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On reprend la discussion.

Vadier recommence les récriminations contre Robespierre, et rappelant l'affaire de Catherine Théos, il dit qu'on lui faisait l'honneur d'un culte nouveau. Il lui reproche ses vexations contre les patriotes: « A entendre Robespierre, il est le défenseur unique de la liberté; il en désespère, il va tout quitter; il est d'une modestie rare, et il a pour refrain perpétuel : « Je suis opprimé, on m'interdit la parole; » et il n'y a que lui qui parle utilement, car sa volonté est toujours faite. Il dit : « un tel conspire contre moi, qui suis l'ami par excellence de la république, donc il conspire contre la république. » Cette logique est neuve.

Tallien demande la parole pour ramener la discussion à son vrai point.

ROBESPIERRE: Je saurai l'y ramener (on murmure).

La Convention accorde la parole à Tallien, qui trouve toute la conspiration de Robespierre dans son discours prononcé la veille à la Convention et répété aux Jacobins, et qui énumère les actes d'oppression particuliers dont il fait remonter la responsabilité à Robespierre.

Robespierre interrompt, au milieu des violents murmures de l'Assemblée.

LOUCHET demande le décret d'arrestation contre Robespierre.

LOSEAU Il est constant que Robespierre a été dominateur; je demande par cela seul le décret d'accusation.

ROBESPIERRE JEUNE Je suis aussi coupable que mon frère; je partage ses vertus. Je demande aussi le décret d'arrestation contre moi.

"

« Robespierre, dit le Moniteur, apostrophe le président (Thuriot) et les membres de l'Assemblée dans les termes les plus injurieux. » On connaît le mot fameux : « Président, d'assassins, je demande la parole. »

L'arrestation de Robespierre est décrétée, ainsi que celle de Saint-Just, Couthon, Robespierre jeune. Fréron s'écrie

alors: Citoyens collègues, la patrie, en ce jour, et la liberté sont sorties de leurs ruines.»-Robespierre : « Oui, car les brigands triomphent. »>

GOLLOT-D'HERBOIS : « Citoyens, il est vrai de le dire, vous venez de sauver la patrie. Vos ennemis disaient qu'il fallait encore une insurrection du 31 mai. »

ROBESPIERRE : « Il en a menti. » L'Assemblée fait éclater la plus vive indignation. On réclame l'exécution du décret d'arrestation, et les accusés sont amenés pendant que Collotd'Herbois poursuit son discours, reprochant à Robespierre et à Saint-Just d'avoir accusé et poursuivi « tous les hommes courageux qui s'opposaient au despotisme de ces nouveaux tyraus. >>>

Nous empruntons à la biographie de Robespierre, par M. Hamel, le récit de son dernier jour :

« Conduit d'abord au Luxembourg, où il avait été refusé par le concierge, Robespierre s'était fait mener à l'administration de la police, dont les bureaux occupaient quai des Orfèvres l'hôtel de la préfecture de police récemment démoli. Ce fut là que Coffinhal le délivra presque de force, pour le conduire à l'Hôtel-de-Ville, où, à la nouvelle des événements, le maire Fleuriot Lescot et l'agent national Payan, qui n'avaient pas balancé un instant à prendre parti pour Robespierre, avaient convoqué les membres de la commune. Là, furent menés aussi Robespierre jeune, Saint-Just, Couthon et Lebas. Au dehors, Henriot parcourait la ville en criant qu'on voulait perdre les meilleurs patriotes, et tel était l'ascendant moral de Robespierre qu'un moment son influence balança celle de la Convention tout entière. Pour la détruire, les thermidoriens furent obligés de recourir à un mensonge; ils firent courir le bruit que Robespierre venait d'être convaincu de conspirer pour les Bourbons, et prétendirent qu'on avait trouvé chez lui un cachet à fleurs de lis. Cependant, à la commune, on le conjurait d'adresser une proclamation au peuple et à l'armée;

mais «< au nom de qui? » demanda Robespierre, qui donna en ce moment une dernière preuve de son respect pour la Constitution. On était enfin parvenu à obtenir qu'il signât un appel à la section des piques, rédigé par Lerebours, commissaire de la commission des secours publics; déjà il avait écrit deux lettres de son nom, quand un gendarme du nom de Méda pénétra dans la salle du conseil, et tira sur lui à bout portant un coup de pistolet, qui lui brisa la mâchoire. Cet assassinat mit fin à la résistance de la commune; il était alors une heure et demie du matin. Transporté sur une civière au comite de sûreté générale, Robespierre y fut l'objet de toutes sortes d'insultes. Pas une plainte ne s'échappa de sa bouche dans ces cruels instants; son calme ne se démentit pas une minute. »

Le 10 thermidor au soir, on dressa exceptionnellement l'échafaud sur la place de la Révolution, d'où on l'avait banni depuis quelque temps, et les têtes de Robespierre et de ses amis tombèrent « au milieu des acclamations d'un peuple immense et des cris mille fois répétés de: Vive la République! Vive la Convention! »>

« Robespierre mourut pauvre comme il avait vécu, dit M. Hamel. On ne trouva chez lui qu'un assignat de cinquante livres et quelques mandats pour son indemnité de député à l'Assemblée constituante qu'il avait négligé de toucher. Il avait trente-six ans et trois mois. »

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ŒUVRES

DE

ROBESPIERRE

SUR LA LIBERTÉ DE LA PRESSE +

Après la faculté de penser, celle de communiquer ses pensées à ses semblables est l'attribut le plus frappant qui distingue l'homme de la brute. Elle est tout à la fois le signe

1. Les idées de Robespierre sur la liberté de la presse se trouvent résumées dans ce discours, qui avait été composé pour être prononcé à la tribune de l'Assemblé nationale, et qui ne le fut pas faute d'occasion sans doute. Il parut en brochure sous ce titre : Discours sur la liberté de la presse. Paris, de l'Impr. nationale, 1791, in-8° de 23 p.

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de la vocation immortelle de l'homme à l'état social, le lien, l'âme, l'instrument de la société, le moyen unique de la perfectionner, d'atteindre le degré de puissance, de lumière et de bonheur dont il est susceptible.

Qu'il les communique par la parole, par l'écriture ou par l'usage de cet art heureux qui a reculé si loin les bornes de son intelligence, et qui assure à chaque homme les moyens de s'entretenir avec le genre humain tout entier, le droit qu'il exerce est toujours le mème, et la liberté de la presse ne peut être distinguée de la liberté de la parole; l'une et l'autre est sacrée comme la nature; elle est nécessaire comme la société même.

Par quelle fatalité les lois se sont-elles donc presque partout appliquées à la violer? C'est que les lois étaient l'ouvrage des despotes, et que la liberté de la presse est le plus redoutable fléau du despotisme. Comment expliquer, en effet, le prodige de plusieurs millions d'hommes opprimés par un seul, si ce n'est par la profonde ignorance et par la stupide léthargie où ils sont plongés? Mais que tout homme qui a conservé le sentiment de sa dignité puisse dévoiler les vues perfides et la marche tortueuse de la tyrannie; qu'il puisse opposer sans cesse les droits de l'humanité. aux attentats qui les violent, la souveraineté des peuples à leur avilissement et à leur misère; que l'innocence opprimée puisse faire entendre impunément sa voix redoutable et touchante, et la vérité rallier tous les esprits et tous les cœurs aux noms sacrés de liberté et de patrie; alors l'ambition trouve partout des obstacles, et le despotisme est contraint de reculer à chaque pas ou de venir se briser contre la force invincible de l'opinion publique et de la volonté générale. Aussi voyez avec quelle artificieuse politique les despotes se sont ligués contre la liberté de parler et d'écrire; voyez le farouche inquisiteur la poursuivre au nom du ciel, et les princes au nom des lois qu'ils ont faites eux-mêmes pour protéger leurs crimes. Secouons le joug

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