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et, en dernier résultat, la liberté de la presse ne sera que le fléau du vice et de l'imposture, et le triomphe de la vertu et de la vérité.

Le dirai-je enfin! ce sont nos préjugés, c'est notre corruption qui nous exagère les inconvénients de ce système nécessaire. Chez un peuple où l'égoïsme a toujours régné, où ceux qui gouvernent, où la plupart des citoyens qui ont usurpé une espèce de considération où de crédit, sont forcés à s'avouer intérieurement à eux-mêmes qu'ils ont besoin non-seulement de l'indulgence, mais de la clémence publique, la liberté de la presse doit nécessairement inspirer une certaine terreur, et tout système qui tend à la gêner, trouver une foule de partisans qui ne manquent pas de le présenter sous les dehors spécieux du bon ordre et de l'intérêt public.

A qui appartient-il plus qu'à vous, législateurs, de triompher de ce préjugé fatal qui ruinerait et déshonorerait à la fois votre ouvrage? Que tous ces libelles répandus autour de vous par les factions ennemies du peuple ne soient point pour vous une raison de sacrifier aux circonstances du moment les principes éternels sur lesquels doit reposer la liberté des nations. Songez qu'une loi sur la presse ne réparerait point le mal, et vous enlèverait le remède. Laissez passer ce torrent fangeux, dont il ne restera bientôt plus aucune trace, pourvu que vous conserviez cette source immense et éternelle de lumières qui doit répandre sur le monde politique et moral la chaleur, la force, le bonheur et la vie. N'avez-vous pas déjà remarqué que la plupart des dénonciations qui vous ont été faites étaient dirigées, non contre ces écrits sacriléges où les droits de l'humanité sont attaqués, où la majesté du peuple est outragée, au nom des despotes, par des esclaves lâchement audacieux; mais contre ceux que l'on accuse de défendre la cause de la liberté avec un zèle exagéré et irrespectueux envers les despotes? n'avez-vous pas remarqué qu'elles vous

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ont été faites par des hommes qui réclament amèrement contre des calomnies que la voix publique a mises au rang des vérités, et qui se taisent sur les blasphèmes séditieux que leurs partisans ne cessent de vomir contre la nation et contre ses représentants? Que tous mes concitoyens m'accusent et me punissent comme traître à la patrie, si jamais je vous dénonce aucun libelle, sans en excepter ceux où couvrant mon nom des plus infâmes calomnies, les ennemis de la révolution me désignent à la fureur des factieux comme l'une des victimes qu'elle doit frapper! Eh! que nous importent ces méprisables écrits? Ou bien la nation française approuvera les efforts que nous avons faits pour assurer la liberté, ou elle les condamnera. Dans le premier cas, les attaques de nos ennemis ne seront que ridicules; dans le second cas, nous aurons à expier le crime d'avoir pensé que les Français étaient dignes d'être libres, et, pour mon compte, je me résigne volontiers à cette destinée.

Enfin faisons des lois, non pour un moment, mais pour les siècles; non pour nous, mais pour l'univers. Montronsnous dignes de fonder la liberté, en nous attachant invariablement à ce grand principe, qu'elle ne peut exister là où elle ne peut s'exercer avec une étendue illimitée sur la conduite de ceux que le peuple a armés de son autorité. Que devant lui disparaissent tous ces inconvénients attachés aux plus excellentes institutions, tous ces sophismes inventés par l'orgueil et par la fourberie des tyrans. Il faut, vous disent-ils, mettre ceux qui gouvernent à l'abri de la calomnie; il importe au salut du peuple de maintenir le respect qui leur est dû. Ainsi auraient raisonné les Guises contre ceux qui auraient dénoncé les préparatifs de la Saint-Barthélemi; ainsi raisonneront tous leurs pareils, parce qu'ils savent bien que tant qu'ils seront tout-puissants, les vérités qui leur déplaisent seront toujours des calomnies, parce qu'ils savent bien que ce respect superstitieux qu'ils réclament pour leurs fautes et pour leurs forfaits mêmes,

leur assure le pouvoir de violer impunément celui qu'ils doivent à leur souverain, au peuple qui mérite sans doute autant d'égards que ses délégués et ses oppresseurs. Mais qui voudra à ce prix, osent-ils dire encore, qui voudra être roi, magistrat, qui voudra tenir les rênes du gouvernement? Qui? les hommes vertueux, dignes d'aimer leur patrie et la véritable gloire, qui savent bien que le tribunal de l'opinion publique n'est redoutable qu'aux méchants. Qui encore? les ambitieux mêmes. Et plût à Dieu qu'il y eût sur la terre un moyen de leur faire perdre l'envie ou l'espoir de tromper ou d'asservir les peuples!

En deux mots, il faut ou renoncer à la liberté, ou consentir à la liberté indéfinie de la presse. A l'égard des personnes publiques, la question est décidée.

Il ne nous reste plus qu'à la considérer par rapport aux personnes privées. On voit que cette question se confond avec celle du meilleur système de législation sur la calomnie, soit verbale, soit écrite, et qu'ainsi elle n'est plus uniquement relative à la presse.

Il est juste sans doute que les particuliers attaqués par la calomnie puissent poursuivre la réparation du tort qu'elle leur a fait; mais il est utile de faire quelques observations sur cet objet.

Il faut d'abord considérer que nos anciennes lois sur ce point sont exagérées, et que leur rigueur est le fruit évident de ce système tyrannique que nous avons développé, et de cette terreur excessive que l'opinion publique inspire au despotisme qui les a promulguées. Comme nous les envisageons avec plus de sang-froid, nous consentirons volontiers à modérer le code pénal qu'il nous a transmis; il me semble du moins que la peine qui sera prononcée contre les auteurs d'une inculpation calomnieuse doit se borner à la publicité du jugement qui la déclare telle? et à la réparation pécuniaire du dommage qu'elle aura causé à celui qui en était l'objet. On sent bien que je ne comprends

pas dans cette classe le faux témoignage contre un accusé, parce que ce n'est point ici une simple calomnie, une simple offense envers un particulier; c'est un mensonge fait à la loi pour perdre l'innocence, c'est un véritable crime public.

En général, quant aux calomnies ordinaires, il y a deux espèces de tribunaux pour les juger, celui des magistrats et celui de l'opinion publique. Le plus naturel, le plus équitable, le plus compétent, le plus puissant, c'est sans contredit le dernier; c'est celui qui sera préféré par les hommes les plus vertueux et les plus dignes de braver les attaques de la haine et de la méchanceté; car il est à remarquer, qu'en général l'impuissance de la calomnie est en raison de la probité et de la vertu de celui qu'elle attaque; et que plus un homme a le droit d'appeler à l'opinion, moins il a le besoin d'invoquer la protection du juge: il ne se déterminera donc pas facilement à faire retentir les tribunaux des injures qui lui auront été adressées, et il ne les occupera de ses plaintes que dans les occasions importantes où la calomnie sera liée à une trame coupable ourdie pour lui causer un grand mal, et capable de ruiner la réputation même la plus solidement affermie. Si l'on suit ce principe, il y aura moins de procès ridicules, moins de déclamations sur l'honneur, mais plus d'honneur, surtout plus d'honnèteté et de vertu.

Je borne ici mes réflexions sur cette troisième question, qui n'est pas le principal objet de cette discussion, et je vous propose de cimenter la première base de la liberté par e décret suivant.

L'Assemblée nationale déclare:

10 Que tout homme a le droit de publier ses pensées, par quelques moyens que ce soit; et que la liberté de la presse ne peut être gênée ni limitée en aucune manière.

20 Que quiconque portera atteinte à ce droit doit être regardé comme concmi de la liberté, et puni par la plus

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grande des peines qui seront établies par l'Assemblée nationale.

30 Pourront néanmoins les particuliers qui auront été calomniés se pourvoir pour obtenir la réparation du dommage que la calomnie leur aura causé, par les moyens que l'Assemblée nationale indiquera 1.

SUR LE DROIT DE TESTER

CONSTITUANTE.

Séance du 5 avril 1791.

Vous avez décrété que l'égalité serait la base des successions. Permettrez-vous que cette loi soit violée par la volonté particulière de l'homme? Conserverez-vous la faculté de disposer, et quelles en seront les bornes? Il est bon de jeter un coup d'œil sur l'état actuel de la législation sur ce point. Dans certains pays la faculté de tester a la plus grande latitude; dans d'autres elle est interdite avec rigueur : c'est

1. Robespierre reproduisit à la tribune de l'Assemblée constituante les principales idées émises dans ce discours, lors de la discussion des articles constitutionnels sur la liberté de la presse (séance du 22 août 1791). Voici quel était l'exorde de ce discours : « Par cela même que la liberté de la presse fut toujours regardée comme le seul frein du despotisme, il en est résulté que les principes sur lesquels elle est fondée ont été méconnus et obscurcis par les gouvernements despotiques, c'est-à-dire dans presque tous les gouvernements. Le moment d'une révolution est peut-être celui où ces principes peuvent être développés avec le moins d'avantage, parce qu'alors chacun se ressouvient douloureusement des blessures que lui a faites la liberté de la presse; mais nous sommes dignes de nous élever au-dessus des préjugés et de tous les intérêts personnels. › — Robespierre sut-il toujours s'élever ainsi au-dessus des préjugés et des intérêts personrels? Et ne fit-il pas céder trop souvent la liberté de la presse, aussi bien que toutes les autres, devant des considérations de salut public, repoussées solennellement dans ce discours?

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