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nous donneront là-dessus des règles et des maximes: l'Histoire fera mieux, elle mettra les hommes, les passions, la raison, les vices, les vertus en mouvement et en action; elle nous présentera tous les objets dans leur vrai jour, et cette vue nous sera bien plus utile que le fil des préceptes sans exemples qui, à chaque instant, nous échappera : c'est dans l'Histoire, comme dans un dépôt public que les actions des hommes se conservent : témoin de la vérité, elle nous en rend nous-mêmes les témoins : elle est le conseiller du sage et le précepteur de tous : l'amélioration des hommes est son but, la franchise est sa vertu, la justice est sa loi. Sur tous les états, sur toutes les conditions, elle exerce l'utile emploi de démasquer les hommes et le droit souverain de les juger!

Ce que l'Histoire seule dit aux grands, seule elle le dit au reste des hommes. Nous sommes comme eux, presque tous environnés de flatteurs, de gens injustes et partiaux. Avons-nous des amis, des amis sages, éclairés, et assez fermes pour nous dire la vérité? sommes-nous assez amis de nous-mêmes, assez raisonnables pour l'entendre? Croyons-en le mot d'un roi de Sicile, sur les livres historiques: Les meilleurs des conseillers sont les morts.

L'Histoire est nécessaire pour nous conduire dans le chemin du devoir ce ne seroit point encore assez, si elle ne nous le faisoit chérir; mais l'idée qu'elle nous donne du vice, ne peut manquer de nous en inspirer l'horreur le portrait qu'elle nous fait de la vertu ne peut que nous enflammer pour elle. Rarement voyonsnous le vice aussi noir qu'il l'est, si ce n'est dans nos en

nemis; mais comme l'Histoire n'a point de bandeau, aucun préjugé ne le colore, aucun intérêt ne le déguise. Il la vertu soit reconnue et honorée de ses con-temporains dans les fastes de l'humanité chaque chose prend sa place et sa couleur naturelle.

est rare que

L'aspect des Tibère et des Néron soulève contre la tyrannie et la cruauté. La vue d'un Catilina indigne contre l'ambition et la sédition. Partout le crime fait frémir, parce que partout il est présenté avec une expresssion caractéristique, et sous les traits les plus odieux. Lycurgue veut bannir de Lacédémone l'abrutissante ivresse ; il ordonne à tous les pères de familles de faire voir à leurs enfans des esclaves abandonnés à l'excès de cette passion. Par un heureux contraste les vertus et les bonnes actions échauffent l'âme dans l'Histoire. On n'admire point les Epaminondas, les Scipion, les Marc-Aurèle, les Trajan, les Henri IV, sans les aimer : on ne les aime pas sans concevoir pour leurs vertus les mêmes sentimens que pour leurs personnes, ou plutôt on n'aime leurs personnes que pour leurs vertus.

C'est l'humanité, la bienfaisance, l'intégrité, la doudes l'on aime, que, ceur mœurs, que l'on adore en eux. Les grands hommes se sont toujours proposé quelque grand modèle de l'histoire à imiter. Alexandre vouloit suivre le vol d'Achille, Charles XII les traces d'Alexandre, Henri IV celles de Louis XII; Antonin imita Trajan, et Marc-Aurèle, qui fit asseoir la philosophie à côté de lui, sur son trône, se modela sur Antonin. Sénèque n'a pas craint d'assurer qu'on ne se distingueroit jamais dans la science

et la vertu, si l'émulation ne nous choisissoit dans ses annales un illustre rival. Plutarque a écrit qu'à mesure qu'il travailloit sur les vies des hommes illustres, il se sentoit à chaque pas, encouragé, échauffé, élevé par leurs actions. Qui a lu les parallèles de Plutarque, sans être devenu meilleur ou du moins sans désirer le devenir? Quelle âme, après avoir vu Thémistocle s'offrir pour soutenir les intérêts de la Grèce, au bâton d'Eurybiade, oseroit sacrifier sa patrie à une vaine gloire? Qui est-ce qui, voyant Aristide écrire sa condamnation, n'attendra pas sa justification du temps et de ses vertus? Qui est-ce qui, lisant les refus que Fabius fait de l'or et des honneurs qui lui sont offerts par l'ennemi de sa patrie, rougira d'une vertueuse pauvreté ? Qui est-ce qui, suivant à Carthage Régulus, qui, fidèle à sa parole, se livre à la vengeance, oseroit trahir, pour quelque intérêt que ce fût, le droit des gens? Une infinité de semblables actions se présente à notre esprit. L'exemple de l'héroïsme et de la générosité sera toujours un germe de gloire et une source de vertus. Comment cela ne seroit-il pas ainsi, puisque ces mêmes exemples nous apprennent que notre intérêt comme notre devoir est d'être bons et vertueux; puissant motif par lequel l'Histoire nous confirme dans l'amour du bien, après nous l'avoir inspiré.

Le devoir de l'annaliste, dit Tacite, est de mettre la vertu dans tout son jour, et de faire craindre l'infamie pour les mauvaises actions. Si l'historien veut remplir cet objet, il suffit qu'il soit fidèle. Dans l'histoire de tous les peuples, les méchans paroissent environnés de périls et

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de la haine publique. Il en est peu qui parviennent à exécuter leurs infàmes projets; il n'y en a point qui jouissent de leurs succès sans remords et sans alarmes. On brise après leur mort la statue des monstres que la lâcheté a encensés de leur vivant, et l'on imprime sur leurs noms le caractère de l'opprobre. La mémoire des bons, au contraire, vit au-delà du tombeau jusque dans les siècles les plus reculés, qui les vengent toujours de l'injustice qu'on leur a faite ; car, je ne l'ai pas dissimulé, la vertu ne trouve pas toujours sa récompense hors d'ellemème, et les bonnes actions produisent quelquefois des fruits amers. Mais la vertu méprisée, foulée aux pieds, est plus heureuse que le crime heureux : les bons jouissent toujours du témoignage de leur cœur des suffrages de leurs semblables, de la douceur d'avoir servi les autres, quelques ingrats qu'ils soient. Les méchans ont toujours contre eux, et leur conscience qu'ils trahissent, et leurs pareils qui les jalousent, et les malheureux qu'ils font, et les bons qu'ils indignent, et les lois qu'ils outragent. Il y en a si peu qui n'aient porté, dès cette vie, la peine due à leurs forfaits, comment un mauvais cœur, en considérant le sort de ses semblables, ne se rejetera-t-il pas d'effroi dans les bras de la vertu? Qu'on ne dise point que l'Histoire ne nous présente que les malheurs des grands scélérats. Qu'importe? Ce qui se passe sur les théâtres éminens, est l'image de ce qu'on voit arriver dans toutes les conditions. Le malheureux obscur est moins généralement haï, parce qu'il ne fait pas de si grands maux ; mais il est haï de tous ceux qui le connoissent,

et plus sa méchanceté s'étendra, plus sa punition en deviendra éclatante. L'Histoire, qui nous présente le vice abhorré et malheureux dans les grands, nous apprend qu'il l'est aussi parmi le peuple. Elle met la récompense à la suite de la vertu, et les punitions à la suite du vice; et, dans les occasions même où les méchans l'emportent sur les bons, c'est toujours le sort des bons qu'elle fait préférer. En effet, qu'elle nous place à Athènes consternée par la mort de Socrate, nous laissera-t-elle hésiter si nous voudrions ètre, ou ce sage, ou l'un de ses juges? Qu'elle nous transporte à Rome, plongée dans un vaste silence par la mort de Germanicus, nous fera-t-elle balancer entre la victime et le meurtrier? Disons donc, avec Diodore de Sicile, qu'en conservant la mémoire des grands hommes, elle est la bienfaitrice de l'humanité.

L'Histoire est un miroir, où nous composerons notre vie sur les vertus d'autrui. Je la regarde comme le feu sacré, destiné à entretenir la lumière de la science et la chaleur de la vertu. Comment, réunissant ainsi l'agréable à l'utile, n'auroit-elle pas des attraits irrésistibles pour tous les lecteurs, qui cherchent à perfectionner leur 'raison? Étudions l'histoire : nous verrons les empires sortir du chaos, briller de l'éclat le plus frappant, et tomber ensuite dans l'abîme; elle nous fera connoître la marche de la société, les changemens et les progrès des lois, des moeurs, des arts, de l'agriculture, du commerce, en un mot, elle nous fera acquérir la science de la société comme celle de la nature. Étudions l'histoire : les motifs les plus secrets qui ont fait agir les hommes, les causes des événemens qui

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