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Il ne faut pas croire que Tite-Live manque d'art, mais il a l'art par excellence, celui de le cacher et de paroître le plus naturel des écrivains. Il se présente comme le feroit un homme de belle physionomie, d'une riche taille, élégamment vêtu. Tacite est un petit homme monté sur des échasses, qui minaude et ne sort jamais de l'affectation. Il veut qu'on l'admire, et il est surprenant qu'il ait eu tant d'admirateurs. Tite-Live blâme et censure quand il le faut, quoique son naturel ne l'y porte pas; il le fait à propos et avec dignité. Tacite est toujours de mauvaise humeur; ses censures sont en même temps des railleries mordantes, quelquefois des insultes atroces. On ne voit jamais dans le fond de son cœur ni l'humanité, ni la compassion; il ne connoît point de malheureux, il ne connoît que des coupables.

Qu'on ne croie pourtant pas que le but de ce parallèle soit absolument de dégrader Tacite. Il demeurera toujours, en fait d'histoire, un maître et même un grand maître; par cela même il aura sa manière, et alors on pourra en faire un Michel-Ange, tandis que Tite-Live sera un Raphaël. Tacite ne se plaira, comme MichelAnge, qu'aux scènes terribles, effrayantes et barbares. Tite-Live, comme Raphaël, n'offrira que le gracieux, le noble, le divin. Les objets favoris de Michel-Ange et les chefs-d'œuvre de son pinceau, sont un patient à la torture, un malade à l'agonie. Raphaël vous jette dans un ravissement délicieux en peignant une vierge sage, douce et céleste. Il y a autant de morale dans Tite-Live que dans Tacite; mais le premier suppose que son lecteur

pense, et qu'il sait tirer les conséquences qui découlent manifestement des faits qu'on lui expose. Tacite veut épuiser les moralités, et chez lui elles absorbent la partie historique. Il croit son lecteur incapable de les trouver; mais peut-il le croire capable de deviner toutes les énigmes morales qu'il lui offre?

Tite-Live ressemble à Germanicus: même grandeur d'âme, même franchise de caractère. Tacite ressemble à Tibère, toujours fourbe, enveloppé, artificieux, impénétrable. Ces auteurs donnent à leurs personnages la teinte de leur caractère. Les héros de Tite-Live, sont des dieux; les dieux de Tacite sont des diables.

(THOMAS HUNTER.)

Dans ce parallèle ingénieux, le caractère de Tite-Live est bien saisi : celui de Tacite est trop ravalé.

POLITIQUE

CHAPITRE XVIII.

HISTORIENS FRANÇOIS.

OLITIQUE comme Thucydide, moral comme Xénophon, éloquent comme Tite-Live, aussi profond et aussi grand peintre que Tacite, l'évêque de Meaux a de plus, dans son Discours sur l'histoire universelle, une parole grave et un tour sublime dont on ne trouve ailleurs aucun exemple, hors dans l'admirable début du livre des Machabées.

Bossuet est plus qu'un historien, c'est un père de l'église ; c'est un prêtre inspiré, qui souvent a le rayon de feu sur le front, comme le législateur des Hébreux. Quelle revue il a fait de la terre! il est en mille lieux à la fois. Patriarche sous le palmier de Tophel, ministre à la cour de Babylone, prêtre à Memphis, législateur à Sparte, citoyen à Athènes et à Rome, il change de temps et de place à son gré; il passe avec la rapidité et la majesté des siècles. La verge de la loi à la main, avec une autorité incroyable, il chasse pêle-mêle devant lui, et Juifs et Gentils au tombeau : il vient enfin lui-même à la suite du convoi de tant de générations, et marchant appuyé sur Isaïe et sur Jérémie, il élève ses lamentations prophéLiques à travers la poudre et les débris du genre humain.

La première partie du Discours sur l'histoire univer

la

selle est admirable par la narration; la seconde, par sublimité du style et la haute métaphysique des idées ; la troisième, par la profondeur des vues morales et politiques.

(M. DE CHATEAUBRIANT.)

Il est honorable pour le christianisme que ce soit un prêtre qui ait fait l'Histoire de l'Église, et qu'il l'ait faite en vrai philosophe et en vrai chrétien. Ces deux titres, loin de s'exclure, se rapprochent et se fortifient l'un par l'autre, dès qu'ils sont dans leurs vrais sens; et l'abbé Fleury en est la preuve. On n'a pas une piété plus vraie ni plus éclairée : plus il aime la religion, plus il sépare, dans son histoire, ce qui est de Dieu et ce qui est du monde; et on lui rend ce témoignage, que chez lui le prêtre n'a jamais nui à l'historien. Ses discours, entremêlés d'abord dans son ouvrage et réunis ensuite en un seul volume, ont été loués même par les ennemis de la religion. Ces louanges n'étoient que justes; ils les croyoient adroites, elles ne l'étoient pas. Fleury, en devançant leur censure, sur tout ce que la corruption humaine a pu mêler à la sainteté d'une institution divine, leur ôtoit le mérite, quel qu'il soit, d'un genre de critique très-facile, et gardoit pour lui le mérite beaucoup plus rare de ne jamais confondre la chose avec l'abus. En se faisant juge impartial, il les avoit convaincus d'avance de déclamation et de calomnie. Il dissimule d'autant moins les fautes, qu'il gémit sincèrement sur le scandale; et dans tout ce que l'ignorance des peuples ou l'ambition des grands a pu

produire de mal, au nom d'une religion qui ne fait et ne veut que le bien, le clergé et la cour de Rome n'ont point eu de censeur plus sévère; et ceux qui en ont été les calomniateurs forcenés, se condamnoient eux-mêmes, en louant l'abbé Fleury.

Le style de Fleury, clair, simple et naturel, a un caractère de candeur qui va, s'il est permis de le dire, jusqu'à une sorte de bonhomie affectueuse, qui ne rabaisse point l'écrivain et qui fait aimer et estimer l'homme.

(LA HARPE.)

Nous allons maintenant offrir à nos lecteurs les principaux traits de l'histoire ancienne et moderne.

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