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parle à sa voix le monde quitte le néant, et l'homme sort avec étonnement de la poussière. Dans une seule famille, dans un seul homme, je vois la multitude presque infinie de générations qui doivent couvrir la surface de la terre. Déjà elles se sont multipliées, comme les grains de sable de la mer; mais ingrates et coupables envers leur créateur, la vengeance céleste ensevelit sous un déluge d'eau, le criminel et le crime. Le genre humain renaît, les familles se séparent, les différens climats sont surpris de leurs nouveaux habitans. Dieu se choisit un peuple, et le gouverne. Au moindre signe de sa volonté la nature se tait, et suspend son cours pour suivre celui des miracles. Le soleil arrête sa marche; les mers sont divisées, les fleuves enchaînés, les armées détruites par la main d'un homme qui parle au nom du Tout-Puissant. C'est ainsi que Dieu fait connoître à l'univers la protection qu'il accorde aux Hébreux. Ce peuple est admirable, puissant, victorieux, lorsque son maître le récompense de sa fidélité; il est vil, foible, esclave, il rampe dans la bassesse et l'ignominie, lorsqu'il s'abandonne à ses honteux déréglemens. Enfin il a comblé la mesure de ses crimes : il est dissipé; le fils de Dieu descend sur la terre; et sur les débris du temple de ce peuple, il jette les fondemens inébranlables d'une religion nouvelle, contre laquelle se briseront les efforts réunis de l'Enfer. Ce Dieu homme, dont la vie est un enchaînement de merveilles, est accusé, calomnié, condamné à la mort des scélérats; il expire en Dieu : ses disciples meurent dans les tourmens les plus rigoureux; et P'univers croit en lui.

Tandis que Dieu imprime visiblement son cachet éternel sur son ouvrage, il dirige d'une manière plus cachée les événemens du reste du monde. Sous la conduite de sa providence, je vois les empires se succéder les uns aux autres comme les générations. Semblables aux individus de l'espèce humaine, les peuples passent par une sorte d'enfance, s'élèvent et tombent. Le vaste empire de Babylone est renversé par la fortune de Cyrus : les Perses presqu'inconnus avant ce conquérant, deviennent la première puissance de l'univers; un petit prince de la Grèce, un jeune guerrier les subjugue. Tous les peuples semblent jetés sur la terre comme des armées ennemies, pour s'entre-détruire.

Successivement vainqueurs et vaincus, opprimés et oppresseurs, ils me présentent partout l'image de l'instabilité humaine. Partout la décadence des moeurs annonce et entraîne celle des empires. Si je me transporte de l'orient à l'occident, je vois dans un coin de l'Italie (qu'on me passe la métaphore) un arbrisseau qui se soutient à peine, s'affermir, s'élever insensiblement, tout à coup étendre ses branches vigoureuses dans les climats lointains, porter sa tête altière jusqu'aux cieux, et couvrir enfin tout le monde connu de son ombre. On voit que je parle de l'Empire romain.

Lorsque ce peuple, si étonnant par l'éclat de ses vertus et de ses vices, par l'étendue de ses lumières, par le succès de ses armes, par la profondeur de sa politique, se glorifioit d'avoir enchaîné tous les rois et donné des lois à presque toute la terre, une nation immense existoit

inconnue; elle croyoit occuper seule la plus grande partie du monde : nation éclairée et polie, de tous les temps invariable dans ses lois, dans ses coutumes, dan's ses mœurs; nation qui, plusieurs fois conquise, a tou— jours soumis ses conquérans à ses lois, à ses coutumes, à ses mœurs : c'est ce qu'on admire dans les Chinois. Si je tourne mes pas vers les régions glacées du nord, j'en vois sortir des nuées de Barbares qui se jettent sur l'Europe, engloutissent l'Empire romain, et préparent un nouvel ordre de choses.

Si je descendois d'âge en âge dans l'histoire moderne, je trouverois un célèbre imposteur qui part de l'Arabie, servi par le fanatisme et l'épée, et subjugue des contrées immenses; je verrois sortir de l'Océan un monde nouveau ; je verrois l'Europe donner au monde des lois sans en avoir elle-même, tout convoiter, tout envahir, tout désoler; se déchirer sans cesse avec les forces de toutes les parties de l'univers; se bercer dans de vaines idées d'équilibre et de contre-forces; nourrir l'absurde système que la foiblesse d'un peuple fait la force de l'autre; augmen→ ter son luxe, accroître ses besoins, et détruire, par l'abus de l'impôt, ce que le glaive et les mauvaises lois avoient épargné.

Les lois, les gouvernemens et les moeurs des nations ornent aussi les fastes de l'histoire de tableaux curieux. La nature fut le législateur de tous les peuples, ou plutôt Dieu grava dans le coeur des hommes des lois saintes et invariables. Les premières familles obéirent à ces dois secondées par l'autorité paternelle, par l'empire de la

vertu, par les instructions de la vieillesse respectée. Mais le crime rompit tout frein; alors les lois civiles vinrent à l'appui de la loi naturelle; chacun dépose une partie de ses droits et de ses forces dans les mains d'un juge vengeur commun. Dans les différens climats se formèrent divers gouvernemens: la monarchie, et bientôt le despotisme gouvernent l'Orient; l'Occident est soumis au gouverne→ ment républicain. Chaque peuple a son législateur ; chaque législateur forme son code suivant l'esprit, les mœurs, le climat du pays qu'il réforme; chaque peuple a, si j'ose ainsi parler, sa physionomie propre.

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L'Egypte, paisible et industrieuse, se signale par la sagesse et les arts. La Perse, dans son premier âge, ne s'occupe qu'à civiliser des hommes indomptables. La liberté, les arts, l'industrie de la Grèce en imposent à l'univers. La pauvre Lacédémone intimide la Grèce par l'héroïsme de ses vertus, et par la sévérité de ses lois. L'avare et ambitieuse Carthage n'est pas contente de lever un tribut sur tous les peuples par le commerce elle tente de les y assujettir par la force. L'esprit effréné des conquêtes emporte contre toutes les nations, Rome, qui, comme la flamme, s'éteint après avoir tout consumé. Les Barbares, habitans du Nord, n'ont d'autre dieu que leur épée. La religion de ces différens peuples prend uné forte teinture de leur caractère. Les dieux sont tous armés à Lacédémone ; ils étoient tous chargés de fleurs à Sybaris. Les nations dures et cruelles aiment les sacrifices sanglans; ils étoient abhorrés chez les peuples doux et sensibles. Presque partout on voit la superstition à la suite de la

religion, l'erreur à côté de la vérité, le bien mêlé avec le mal; partout, le temps corrompt et épure, renverse et édifie, éclaire et obscurcit tour à tour. Les hommes sont partout les mêmes, et partout différens. C'est tou jours le même fonds de passions, mais toujours modifiés par les circonstances. Quelle riche moisson de connois→ sances ne recueille-t-on pas, en suivant les temps et les lieux où la scène change continuellement au gré de la cu— riosité.

Si nous considérons maintenant le tableau de l'esprit humain, je veux dire les vicissitudes de l'ignorance et de la philosophie, le flux et reflux de la barbarie et des arts; quels spectacles singuliers s'offrent à nos regards! Je ne m'arrête point sur ces longues nuits dont l'igno rance a, pendant des siècles et par intervalles, couvert la surface de la terre, quoiqu'elles fournissent matière à des discussions profondes pour celui qui considère les événemens, tout à la fois comme les effets et les causes qui influent dans les mouvemens du corps politique : les siècles de lumière nous présentent des objets plus agréa– bles et plus intéressans. Voyez l'Egypte, le berceau des arts: comme de superbes monumens nous attestent encore, malgré l'empire du temps, le génie de cette nation! L'imagination se les représente à peine ils nous retracent en quelque sorte le degré de gloire, auquel les connoissances et les vertus élevèrent cette contrée. Comme le Nil dans ses débordemens, elle porta au loin la fécondité de la science parmi les peuples incultes et barbares. La sagesse et les arts de la Grèce ne furent

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