Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

ÉMILE28

ου

DE L'ÉDUCATION,

Par J. J. ROUSSEAU,
Citoyen de Genève.

Sanabithito aprotamus male; ipligns nos in redu

[graphic]

OD

C

A AMSTERDAM,
Chez JEAN NEAULME, Libraire,
M DCC LXII

1837

Avec Privilege de Nosfeigneurs les Etats de
Hollande & de Weftfrife.

Centrale Bibliotheek
Gasthuisring 54
TILBURG

རྒྱུནར་ད་ན་

!

EX LIBRIS

UNIVERSITATIS
NOVIOMAGENSIS

5.692.401

E Recueil de réflexions & d'obfervations

Cfans ordre, & prefque fans fui:e, fut com

mencé pour complaire à une bonne mere qui fait penfer. Je n'avois d'abord projetté qu'un Mémoire de quelques pages: mon fujer m'entraînant malgré moi, ce Mémoire devint infenfiblement une efpece d'ouvrage, trop gros, fans doute, pour ce qu'il contient, mais trop petic pour la matieré qu'il traite. J'ai balancé longtems à le publier; & fouvent il m'a fait fentir en y travaillant, qu'il ne fuffit pas d'avoir écrir quelques brochures pour favoir compofer un livre. Après de vains efforts pour mieux faire je crois devoir le donner tel qu'il eft, jugeant qu'il importe dé tourner l'attention publique de ce côté-là, & que quand mes idées feroient mauvaises, fi j'en fais naître de bonnes à d'autres, je n'aurai pas tout-à-fait perdu mon tems. Un hommé, qui de fa retraite, jette des feuil-les dans le Public, fans prôneurs, fans parti qui les défende, fans favoir même ce qu'on en penfe ou ce qu'on en dit, ne doit pas craindre que, s'il fe trompe, on admette fes erreurs fans

examen.

Je parlerai peu de l'importance d'une bonne education; je ne m'arrêterai pas non plus à prouver que celle qui eft en ufage eft mauvaise; mille autres l'ont fait avant moi, & je n'aime point à remplir un livre de chofes que tout le monde fait. Je remarquerai feulement, que depuis des tems infinis il n'y a qu'un cri contre la pratique établie, fans que perfonne s'avife d'en propofer une meilleure. La Littérature & le favoir de notre fiecle tendent beaucoup plus à détruire qu'à édifier. On cenfure d'un ton de maître; pour propofer, il en faut prendre un autre, auquel la hauteur philofophique fe complaît moins, Malgré tant d'écrits, qui n'ont, dit-on, pour but que l'utilité publique, la premiere de tou Tome I

res les utilités, qui eft l'art de former des hom mes, eft encore oubliée. Mon fujet étoit tout neuf après le livre de Locke, & je crains fort qu'il ne le foit encore après le mien.

On ne connoît point l'enfance; fur les fauffes idées qu'on ena, plus on va, plus on s'égare. Les plus fages s'attachent à ce qu'il importe aux hommes de favoir, fans confidérer ce que les enfans font en état d'apprendre. Ils cherchent. toujours l'homme dans l'enfant, fans penfer à ce qu'il eft avant que d'être homme. Voilà l'étude à laquelle je me fuis le plus appliqué, afin que, quand toute ma méthode feroit chimérique & fauffe, on pût toujours profiter de mes obfervations. Je puis avoir très-mal vu ce qu'il faut faire, mais je crois avoir bien vu le fujet fur lequel on doit opérer. Commencez donc par mieux étudier vos éleves; car très-affurément. vous ne les connoiffez point. Or fi vous lifez ce livre dans cette vue, je ne le crois pas fans'uti➡ lité pour vous.

A l'égard de ce qu'on appellera la partie fiftématique, qui n'eft autre chofe ici que la marche de la nature, c'eft-là ce qui déroutera le plus le Lecteur; c'eft auffi par-là qu'on m'attaquera fans doute; & peut-être n'aura-t-on pas tort. On croira moins lire un Traité d'éducation què les rêveries d'un vifionnaires fur l'éducation. Qu'y faire? Ce n'eft pas fur les idées d'autrui que j'écris;c'eft fur les miennes. Je ne vois point comme les autres hommes; il y a long-tems qu'on me l'a reproché. Mais dépend-il de moi de me donner d'autres yeux, & de m'affecter d'autres idées? Non. Il dépend de moi de ne point abonder dans mon fens, de ne point croire. être feul plus fage que tout le monde; il dépend de moi, non de changer de fentiment mais de me défier du mien voilà tout ce que je puis faire, & ce que je fais. Que fi je prends quelquefois le ton affirmatif, ce n'eft point

:

1

(ii)

pour en impofer au Lecteur; c'est pour lui parler comme je penfe. Pourquoi propoferoisje par forme de doute ce dont, quant à moi je ne doute point? Je dis exactement ce qui fe paffe dans mon efprit...

[ocr errors]
[ocr errors]

En expolant avec liberté mon fentiment j'entends fi peu qu'il faffe autorité , que j'y joins toujours mes raifons, afin qu'on les pefe & qu'on me juge : mais quoique je ne veuille point m'obftiner à défendre mes idées, je ne me crois pas moins obligé de les propofer; car les maximes fur lefquelles je fuis d'un avis contraire à celui des autres, ne font point indifférentes. Ce font de celles dont la vérité ou la faufleté importe à connoître, & qui font le bonheur ou le malheur du genre humain.

Propofez ce qui eft faifable, ne ceffe-t-on de me répéter. C'eft comme fi l'on me difoit; propofez de faire ce qu'on fait; ou du moins propofez quelque bien qui s'allie avec le mal exiftant. Un tel projet, fur certaines matieres eft beaucoup plus chimérique que les miens: car dans cet alliage le bien fe gâte, & le mal ne fe guérit pas. J'aimerois mieux fuivre en tout la pratique établie que d'en prendre une bonne à demi: il y auroit moins de contradiction dans l'homme; il ne peut tendre à la fois à deux buts oppofés. Peres & Meres, ce qui eft faifable eft ce que vous voulez faire. Dois-je répondre de votre volonté ?

En toute efpece de projet, il y a deux chofes à confidérer: premierement, la bonté abfolue du projer; en second lieu, la facilité de l'exé

cution.

Au premier égard, il fuffit, pour que le pro jet foit admiffible & praticable en lui-même, que ce qu'il a de-bon foit dans la nature de la chofe ici, par exemple, que l'éducation propofée foit convenable a l'homme, & bien adaprée au coeur humain.

La feconde confidération dépend des rapport

« PreviousContinue »