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moignage de l'estime qu'en faisoient les Grecs, à qui l'auteur en fit lecture dans l'assemblée des jeux olympiques, et cet honneur qu'on lui rendit, doit aussi leur donner un caractère d'autorité respectable.

Je ne prétends pas néanmoins en conclure que tous les faits qu'il rapporte sont incontestables : puisque nos histoires modernes ne sont pas elles-mêmes à l'abri de la critique, à plus forte raison, ce qui n'est fondé que sur des traditions si éloignées, est-il soumis à la discussion, et susceptible de laisser des doutes.

D'ailleurs le goût si connu des Grecs pour le merveilleux et pour les fables, goût qui leur a été si souvent reproché par les écrivains latins, peut rendre suspecte leur véracité. Mais aussi on est tombé dans un autre excès, eu rejetant trop légèrement tout ce qui ne nous a pas paru conforme à des règles de vraisemblance qu'il n'est pas possible de déterminer d'une manière bien positive, car dans l'histoire, comme dans le drame

Le vrai peut quelquefois n'être pas

vraisemblable.

Nous sommes trop portés à régler la mesure des probabilités sur celle de nos idées communes et de nos connoissances imparfaites. La distance des temps et des lieux, et les diversités des religions, des mœurs, des coutumeş et des préjugés ont placé les anciens et les modernes à un si grand éloignement les uns des autres que les derniers ne doivent prononcer qu'avec beaucoup de précaution quand il s'agit de se rendre juges de ce que les premiers ont pu faire ou penser. L'expérience doit ici, comme en

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tout, servir de leçon. Plus d'une fois elle a démontré réel ce qui n'étoit pas croyable; et, en dernier lieu, des voyageurs ont vérifié sur les lieux ce qu'Hérodote avoit écrit de l'Egypte, et ce qu'on avoit regardé comme fabuleux; il peut y avoir autant d'ignorance à tout rejeter, qu'à tout croire, et la différence alors n'est que de la simplicité à la présomption; il faut se défier également de toutes deux. Celui qui sait beaucoup, doute souvent, et le doute conduit à l'examen et à l'instruction. Celui qui sait peu, est prompt à crier, et manque l'occasion de s'instruire.

Malgré l'amour du merveilleux qu'on a reproché aux historiens grecs, on ne peut nier que les ouvrages qu'ils nous ont laissés ne soient infiniment précieux, tant pour les faits authentiques qu'ils nous ont transmis, et qui, sans eux, seroient perdus pour nous, que pour la méthode, les mœurs, la clarté, le style et la noble indépendance, dont ils nous offrent encore aujourd'hui les inimitables modèles.

(LA HARPE, Cours de littérature.)

CHAPITRE XIII.

THUCIDIDE.

Les justes applaudissemens que les Grecs donnèrent à

Hérodote avec une sorte d'enthousiasme excitèrent l'émulation de Thucidide. Exilé d'Athènes, sa patrie, il employa vingt années, soit à rassembler les matériaux de son histoire, soit à les rédiger. « Je n'ai pas écrit, dit-il, pour plaire à mes contemporains, mais pour laisser un monument à la postérité. » C'étoit suffisamment annoncer le dessein de s'écarter de la manière de son prédécesseur. Aussi prit-il un sujet beaucoup moins vaste la guerre du Péloponèse; et il s'y borna, malgré son peu d'étendue. Il n'adopta point la forme épique, qui lui parut sans doute avoir trop d'inconvéniens, et il revint à l'ordre chronologique, auquel il s'attacha même si scrupuleusement, qu'il en résulte quelquefois de l'embarras et de la confusion dans ses récits.

Son style est toujours austère, et réunit la précision à la justesse. Quoiqu'il fût plus jaloux d'instruire que de plaire, il a su néanmoins embellir son ouvrage par des tableaux dignes d'un grand peintre ceux de l'état politique de la Grèce, de la peste qui affligea son pays, etc... sont de véritables chefs-d'oeuvre. Plusieurs de ses harangues doivent servir de modèles. Quel coup de pinceau!

quelle force! Son âme courageuse, parce qu'elle étoit élevée, repousse de toute part le mensonge, et sacrifie à la vérité son propre ressentiment. Le style d'Hérodote fut la règle et le modèle du style ionique. La règle et le modèle du style attique se trouvent dans le style de Xénophon.

Thucidide est recommandable par sa précision, Hérodote par sa clarté. L'un excelle dans la peinture des mœurs, et l'autre dans le pathétique : ils ont également de l'élégance et de la majesté. Thucidide a plus de force et d'énergie, ses couleurs sont plus vives et plus variées. Avec des qualités différentes ces deux historiens occupent le premier rang; mais une gloire particulière à Thucidide est d'avoir, pour ainsi dire, créé l'éloquence, en formant le plus grand des orateurs. Démosthènes copia huit fois de sa main l'ouvrage de Thucidide.

Cet historien naquit à Athènes 475 ans avant J.-C., et mourut dans la même ville à l'âge de 64 ans. La meilleure édition de ses oeuvres est celle de Glascow, en 8 v. in-8°. 1759.

(DE SAINTE CROIX.)

CHAPITRE XIV.

XÉNOPHON.

XENOPHON ÉNOPHON publia et continua l'histoire de Thucidide, à laquelle il ajouta sept livres.

Il avoit été disciple de Socrate, et commandant dans cette mémorable retraite des dix mille, l'une des merveilles de l'antiquité, et dont il étoit digne d'écrire l'histoire.

Il fut, comme César, l'historien de ses propres exploits comme lui, il joignit le talent de les écrire à la gloire de les exécuter; comme lui, il mérite une entière croyance, parce qu'il avoit des témoins pour juges.

Ce dernier mérite n'est pas celui de la Ciropédie, dans laquelle, au jugement de Cicéron, il a moins consulté la vérité historique que le désir de tracer le modèle d'un prince accompli, et d'un gouvernement parfait.

Si les gens de l'art l'étudient comme général, dans la retraite des dix mille, on l'admire comme philosophe et comme homme d'état dans ce livre charmant de la Ciropédie, qu'on peut comparer à notre Télémaque.

On a dit de Xénophon que les grâces reposoient sur ses lèvres; on peut ajouter qu'elles y sont près de la sagesse.

Depuis lui, jusqu'à Fénélon, nul homme n'a possédé

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