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que le patriotisme n'est point une affaire de parti, mais une affaire de cœur; qu'il ne consiste ni dans l'insolence ni dans une fougue passagère qui ne respecte ni les principes, ni le bon sens, ni la morale; encore moins dans le dévouement aux intérêts d'une faction. Le cœur flétri par l'expérience de tant de trahisons, je crois à la nécessité d'appeler surtout la probité et tous les sentiments généreux au secours de la république. Je sens que partout où l'on rencontre un homme de bien, en quelque lieu qu'il soit assis, il faut lui tendre la main et le serrer contre son cœur. Je crois à des circonstances fatales dans la révolution, qui n'ont rien de commun avec les desseins criminels; je crois à la détestable influence de l'intrigue, et surtout à la puissance sinistre de la calomnie. Je vois le monde peuplé de dupes et de fripons; mais le nombre des fripons est le plus petit : ce sont eux qu'il faut punir des crimes et des malheurs du monde...

>> Cependant ce mot de dictature a des effets magiques : il flétrit la liberté, il avilit le gouvernement: il détruit la république; il dégrade toutes les institutions révolutionnaires, qu'on présente comme l'ouvrage d'un seul homme; il rend odieuse la justice nationale, qu'il présente comme instituée par l'ambition d'un seul homme; il dirige sur un point toutes les haines et tous les poignards du fanatisme et de l'aristocratie...

» Ils m'appellent tyran... Si je l'étais, ils ramperaient à mes pieds, je les gorgerais d'or, je leur assurerais le droit de commettre tous les crimes, et ils seraient reconnaissants! Si je l'étais, les rois que nous avons vaincus, loin de me dénoncer (quel tendre intérêt ils prennent à notre liberté!) me prêteraient leur coupable appui; je transigerais avec eux! Dans leur détresse qu'attendent-ils, si ce n'est le secours d'une faction protégée par eux, qui leur vende la gloire et la liberté de notre pays? On arrive à la tyrannie par le secours des fripons: où courent ceux qui les combattent? Au tombeau et à l'immortalité. Quel est le tyran

qui me protége? quelle est la faction à qui j'appartiens? C'est vous-mêmes. Quelle est cette faction qui depuis le commencement de la révolution a terrassé les factions, a fait disparaître tant de traîtres accrédités? C'est vous, c'est le peuple, ce sont les principes. Voilà la faction à laquelle je suis voué, et contre laquelle tous les crimes sont ligués... » La vérité sans doute a sa puissance, elle a sa colère, son despotisme; elle a des accents touchants, terribles, qui retentissent avec force dans les cœurs purs comme dans les consciences coupables, et qu'il n'est pas plus donné au mensonge d'imiter, qu'à Salomée d'imiter les foudres du ciel; mais accusez-en la nature, accusez-en le peuple, qui la sent et qui l'aime... Si les représentants du peuple qui défendent sa cause ne peuvent pas obtenir impunément son estime, quelle sera la conséquence de ce système, si ce n'est qu'il n'est plus permis de servir le peuple, que la république est proscrite, et la tyrannie rétablie? Et quelle tyrannie plus odieuse que celle qui punit le peuple dans la personne de ses défenseurs! car la chose la plus libre qui soit dans le monde, même sous le règne du despotisme, n'est-ce pas l'amitié?.. Qui suis-je, moi qu'on accuse? Un esclave de la liberté, un martyr vivant de la république, la victime autant que l'ennemi du crime. Tous les fripons m'outragent; les actions les plus indifférentes, les plus légitimes de la part des autres sont des crimes pour moi; un homme est calomnié dès qu'il me connaît; on pardonne à d'autres leurs forfaits; on me fait un crime de mon zèle. Otez-moi ma conscience, je suis le plus malheureux de tous les hommes; je ne jouis pas même des droits du citoyen; que dis-je! il ne m'est pas même permis de remplir les devoirs d'un représentant du peuple.

<< Quand les victimes de leur perversité se plaignent, ils s'excusent en leur disant : C'est Robespierre qui le veut, nous ne pouvons pas nous en dispenser. Les infâmes disciples d'Hébert tenaient jadis le même langage dans le temps

où je les dénonçais; ils se disaient mes amis; ensuite ils m'ont déclaré convaincu de modérantisme : c'est encore la même espèce de contre-révolutionnaires qui persécute le patriotisme. Jusques à quand l'honneur des bons citoyens et la dignité de la Convention nationale seront-ils à la merci de ces hommes-là? Mais le trait que je viens de citer n'est qu'une branche du système de persécution plus vaste dont je suis l'objet. En développant cette accusation de dictature, mise à l'ordre du jour par les tyrans, on s'est attaché à me charger de toutes leurs iniquités, de tous les torts de la fortune, ou de toutes les rigueurs commandées par le salut de la patrie. On disait aux nobles : C'est lui seul qui vous a proscrits; on disait en même temps aux patriotes: Il veut sauver les nobles; on disait aux prêtres : C'est lui seul qui' vous poursuit ; sans lui, vous seriez paisibles et triomphants; on disait aux fanatiques : C'est lui qui détruit la religion; on disait aux patriotes persécutés : C'est lui qui l'a ordonné, ou qui ne veut pas l'empêcher. On me renvoyait toutes les plaintes dont je ne pouvais faire cesser les causes, en disant : Votre sort dépend de lui seul. Des hommes apostés dans les lieux publics propageaient chaque jour ce système; il y en avait dans le lieu des séances du tribunal révolutionnaire, dans les lieux où les ennemis de la patrie expient leurs forfaits; ils disaient: Voilà des malheureux condamnés ; qui est-ce qui en est la cause? Robespierre. On s'est attaché particulièrement à prouver que le tribunal révolutionnaire était un tribunal de sang, créé par moi seul, et que je maîtrisais absolument pour faire égorger tous les gens de bien, et même tous les fripons, car on voulait me susciter des ennemis de tous les genres. Ce cri retentissait dans toutes les prisons; ce plan de proscription était exécuté à la fois dans tous les départements par les émissaires de la tyrannie. Mais qui étaient-ils ces, calomniateurs?

« Je puis répondre que les auteurs de ce plan de calom-;

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nies sont d'abord le duc d'Yorck, M. Pitt, et tous les tyrans armés contre nous. Qui ensuite?... Ah! je n'ose les nommer dans ce moment et dans ce lieu; je ne puis me résoudre à déchirer entièrement le voile qui couvre ce profond mystère d'iniquités; mais ce que je puis affirmer positivement, c'est que parmi les auteurs de cette trame sont les agents de ce système de corruption. et d'extravagance, le plus puissant de tous les moyens inventés par l'étranger pour perdre la République, sont les apôtres impurs de l'athéisme et de l'immoralité, dont il est la base.

« La tyrannie n'avait demandé aux hommes que leurs biens et leur vie; ceux-ci nous demandaient jusqu'à nos consciences; d'une main, ils nous présentaient tous les maux, et, de l'autre, ils nous arrachaient l'espérance. L'athéisme, escorté de tous les crimes, versait sur le peuple le deuil et le désespoir, et sur la représentation nationale les soupçons, le mépris et l'opprobre. Une juste indignation, comprimée par la terreur, fermentait sourdement dans tous les cœurs; une éruption terrible, inévitable, bouillonnait dans les entrailles du volcan, tandis que de petits philosophes jouaient stupidement sur sa cime avec de grands scélérats. Telle était la situation de la République, que, soit que le peuple consentît à souffrir la tyrannie, soit qu'il en secouât violemment le joug, la liberté était également perdue; car, par sa réaction, il eût blessé à mort la République, et, par sa patience, il s'en serait rendu indigne. Aussi, de tous les prodiges de notre Révolution, celui que la postérité concevra le moins, c'est que nous ayons pu échapper à ce danger. Grâces immortelles vous soient rendues! Vous avez sauvé la patrie; votre décret du 18 floréal est lui seul une Révolution; vous avez frappé du même coup l'athéisme et le despotisme sacerdotal; vous avez avancé d'un demisiècle l'heure fatale des tyrans; vous avez rattaché à la cause de la Révolution tous les cœurs purs et généreux; vous l'avez montrée au monde dans tout l'éclat de sa beauté

céleste. O jour à jamais fortuné, où le peuple français tout entier s'éleva pour rendre à l'auteur de la nature le seul hommage digne de lui! Quel touchant assemblage de tous les objets qui peuvent enchanter les regards et le cœur des hommes! O vieillesse honorée! ô généreuse ardeur des enfants de la patrie! ô joie naïve et pure des jeunes citoyens ! ô larmes délicieuses des mères attendries! ô charme divin de l'innocence et de la beauté! o majesté d'un grand peuple heureux par le seul sentiment de sa force, de sa gloire et de sa vertu! Être des êtres! le jour où l'univers sortit de tes mains toutes-puissantes brilla-t-il d'une lumière plus agréable à tes yeux que ce jour où, brisant le joug du crime et de l'erreur, il parut devant toi digne de tes regards et de ses destinées?

« Ce jour avait laissé sur la France une impression profonde de calme, de bonheur, de sagesse et de bonté. A la vue de cette réunion sublime du premier peuple du monde, qui aurait cru que le crime existait encore sur la terre? Mais quand le peuple, en présence duquel tous les vices privés disparaissent, est rentré dans ses foyers domestiques, les intrigants reparaissent, et le rôle des charlatans recommence. C'est depuis cette époque qu'on les a vus s'agiter avec une nouvelle audace, et chercher à punir tous ceux qui avaient déconcerté le plus dangereux de tous les complots. Croiraiton qu'au sein de l'allégresse publique des hommes aient répondu par des signes de fureur aux touchantes acclamations du peuple? Croira-t-on que le président de la Convention nationale, parlant au peuple assemblé, fut insulté par eux, et que ces hommes étaient des représentants du peuple? Ce scul trait explique tout ce qui s'est passé depuis. La première tentative que firent les malveillants fut de chercher à avilir les grands principes que vous aviez proclamés, et à effacer le souvenir touchant de la fête nationale: tel fut le but du caractère et de la solennité qu'on donna à ce qu'on appelait l'affaire de Catherine Théos. La malveillance a bien

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