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ontrépandu le trouble ou rétabli la tranquillité publique, paroîtront sans nuages à nos yeux. Étudions l'histoire: elle nous fera voir les débris des monumens les plus célèbres; elle nous montrera que les vérités seules résistent au temps qui renverse tout; elle nous convaincra par l'expérience, que plus ces vérités sont anciennes, plus elles ont d'empire sur les esprits. Étudions l'histoire : elle décrira les prodiges et les délires de la raison humaine; ici, nous la verrons briser le joug des préjugés; là, honteusement asservie aux erreurs de la superstition et aux fureurs sanglantes du fanatisme; elle nous peindra la philosophie établissant partout son règne, chassant l'ignorance et la barbarie, réunissant par une communication de lumières, les peuples les plus éloignés les uns des autres. Étudions l'histoire : les portraits des hommes bons. et vertueux qu'elle nous mettra sous les yeux, nous engageront à leur ressembler par des motifs propres à opérer sur tous les coeurs; je ne parle point de ceux qui se seroient fait un principe et une gloire d'ètre méchans, ils n'appartiennent pas à l'humanité. Enfin, étudions l'histoire : elle nous fournira une multitude d'exemples de sagesse, de générosité, d'héroïsme, qui frapperont notre âme, ennobliront ses sentimens, nous éleveront au-dessus de nous-mêmes, et nous feront travailler sans relâche au bonheur de nos semblables.

Tels sont les fruits que l'on recueille, lorsqu'en levant ce voile qui couvre le passé, nous suivons nos ancêtres à la trace; nous nous accoutumons à vivre avec

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CHAPITRE III.

DIFFÉRENCE DE SYSTÈME ENTRE L'HISTOIRE ANCIENNE ET LA NÔTRE.

CETTE différence provient de celle de nos mœurs et de

notre éducation. Tite-Live, Saluste, Tacite et Quinte-Curce croyoient avoir rempli tous leurs devoirs quand ils étoient éloquens et vrais. Nous nous plaignons de ne pas trouver chez eux assez de lumières et de détails sur les mœurs publiques et particulières, sur la police intérieure, sur les lois, sur les finances, sur les impôts, sur les subsistances, sur l'art militaire, etc. C'est dans les traités faits exprès, dans des ouvrages d'une autre espèce que nous allons chercher, sur tous ces points, la connoissance de l'antiquité. Depuis que les esprits se sont tournés parmi nous vers la législation et l'économie politique, ce qui nous paroît le plus important dans l'histoire, c'est la recherche de ces deux grands objets, et la comparaison de ce qu'ils étoient autrefois et de ce qu'ils sont aujourd'hui. Cette comparaison est vraiment intéressante; mais pourquoi ne trouvons-nous pas, à cet égard, à satisfaire entièrement notre curiosité dans les historiens grecs et romains les plus célèbres ; et d'un autre côté, pourquoi ce genre d'histoire philosophique nous paroît-il aujourd'hui nécessaire dans les annales de l'Europe moderne?

En voici peut-être la raison. Nous avons été long-temps barbares, long-temps nous n'avons su`ni ce que nous ! étions, ni ce que nous devions être. L'Europe entière livrée au mélange bizarre des constitutions féodales interprétées par la tyrannie, et de quelques lois romaines interprétées par l'ignorance; l'Europe n'offre, jusqu'au seizième siècle, qu'un chaos, qu'un labyrinthe où se perd cette foule de nations échappées aux fers des Romains, pour tomber dans ceux des barbares du nord, devenues aussi grossières que leurs nouveaux vainqueurs, et sur lesquelles l'oeil de la raison ne sé fixe qu'avec peine, jusqu'au moment où la lumière des arts vint les éclairer. La curiosité de ces nations est donc aujourd'hui de connoître leurs ancêtres dont elles n'ont rien conservé, de chercher des traces de ce qui n'est plus, de voir à quel point elles sont différentes de leurs pères. Mais les Romains, mais les Grecs ont été toujours, à la corruption près, ce que leurs pères avoient été.

Les lois des douze tables étoient en vigueur chez Auguste comme au temps des guerres des Samnites; la distribution des tribus romaines étoit la même, les magistratures étoient les mêmes. Le sénat, pendant sept cents ans, avoit eu la même forme, depuis les premiers consuls jusqu'aux premiers césars. La discipline militaire, la tactique, la légion subsistèrent sans aucun changement considérable, depuis Pyrrhus jusqu'à Théodose. Le luxe augmentoit sans doute avec les richesses, et la table de Lucullus n'étoit pas celle de Numa, ni de Fabricius; mais la robe consulaire de Cicéron étoit la même que celle de

Brutus; il avoit les mêmes droits, les mêmes prérogatives; au lieu qu'aujourd'hui l'habillement de ce qu'on appelle un grand seigneur dans les monarchies de l'Europe, ne ressemble pas plus à celui de ses aïeux, que son existence civile et politique ne ressemble à celle des leudes de Charlemagne et des barons de Philippe-Auguste, et qu'un régiment d'infanterie ne ressemble à la compagnie d'hommes d'armes de Charles V.

Il n'est donc pas étonnant qu'on ait beaucoup à nous apprendre sur nos ancêtres, et que les Romains et les Grecs ne voulussent savoir de leurs pères que leurs exploits, tout le reste leur étoit suffisamment connu. Tout citoyen se promenant à Rome sur la place publique du temps des césars, pouvoit monter à la tribune aux harangues, où avoit parlé le premier tribun du peuple. S'il prétendoit au même honneur, il lui falloit faire les mêmes démarches, et obtenir les mêmes suffrages. Mais un brave homme, qui chercheroit aujourd'hui quelqu'un qui l'armât chevalier, ou une belle dame qui lui ceignît l'épée et lui chaussât les éperons, paroîtroit aussi fou que Don Quichotte, et seroit, avec raison, renvoyé à l'école de l'histoire.

(LA HARPE.)

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