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CHAPITRE IX.

DE LA TRADITION ÉCRITE.

CE que nous venons de dire de la tradition orale ne doit pas nous empêcher d'avouer que nous saurions fort de faits, si nous n'étions instruits que par elle; parce que cette espèce de tradition ne peut tre fidèle dépositaire, que lorsqu'un événement est assez important pour faire dans l'esprit des contemporains une grande et profonde impression. C'est la tradition écrite, qui nous en conserve les détails, qui les lie entre eux et les fixe dans la mémoire des hommes: c'est le second guide de l'histoire, et celui dont nous allons nous occuper.

On dirait que la nature, en apprenant aux hommes l'art de conserver leurs pensées par le moyen de diverses figures, a pris plaisir à faire passer dans tous les siècles des témoins oculaires des faits les plus cachés dans la profondeur des âges, afin qu'on n'en puisse douter.

Que diroient les sceptiques, si, par une espèce d'enchantement, des témoins oculaires se détachoient de leurs siècles, pour parcourir ceux où ils ne vécurent pas, afin de sceller de vive voix la vérité de certains faits? Quel respect n'aurions-nous pas pour le témoignage de ces vénérables vieillards? qui oseroit douter de leur bonne foi et de leur véracité? Telle est l'innocente magie de l'his

toire. Par elle les témoins eux-mêmes semblent franchir l'espace immense qui les sépare de nous; ils traversent les siècles, et attestent dans tous les temps la vérité de ce qu'ils ont écrit. Il y a plus, j'aime mieux lire un fait dans plusieurs historiens qui s'accordent, que de l'apprendre de la bouche même de ces vénérables vieillards. En écoutant ceux-ci, je pourrois faire mille conjectures sur leurs passions, sur leur intérêt, sur leur pente naturelle à raconter des choses extraordinaires. Ce petit nombre de vieillards, qui seroient doués du privilége des premiers patriarches pour vivre si long-temps, se trouvant nécessairement unis de la plus étroite amitié, et ne craignant point, d'un autre côté, d'ètre démentis par des témoins oculaires, pourroient s'entendre dans le projet de se jouer du genre humain ; ils pourroient se complaire à raconter un grand nombre de prodiges faux, dont ils se diroient les témoins; s'imaginant partager avec les fausses merveilles qu'ils débitent, l'admiration qu'elles font naître dans l'esprit du crédule vulgaire. Ils ne pourroient trouver de contradiction que dans la tradition qui auroit passé de bouche en bouche. Mais quels sont les hommes qui, n'ayant appris ces faits que par ie canal de la tradition, oseroient disputer contre une troupe de témoins oculaires, dont les rides vénérables seroient, en quelques sorte, la caution de leur bonne foi?

La tradition écrite a de grands avantages sur les témoins oculaires. Lorsqu'elle raconte un fait éclatant et intéressant, ce n'est pas l'historien seul qui l'atteste, ce sont tous les contemporains. En effet, l'histoire parle à

tout son siècle; ce n'est pas pour apprendre les faits intéressans que les contemporains la lisent, puisqu'ils les connoissent aussi bien que l'historien, et que plusieurs d'entre eux ont été acteurs dans l'événement, c'est pour en reconnoître la liaison, en contrôler le récit, en admirer le style, s'il y a lieu un historien ne sauroit en imposer à la postérité que son siècle ne s'entende avec lui. Or quelle apparence! ce complot seroit aussi chimérique que celui de plusieurs témoins oculaires.

L'historien qui écrit n'est pas un homme qui parle à l'oreille d'un autre; c'est un orateur, qui du haut d'une tribune, parle à toute la terre, et se fait entendre de tout son siècle. Le silence de ceux qui l'écoutent est la preuve de leur assentiment.

Si un seul historien est d'un si grand poids, quand il raconte un fait intéressant, que pensera-t-on de plusieurs historiens qui raconteront uniformément le même fait? Pourra-t-on croire que plusieurs personnes se soient donné le mot pour attester le même mensonge et se faire mépriser de leurs contemporains? Ici, on pourra combiner les historiens ensemble, et les contemporains avec les historiens.

On objecte à cela, que les historiens mêlent quelquefois si adroitement les faits avec leurs propres réflexions, auxquelles ils donnent l'air de faits, qu'il est bien difficile de les distinguer cette objection n'est pas imposante. Il ne sera jamais difficile de distinguer un fait éclatant des réflexions de l'historien: d'abord, parce que plusieurs historiens, qui ne se copient pas, ne sauroient faire pré

cisément la même réflexion; ensuite, parce que vous. avez la tradition orale qui confirme le fait et ne parle pas de la réflexion; enfin, parce que vous pensez consulter les monumens, troisième espèce de tradition propre à faire passer les faits à la postérité.

(Encyclopédie, art. Certitude.)

CHAPITRE X.

DES MONUMEN S.

UN N fait éclatant et qui intéresse tout un peuple, entraîne toujours des suites après lui; souvent il fait changer la face de toutes les affaires d'un grand pays. Les peuples jaloux de transmetue ces faits à la postérité, emploient le marbre et l'airain pour en perpétuer la mémoire. Ou peut dire d'Athènes et de Rome, qu'on y marche encore aujourd'hui sur des monumens qui confirment leur histoire. Cette espèce de tradition est aussi ancienne que le monde. Dans ces premiers temps, voisins du chaos, les hommes, toujours curieux de conserver la mémoire des faits qui les intéressent, élevoient un monticule de terre ou de pierres brutes à la mémoire d'un de leurs chefs, ou bien à celle d'une victoire remportée sur leurs ennemis.

Après la découverte des arts, on vit élever des colonnes et des pyramides pour immortaliser certaines actions: dans la suite, les hieroglyphes les désignèrent plus particulièrement, L'invention des lettres soulagea la mémoire, et l'aida à porter le poids de tant de faits qui l'auroient accablés. On ne cessa cependant pas d'ériger des monumens; car les temps où l'on a le plus écrit, sont aussi ceux où l'on a élevé les plus beaux monumens: le même événement qui fait prendre la plume à l'historien, met le ciseau à la main du sculpteur, et engage le peintre à se saisir de son pinceau; en un mot, échauffe le génie de

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