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d'un vaisseau phénicien, que Néchos, roi d'Egypte, fit partir par la mer Rouge, et qui, trois ans après, revint par la Méditerranée, il dit : « Les Phéniciens racontèrent qu'en tournant la Lybie ils avoient eu le soleil à droite. Cela ne me paroît pas croyable, peut-être le paroîtra-t-il à d'autres.» Cette circonstance nous devient la preuve la plus forte du fait; mais Hérodote ne me paroît que plus louable, 1°. de l'avoir rapportée sans altération, et 2o, de n'avoir pas excédé la mesure de ses connaissances, en ne croyant pas sur parole ce qu'il ne concevoit point par ses sens. D'autres historiens et géographes anciens plus présomptueux, ont nié tout le fait, à cause de la circonstance; et leur erreur, aujourd'hui démontrée, est pour nous un avis utile contre les prétentions du demisavoir; mais il n'en résulte pas moins qu'il est sage et raisonnable de refuser son assentiment à ce que l'on ne conçoit pas, parce que si l'on excédoit la mesure de sa conviction, règle unique de tout jugement, on se trouveroit porté d'inconnu en invraisemblable, et d'inyraisemblance en extravagance et en absurdités.

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Le second rapport, sous lequel les faits doivent être examinés, est celui de leurs témoins; et celui-là est bien plus compliqué et bien plus difficile que l'autre car, ici, les règles ne sont pas fixes et constantes comme celles de la nature, elles sont, au contraire, variables comme l'entendement humain que je compare au miroir magique, qui, dans les leçons de physique, modifiant les tableaux bizarres qu'on lui soumet, en forme des figures régulières: sous ce rapport, ma com

paraison pèche; mais elle est juste dans cet autre sens, que les tableaux que la nature offre à notre entendement sont réguliers, et que c'est nous qui les défigurons; c'est nous qui leur donnons ces projections singulières, que présente souvent l'histoire, et ce n'est qu'en les ramenant au miroir magique de la raison, que nous les redressons.

Par lui-même, l'entendement est une onde mobile où les objets se défigurent par les ondulations de plus d'un genre; d'abord, et le plus souvent, par celles des passions, et encore, par la négligence, par l'impuissance de voir mieux, et par l'ignorance. Ce sont là autant d'articles sur lesquels l'investigateur de la vérité, l'historien, doit interroger sans cesse les témoins.... Et luimême est-il exempt de leurs défauts ? N'est-il pas homme comme eux? Et n'est-ce pas un apanage constant de l'humanité, que la négligence, le défaut de lumières et le préjugé ? Or, examinez, je vous prie, ce qui arrive dans les récits qui ne nous parviennent que de troisième ou de quatrième bouche. Ne vous semble-t-il pas voir un objet naturel qui, réfléchi par une première glace, est par elle réfléchi par une autre; ainsi, de glace en glace, recevant les teintes, les déviations, les ondulations de toutes, pensez-vous qu'il arrive exact? La seule traduction d'une langue én une autre, n'est-elle pas déjà une forte altération des pensées, une dégradation de leurs teintes, sans compter les erreurs de mots? Mais dans une même langue, dans un même pays, sous vos propres yeux, voyez ce qui se passe tous les jours: un événement arrive tous les jours dans la même ville, dans la même enceinte. Entendez

vous le récit par divers témoins, souvent pas un seul ne s'accordera sur les circonstances, quelquefois sur le fonds. On en fait une expérience assez piquante en voyageant. Un fait se sera passé dans une ville : soi-même on l'aura vu; eh bien ! à dix lieues de là on l'entend raconter d'une autre manière, et de ville en ville, d'écho en écho, on finit par ne plus le reconnoître, et en voyant la confiance des autres, on seroit tenté de douter de la sienne. Nous aurons bientôt occasion de développer ces idées.

(VOLNEY, Leçons de l'Ecole normale.)

CHAPITRE II.

DE L'UTILITÉ DE L'HISTOIRE.

RETRACER

ETRACER la vie des empires dans leurs différens âges, développer les ressorts des révolutions, en suivant la chaîne des événemens, distinguer dans ces événemens l'ouvrage de la politique de cette cause mystéricuse que nous appelons hasard, déterminer l'influence et des lois et des mœurs, et de tout ce qui concourt à civiliser ou à corrompre les nations, faire sortir les faits de leurs causes et l'instruction des faits, apprendre aux rois à régner, aux peuples à obéir, à tous les hommes à vivre, tel est l'objet de l'histoire, tels sont ses avantages. Elle est le témoin des temps, le dépositaire des actions et des pensées, la lumière de la vérité, la vie de la mémoire, l'institutrice des mœurs; c'est ainsi que l'orateur philosophe faisoit l'éloge de l'histoire, en retraçant simplement ce qu'elle est, persuadé que l'ignorance est le fléau le plus terrible de l'humanité, et que la science a une liaison intime avec la vertu. L'histoire est de toutes les connoissances humaines, la plus agréable à acquérir, et la plus utile à cultiver, utile dulci. Elle tient l'homme, si je puis ainsi parler, par le plaisir et l'in

térêt. C'est sous ces deux rapports que nous allons la considérer.

Nous désirons naturellement de savoir : ce désir augmente avec les lumières que nous acquérons. Les bornes de la science semblent reculer devant nous, lorsque nous sommes plus prêts d'y atteindre ; et c'est l'oeuvre d'un Dieu que de marquer jusqu'où notre intelligence est capable d'apprendre la vérité. Nous avons tous éprouvé combien l'esprit est curieux de bonne heure, inquiet, impatient de sortir de l'enfance, c'est-à-dire, de l'inexpérience et de l'ignorance: avant que la raison l'éclaire, il cherche l'instruction par instinct; et, si, parmi les dons qu'il a reçus du ciel, on comptoit l'art de prévenir ses goûts et de bien ménager ses forces, comme il marcherort à grands pas dans la vaste carrière de la science! Soit par la prodigieuse variété des objets qu'elle embrasse, soft par le charme qui lui est attaché, l'étude de l'histoire est la plus propre à satisfaire notre curiosité, et à nourrir cette flamme active qui s'élance jusque dans l'infini par l'immensité des objets qu'elle présente. J'en distingue trois sortes sur lesquelles l'esprit ne peut s'empêcher de fixer son attention: la naissance, l'accroissement et la chute des empires; les lois, les gouvernemens et les mœurs des nations; l'origine, les progrès, et la décadence des sciences et des arts.

Jetons un coup d'oeil sur les grands tableaux que l'histoire nous trace des révolutions des empires.

J'ouvre d'abord les fastes sacrés les plus anciens des peuples, et j'assiste à la création de l'univers. Dieu

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