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miné; la modestie, la candeur, la simple et timide innocence, ou, à leur place, la dissimulation, l'adresse, l'artifice, la souplesse, la complaisance, tous les rafinemens de l'art de séduire et d'intéresser: enfin ce qui dérive d'un état de dépendance et de contrainte, quand la passion se révolte et rompt les liens qui l'enchaînent; la violence, l'emportement et l'audace du désespoir; voilà le fond des mœurs du côté du sexe le plus foible, et par là le plus susceptible des mouvemens passionnés.

Du côté de l'homme, un fond de rudesse et d'âpreté, de férocité même, vices naturels de la force; plus de courage habituel, plus d'égalité, de constance; les premiers mouvemens de la franchise et de la droiture, parce que se sentant plus libre, il en est moins craintif et moins dissimulé; un orgueil plus altier, plus impérieux, plus ouvertement despotique, mais un amour propre moins attentif et moins adroit à ménager ses avantages, un plus grand nombre de passions, et chacune moins violente, parce que, moins captive et moins contrariée, elle n'a point, comme dans les femmes, le ressort que donne la contrainte aux passions qu'elle retient, voilà le fonds des moeurs du sexe le plus fort.

Viennent ensuite les différences des états de la vie. Les moeurs d'un peuple chasseur seront sauvages et cruelles : accoutumé à voir couler le l'habitude le rend prodigue et du sien et de celui d'autrui. La chasse est la sœur de la guerre.

sang,

Les mœurs d'un peuple pasteur sont douces et voluptueuses, il a les vices de l'oisiveté et les vertus de la paix.

Les mœurs d'un peuple laboureur sont plus sévères et plus pures, le père et la mère de l'innocence sont le travail et la frugalité.

et le

Les mœurs d'un peuple navigateur sont corrompues par la soif des richesses; car le commerce est l'aliment germe de l'avarice et celui qui passe sa vie à s'exposer pour de l'argent, n'est pas éloigné de se vendre. Nouvelle différence entre le peuple des campagnes et celui des villes. Dans l'un, les désirs sont bornés comme les besoins, et les besoins comme les idées : dans l'autre, l'imagination, la curiosité, l'envie sont incessamment excitées par la vue des jouissances qui environnent la pauvreté. Plus de défiance, de ruse, d'opiniàtreté dans le villageois, parce qu'il est sans cesse exposé aux surprises de la fraude et de l'usurpation. Plus de sécurité, de droiture et de bonne foi dans le citadin, parce qu'il est protégé de plus près par les lois, et qu'il n'est pas obligé d'être en garde contre l'injustice et la force.

Parmi les différens ordres de citoyens, encore mille nuances dans les moeurs. Chaque condition a les siennes : la noblesse, la bourgeoisie, l'homme d'épée, l'homme de robe, l'artisan et le financier, tous les rangs, toutes les professions forment ensemble un tableau vivant et varié à l'infini, où l'éducation, l'habitude, le préjugé, l'opinion, la mode et le travail continuel de la vanité, pour établir des distinctions, donnent aux mœurs de la société mille et mille couleurs diverses. >>

(MARMONTEL. Élémens de littérature.)

CHAPITRE XXXI,

PHILOSOPHIE RELIGIEUSE.

La philosophie fut autrefois presque toute religieuse,

A

c'est-à-dire, toujours appuyée sur ces bases premières et universelles, la croyance d'un Dieu, et l'immortalité de l'àme; idées mères, dont les conséquences, pour les esprits justes et les cœurs droits, s'étendent infiniment plus loin qu'on ne l'a cru de nos jours, puisque bien saisies et bien développées, elles vont jusqu'à la nécessité d'une révélation.

C'est en ce sens que la religion entre dans toute bonus philosophie, et c'est pour cela que celle du dix-septième siècle fut souvent sublime, s'égara fort peu, presque sans danger, et toujours sans scandale.

Tout le monde convient que l'idée d'un premier être est le principe de toutes nos connoissances métaphysiques, comme elle est en même temps le fondement et la sanction de toutes les vérités morales, puisque sans un Dieu, il ne peut y avoir dans les actions des hommes de moralité réelle.

Elle est aussi la seule explication satisfaisante de tous les phénomènes physiques, puisque leur première cause est le mouvement, et que le mouvement en lui-même, de l'aveu de Newton, qui en a expliqué les lois, est inexplicable sans un premier moteur. Il s'ensuit que la vraie

philosophie est inséparable de la vraie religion, au moins de celle qui est, pour ainsi dire, le premier instinct des hommes les plus bornés, comme elle a été la doctrine des esprits les plus transcendans, de Platon, de Socrate, d'Aristote, de Cicéron, chez les anciens; et, parmi les modernes, de Descartes, de Leibnitz, de Locke et de Fénélon, qui ont fait voir que cette religion primitive conduit à la nôtre; et c'est ce qui fait que les philosophes du dix-septième siècle les ont souvent fait marcher de front, et se sont servi de l'une pour appuyer l'autre.

Mais aussi la curiosité est inséparable de la raison humaine; et c'est parce que celle-ci a des bornes que l'autre n'en a pas. Cette curiosité en elle-mème n'est point un mal, elle tient à ce qu'il y a de meilleur dans notre nature; car s'il n'est donné de tout savoir qu'à celui qui a tout fait, l'homme s'en rapproche, du moins, autant qu'il le peut, en désirant de tout connoître, et l'on sait que ce noble désir a été, dans les sages de tous les temps, le sentiment de leur prééminence, et le pressentiment de leur immortalité.

Sans doute, ce désir, qui ne peut être rempli que dans un autre ordre de chose, sera toujours trompé dans celui-ci; mais du moins nous lui devons ce que nous avons pu acquérir de connoissances spéculatives, et les illusions qui ont dû s'y mêler, sont celles de l'amour propre, et prouvent seulement que la raison a besoin d'un guide supérieur qui lui trace la carrière, hors de laquelle elle ne peut que s'égarer.

(LA HARPE. Cours de littérature, t. 7.)

CHAPITRE XXXII.

EXISTENCE DE DIEU.

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E ne sais s'il y a une preuve métaphysique plus frappante et qui parle plus fortement à l'homme, que cet ordre admirable qui règne dans le monde; et si jamais il y a eu un plus bel argument en faveur de l'existence de Dieu, que ce verset: Coeli enarrant gloriam Dei, etc... Aussi Newton ne trouvoit pas de raisonnement plus convaincant et plus beau en faveur de la divinité, que celui de Platon, qui fait dire à un de ses interlocuteurs: « Vous jugez que j'ai une âme intelligente, parce que Vous apercevez de l'ordre dans mes paroles et dans mes actions jugez donc, en voyant l'ordre de ce monde, qu'il est gouverné par une âme souverainement intelli

gente. >>

(VOLTAIRE. Métaph., chap. 1.)

« Dieu a laissé en ces hauts ouvrages le caractère de sa divinité, et ne tient qu'à notre imbécillité que nous ne lę puissions découvrir. Le ciel, la terre, les élémens, notre corps et notre âme, toutes choses y conspirent: il n'est que de trouver le moyen de s'en servir: elles nous instruisent, si nous sommes capables d'entendre. »

(Essais de Montaigne.)

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