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à former un recours contre les autorisations données sur ce point aux autres entreprises.

71. L'art. 9 du même décret porte que dans les chefs-lieux de département, le théâtre principal jouira seul du droit de donner des bals masqués. Le réglement d'août 1814 a renouvelé cette disposition par un article ainsi conçu: « Au temps du « carnaval, les directeurs jouissent du droit de « donner seuls des bals masqués. »

172. L'exécution de cet article a fait naître plusieurs difficultés.

73. On a demandé d'abord s'il pouvait s'appli quer aux villes qui n'avaient point le titre de cheflieu. Cette question, qui se trouve résolué par le réglement de 1814, a été jugée dans l'espèce sui

vante:

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Le sieur Romain, directeur du théâtre de Calais, prétendait avoir le droit de jouir seul du bénéfice des bals masqués. Selon lui, d'après le décret de 1806, les bals étaient devenus le patrimoine des directeurs de spectacles. Le sieur Quillacq, propriétaire de la salle, combattait cette prétention, en soutenant que le décret ne concernait que les chefs-lieux de département et ne pouvait être appliqué aux chefs-lieux d'arrondissement. Le préfet se prononça en faveur du sieur Romain par considération assez bizarre, « que l'intention plus «< d'une fois exprimée de son excellence le mis <<<nistre de l'intérieur était que les entrepreneurs « de spectacle jouissent exclusivement du droit << de donner des bals masqués. » Le sieur Quillacq

cette

s'étant pourvu contre l'arrêté, un arrêt du conseild'état du 8 mars 1811 rejeta son pourvoi, par le motif que les dispositions de l'arrêté du préfet étaient conformes aux réglements du ministre de l'intérieur, approuvés par le chef de l'état.

74. On a élevé aussi la question de savoir si, dans le décret, les mots bals masqués devaient être pris dans leur signification restreinte, et s'ils ne comprenaient pas les redoutes et bals non masqués. Le même arrêt a confirmé l'arrêté du préfet qui avait décidé que le privilége ne pouvait être étendu à d'autres bals que les bals masqués.

75. Quelque extraordinaire que soit un régime qui enlève une branche d'industrie aux citoyens, et attribue à quelques uns le monopole d'une spéculation, il faut encore à cet égard obéir au décret de 1806 et à l'arrêté de 1807 qui, ayant été approuvé par Napoléon, a acquis également force de loi. Mais ni l'un ni l'autre ne peuvent empêcher les bals masqués que des particuliers donneraient pour leur plaisir sans exiger de rétribution des personnes qui y seraient invitées. (V. n. 18.)

S V. Droit des théâtres des départements à une redevance de la part des spectacles de curiosité.

76. Aux différentes mesures exceptionnelles qui viennent d'être énumérées et qui ne se conçoivent que sous le régime absolu de l'empire, le réglement d'août 1814 en a ajouté une nouvelle encore plus exorbitante du droit commun.

Aux termes de l'art. 21 de ce réglement, les di

recteurs des troupes stationnaires dans les lieux où ils sont établis, et les directeurs des troupes ambulantes dans les lieux où ils se trouvent exercer, sont autorisés à percevoir un cinquième brut des spectacles de curiosité de tout genre et quelle que soit leur dénomination, défalcation faite toutefois du droit des pauvres.

L'art. de l'ordonnance du roi du 8 octobre 1824, sur les théâtres de province, dispose que les directeurs continueront à jouir de l'indemnité qui leur est allouée sur les spectacles de curiosité de quelque nature qu'ils soient, et ajoute que toute exception qui aurait pu être accordée à cet égard devra être révoquée.

77. Les réflexions que nous avons faites au sujet de la redevance établie au profit de l'Opéra s'appliquent à cette contribution imposée aux spectacles de curiosité en faveur des théâtres de province, et si la première a pu être approuvée par un arrêt, celle-ci nous semble entachée d'une irrégularité qui doit s'opposer à ce qu'elle soit payée. En effet, l'Opéra invoque deux décrets qui, selon l'arrêt de la cour de Paris, doivent être exécutés comme lois de l'état. Mais la redevance accordée aux directeurs n'a été établie d'abord que par un réglement ministériel qui évidemment ne peut être considéré comme obligatoire, et elle a été continuée ensuite par une ordonnance qui, sous le régime de la charte, n'a pu créer un droit de ce genre.

78. En cas de contestation, les tribunaux seuls

devront prononcer. Dans un procès engagé par les frères Franconi contre le directeur du théâtre de Reims, le tribunal saisi de la contestation avait jugé à propos de demander d'abord la décision de l'autorité administrative: ce jugement préparatoire ne fut pas exécuté; l'administration, par son silence, laissa voir qu'elle ne se croyait pas investie du droit de prononcer sur le différend, et en effet si elle eût jugé, il n'y aurait eu aucun moyen légal d'exécuter sa décision ; mais un arrêt du conseil-d'état du 25 avril 1828 a prononcé sur une difficulté semblable, ce qui prouve que l'administration se croit parfois compétente, relativement à l'application de l'ordonnance de 1824. Toutefois cet arrêt a seulement déclaré que le droit était exigible, et a renvoyé devant les tribunaux pour les difficultés qui pourraient s'élever sur la quotité de la somme due. La décision du conseild'état n'était donc, à proprement parler, qu'un avis, et les tribunaux chargés de prononcer en définitive pouvaient toujours, selon nous, se prononcer sur la légalité de l'ordonnance en vertu de laquelle la perception était réclamée.

79. Cependant le procès des frères Franconi ayant été porté de nouveau devant le tribunal, un jugement du 13 juin 1828 les condamna au paiement de la rétribution. Mais il faut observer qu'au lieu de dénier l'efficacité légale de l'ordonnance de 1824, les défendeurs se bornaient à prétendre que l'autorité avait introduit une exception en leur faveur et ne les astreignait qu'à un prélèvement du

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vingtième seulement; que cette exception n'avait pas été révoquée par l'ordonnance de 1824; qu'en effet on ne pouvait pas les ranger dans la classe des spectacles de curiosité que l'ordonnance assujettit au cinquième, et que, théâtre secondaire à Paris, leur spectacle ne pouvait changer de caractère dès, qu'ils sortaient de la capitale. C'est cette question seule que le tribunal a jugée; ainsi sa décision ne peut être considérée comme un précédent sur la légalité de la perception réclamée par les directeurs de province sur les spectacles de curiosité.

La même observation s'applique à une autre décision judiciaire rendue à l'occasion du droit dont il s'agit. Le sieur Bouzigue,, directeur du théâtre de Nantes, étant tombé en faillite, son théâtre fut fermé. Le sieur Rovère vint donner dans cette ville des représentations de physique amusante. Les créanciers du directeur failli demandèrent le paiement du cinquième des recettes, Leur action fut portée aussi devant le tribunal de commerce, qui jugea que la faillite du directeur lui avait fait perdre son privilége et le droit de profiter de l'ordonnance de 1824. Cette décision nous paraît fort sage, et l'on doit remarquer que dans cette circonstance la légalité de l'ordonnance ne fut pas encore contestée, que par conséquent le jugement du tribunal de Nantes n'est point non plus opposé à l'opinion que nous avons énoncée.

80. Nous persistons donc à penser que les entrepreneurs de spectacles de curiosité peuvent se refuser à cette perception, et que la question présentée

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