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CHAPITRE IV.

HISTOIRE NATIONALE.

Nous avons suffisamment démontré dans le chapitre

second les avantages de l'histoire. Tout le monde sait que c'est l'école où se sont formés les Alexandre, les Scipion... l'univers compte de

les Césars, et presque tout ce que héros. Nécessaire aux rois, qu'elle instruit à rendre leurs peuples meilleurs et plus heureux; utile à l'homme d'état, dont elle étend les vues jusque dans l'avenir par une juste comparaison de ce qui est arrivé; agréable au simple particulier, sous les yeux duquel elle fait passer comme en revue les républiques, les royaumes et les empires : elle offre à tout le genre humain des connoissances aussi curieuses qu'intéressantes sur son origine, ses progrès, ses grandeurs, ses foiblesses, ses vertus et ses vices. Mais de toutes les histoires, la plus digne de l'étude de l'homme qui pense, est sans contredit celle de la patrie. C'est une espèce de tableau général de famille, où chaque citoyen croit reconnoître quelques-uns de ses ancêtres; les uns dans un rang plus élevé, les autres dans un état moins brillant, tous véritablemeut utiles à la société.

On sent par expérience ce que peut une pareille persuasion sur une âme bien née; l'exemple toujours plus

efficace que le précepte en reçoit une nouvelle force : de là cette noble émulation qui produit et les grandes actions, et les hommes célèbres en tout genre.

C'est surtout cet admirable effet qu'un auteur doit avoir en vue, lorsqu'il écrit les fastes de sa nation. Mais pour le produire plus infailliblement, il faut que l'histoire écrite pour l'utilité commune, soit en même temps celle du prince et de l'état, de la politique et de la religion, des armes et des sciences, des exploits et des inventions utiles et agréables. C'est cependant ce qui paroît avoir été le plus négligé,

Il semble, en lisant quelques-uns de nos historiens, qu'ils aient moins envisagé l'ordre chronologique des rois comme leur guide, que comme l'objet principal de leur travail. Bornés à nous apprendre les victoires ou les défaites dn souverain, ils ne nous disent rien ou presque rien des peuples qu'il a rendus heureux ou malheureux. On ne trouve dans leurs écrits que longues descriptions de siéges et de batailles : nulle mention des mœurs et de l'esprit de la nation. Elle y est presque toujours sacrifiée à un seul homme; et la gloire qui résulte des vertus pacifiques, y est partout immolée à l'éclat des exploits guerriers. Ce n'est pas là l'histoire..

(VÉLY, Préface de l'Histoire de France,)

CHAPITRE V.

STYLE DE L'HISTOIRE.

Le vrai mérite du style de l'histoire est de s'accom

moder à son sujet et à son objet. Ces détails si intéressans des vies de Plutarque, seroient insoutenables dans une histoire générale. Cette belle simplicité des commentaires de César, auroit été de la sécheresse dans les Décades de Tite-Live. Le cardinal de Retz eût été ridicule, s'il eût pris le ton grave et sentencieux du président de Thou.

L'histoire diffère d'elle-même par ses tons, ses couleurs, ses caractères, selon les objets dont elle s'occupe.

Commençons par distinguer deux hypothèses qui demandent deux manières différentes....; l'une, où l'historien suppose des lecteurs qui ne savent rien de ce qu'on va leur raconter, et l'autre qui suppose des lecteurs vaguement, confusément instruits des événemens qu'on rappelle. A la première, doit s'appliquer la méthode que Cicéron nous trace pour l'histoire développée; c'est la manière de Tite-Live : à la seconde, il convient de serrer le tissu des événemens, d'approfondir au lieu d'étendre; c'est la manière de Tacite. Que tous les historiens romains eussent péri dans un incendie, et que Tite-Live lui seul eût été conservé, nous aurions su l'histoire romaine.

Mais qu'un écrivain comme Tacite, nous fût seul resté à la place de Tite-Live; ces faits indiqués d'un seul trait, ces détails si rapidement, si brièvement accumulés, seroient à chaque instant pour nous des énigmes inexplicables.

Le style, si je l'ose dire, substantiel et condensé, qui convient à des faits déjà connus, et où la pensée aide à la lettre, n'est donc pas celui qui convient à des récits dont le fonds, les détails, les circonstances, tout est nouveau.

Deux autres hypothèses, relatives aux temps, peuvent encore exiger de l'histoire plus ou moins de détails : ce sont les points de perspectives que les écrivains se proposent. Plus la postérité pour laquelle on écrit est reculée, plus l'intérêt des détails diminue; et si à chaque trait l'historien se demande, qu'importe ce fait à un avenir éloigné? le volume des faits qu'il aura recueillis se réduira souvent à peu de chose. Il n'y a que les рецples célèbres et les hommes vraiment illustres dont les particularités domestiques soient intéressantes, encore à une certaine distance.

Mais ce qui, pour une postérité éloignée n'a rien de curieux, le temps auquel on touche, le pays où l'on est, peut désirer de le savoir : c'est là pour le discernement et pour le choix de l'écrivain l'une des plus grandes difficultés. Il est presque assuré d'être prolixe à l'égard des siècles à venir, s'il accorde au sien les détails qu'il a droit de lui demander ; et s'il néglige ces détails, il s'expose au reproche de n'avoir pas rempli sa tâche : car les détails ne sont pas tous frivoles, et la proximité des temps peut

leur donner une influence et des rapports d'utilité qui les rendent indispensables.

L'historien qui ne s'occupera que de sa propre gloire, évitera aisément cet écueil en choisissant parmi les siècles écoulés, celui qui lui présente le plus de sommités brillantes et d'événemens susceptibles d'un intérêt universel. L'histoire des révolutions aura toujours cet avantage. Mais s'il se borne, pour être utile, à raconter fidèlement ce qu'il a vu de près, on doit s'attendre, qu'en écrivant l'histoire de son siècle, il n'aura ni la précision, ni la rapidité d'un écrivain qui, dans l'éloignement, ne cherche des points éminens à tracer et que de grands tableaux à peindre.

que

Enfin, dans l'hypothèse la plus commune, il peut arriver que le nombre des objets importans dont l'histoire est chargée; que la difficulté de les lier ensemble, de les distribuer, de les mêler sans les confondre ; que la difficulté plus grande encore de donner à chacun toute son étendue sans ralentir, suspendre, intervertir le cours et l'ordre des événemens; en un mot, que la complication de la machine politique oblige l'histoire à la décomposer, à se diviser elle-même en autant de parties qu'elle a d'objets divers; et c'est ce qu'elle a fait souvent. Ainsi, la guerre, les finances, le commerce, les arts, les lois, les négociations ont eu leur histoire distincte; et de cette division naît la différence des styles convenables à leur objet.

L'art militaire, la marine, l'économie, le commerce, les lois ont une langue sévèrement exacte : celle de la

po

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