. Mais la société, quand la force de tous est armée contre un seul, quel principe de justice peut l'autoriser à lui donner la mort? Quelle nécessité peut l'en absoudre? Un vainqueur qui fait mourir ses ennemis captifs est appelé barbare! Un homme qui fait égorger un enfant, qu'il peut désarmer et punir, paraît un monstre! Un accusé que la société condamne n'est tout au plus pour elle qu'un ennemi vaincu et impuissant; il est devant elle plus faible qu'un enfant devant un homme fait.

Ainsi, aux yeux de la vérité et de la justice, ces scènes de mort qu'elle ordonne avec tant d'appareil ne sont autre

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