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XLVII.

Les ministres, sommés, comme on l'a vu, par un décret de l'Assemblée, de venir demander les moyens de force nécessaires au pouvoir exécutif, et d'accepter ensuite la responsabilité entière des événements, comparurent à la séance du 25 octobre pour obéir à la lettre du décret. Le garde des sceaux lut à la tribune la réponse collective des ministres à la motion de Mirabeau. Dans cette réponse déplorable, aveu de découragement et de perdition par la bouche de ceux qui conseillaient le pouvoir royal, ils accusent de leur inaction l'anarchie universelle, qui avait brisé toute autorité dans leur main, et qui se jouait des décrets de l'Assemblée elle-même, la désobéissance des administrateurs, la suspension de la justice, l'explosion impunie du journalisme, l'insubordination de tous les rouages du gouvernement donnée en exemple à l'insubordination des troupes et du peuple, enfin l'interrègne complet de toute autre force que celle des insurrections contre le roi lui-même.

<< Dans une telle situation, » disaient-ils, « qui » oserait prendre sur soi d'accepter la responsabilité » qu'on nous impose? Jamais nous n'aurons cette » témérité, et si on persiste à l'exiger de nous, nous >> abandonnerons la place aux hommes assez aveugles » ou assez imprudents pour ne pas s'effrayer de l'em

» pire des circonstances. Nous ne sommes pas même » appelés à conférer avec vous!...

» Ce qu'il faudrait avant tout, » ajoutaient-ils en finissant, « ce serait l'abandon de toutes ces mé>> fiances, une confiance fondée entre vous et nous » sur l'estime! Si d'autres ont les moyens qui nous » manquent, indiquez-les vous-mêmes; nous irons » au devant d'eux. Il faut, sachez-le, plus de cou» rage, dans l'état où nous sommes, pour conserver » de telles places que pour les abdiquer!

»

Ce cri de détresse et de découragement était le testament politique de M. Necker. L'Assemblée ne put l'entendre sans pitié. Ce cri de faiblesse, mais de vérité, porta la terreur dans la France entière et la stupeur en Europe. Jamais un gouvernement n'avait proclamé de si haut son propre anéantissement. Le roi, M. Necker, les royalistes du conseil secret des Tuileries espéraient sans doute, en l'avouant avec tant de douleur, exciter le remords et la résipiscence des peuples et retrouver l'empire dans le désespoir du royaume. Mais ce n'est jamais le pouvoir tombé que le peuple relève, Il eût été moins pusillanime et moins avilissant pour le roi d'abdiquer devant la Révolution, qui l'avait désarmé de tout, hors de son titre, que d'accepter, en restant en évidence sur son trône, cette responsabilité de l'anarchie et cette dérision de gouvernement. Son titre de roi ne pouvait plus être dans sa pensée qu'un titre de nullité et un texte d'accusation.

Le lendemain d'un pareil aveu, fait en son nom par ses ministres, il ne lui restait qu'à descendre du trône en appelant au peuple, ou à s'y raffermir en appelant à son armée. L'heure de la retraite ou l'heure de la dictature était évidemment sonnée pour lui. Il n'entendit ni l'une ni l'autre, et il se laissa emporter au courant des événements, qui ne le comptaient plus.

XLVIII.

L'Assemblée s'occupa, le 27, de la convocation insurrectionnelle des états provinciaux du Dauphiné, du Languedoc et de la Bretagne, par Mounier, LallyTollendal et d'autres députés absents, pour protester contre le 6 octobre et contre les décrets arrachés par la violence aux états généraux. On excusa, on nia, on pallia ces inutiles tentatives de la noblesse, du clergé et des parlements de ces provinces, qui n'avaient de danger que pour leurs auteurs. Le peuple des villes et des campagnes était trop animé contre ses anciens maîtres pour s'insurger en faveur des priviléges qu'il venait de secouer. « Il est vrai, » dit ironiquement Dupont (de Nemours), l'ancien disciple du marquis de Mirabeau, « que les provinces » ne veulent pas croire aisément à la liberté de la >> translation du roi à Paris, sollicitée par une ar» mée de vingt mille hommes et par un train d'ar

>> tillerie! >> Sur la motion de Mirabeau et d'Alexandre de Lameth, l'Assemblée décréta l'interdiction de toute convocation dans le royaume. Clermont-Tonnerre, qui avait repris sa place dans l'Assemblée, ne s'opposa pas à ce décret; mais il en provoqua l'application à un des districts de Paris qui avait insolemment protesté contre la loi martiale. Target, en soutenant le droit de convoquer des assemblées libres des citoyens pour s'entretenir des intérêts publics, démontra que ce droit ne pouvait s'étendre aux corps constitués, qui déchireraient le royaume en lambeaux en élevant puissance contre puissance.

M. de Cazalès et M. de Virieu réclamaient pour les provinces le droit de conférence et de pétitions collectives. « Peut-on redouter, » dit le comte de Virieu, « les habitans d'une province qui a donné » le signal de la liberté? » Mirabeau, en peu de mots, anéantit un sophisme plus propre à féodaliser l'esprit de résistance qu'à reconstituer l'unité monarchique.

Le lendemain il lut à l'Assemblée une motion d'apparat sur l'inscription civique des jeunes citoyens au tableau des citoyens actifs par les assemblées primaires, institution républicaine qui correspondait aux institutions de Rome, dont l'imitation fanatisait en ce moment les législateurs et le peuple.

<«< Messieurs, » dit avec une solennité inusitée le grand orateur, « pendant que vous vous occupez

>> des conditions à exiger pour être électeur et éli»gible, je vous propose de consacrer une idée qui >> m'a paru très simple, très noble, et que je >> trouve indiquée dans un écrit récemment publié >> par un de nos collègues (Sieyès). Il propose d'at>> tribuer aux assemblées du peuple la fonction » d'inscrire solennellement les hommes qui auront >> atteint l'âge de vingt et un ans sur le tableau >> des citoyens, et c'est ce qu'il appelle l'inscription civique.

>> Ce n'est point le moment d'entrer dans cette » question vaste et profonde d'une éducation civi» que, réclamée aujourd'hui par tous les hommes

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éclairés, et dont nous devons l'exemple à l'Eu>> rope. Il suffit à mon but de vous montrer qu'il >> est important de montrer à la jeunesse les rap» ports qui l'unissent à la patrie, de se saisir de >> bonne heure des mouvements du cœur humain » pour les diriger au bien général, et d'attacher » aux premières affections de l'homme les anneaux » de cette chaîne qui doit lier toute son existence » à l'obéissance des lois et aux devoirs du citoyen. » Je n'ai besoin que d'énoncer cette vérité. La patrie, >> en revêtant d'un caractère de solennité l'adoption » de ses enfants, imprime plus profondément dans » leur cœur le prix de ses bienfaits et la force de >> ses obligations.

» L'idée d'une inscription civique n'est pas nou

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