M. Thiers (1), se quittèrent sans être aussi mécontents l'un de l'autre que les demandes faites et refusées pouvaient donner lieu de le craindre. Le Pape, au lieu du guet-apens que les insensés lui annonçaient en quittant Rome, avait trouvé à Paris un accueil magnifique, augmenté par sa présence l'impulsion religieuse, occupé enfin, en France, une place digne des plus grandes époques de l'Eglise. A tout prendre, si ses conseillers intéressés étaient mécontents, lui s'en allait satisfait. Il échangea avec l'empereur et l'impératrice les adieux les plus affectueux, et partit comblé de riches présents. Il sortit de Paris, le 4 Avril 1805, au milieu d'une affluence de peuple plus considérable encore qu'à son arrivée.

« L'empereur avait commandé de magnifiques présents pour le Pape, les cardinaux et les prélats de la suite pontificale; il voulut aussi en faire aux principaux membres de la famille de Sa Sainteté. Il chargea son oncle de s'enquérir adroitement, ou par lui-même, ou par des intermédiaires, du nombre et des qualités des divers parents de Pie VII, afin de savoir ce qui pouvait leur être agréable. Le Saint-Père, ayant appris quelles étaient les intentions de l'empereur, pria le cardinal de ne pas pousser plus loin ses recherches, parce qu'il ne permettrait pas à ses neveux de recevoir la moindre faveur. Il ne voulait pas qu'on pût prendre de là occasion de dire qu'il avait sacrifié les intérêts de l'Eglise à ceux de sa famille. Tout ce que j'ai reçu, ajouta-t-il, n'est point pour moi, c'est pour le trésor de SaintPierre de Rome.

<< Napoléon fit présent au Pape de six chandeliers en vermeil avec la croix, pour l'autel de Saint-Pierre de Rome; il lui donna, en outre, un autel d'or évalué 600,000 francs, une tiare magnifique et des vases sacrés d'un riche travail. On y ajouta des tapisseries des Gobelins et des tapis de la Savonnerie, une statue de l'empereur en porcelaine de Sèvres, plusieurs pièces fort remarquables de cette manufacture, et en particulier

(1) Histoire du Consulat et de l'Empire, tom. v, pag. 317.

un vase d'une grandeur et d'une beauté extraordinaires donné au nom de l'impératrice. Il est aussi question de deux superbes voitures. Chaque cardinal reçut de Sa Majesté une superbe boîte avec son portrait enrichi de diamants, évalué 32,000 fr.; les autres prélats et seigneurs de Sa Sainteté eurent des présents non moins considérables ».

CHAPITRE ONZIÈME.

Retour du Pape à Rome.

Départ du Pape et de l'empereur de Paris.

Itinéraire officiel.

Le Pape, par ordre de l'empereur, est accompagné par M. de Brigode, son chambellan, et M. Durosnel, colonel de cavalerie. Pourquoi l'mpereur, dans ce voyage, avait précédé le Pape de quelques jours, pour quel motif le Pape célébra la fête de Pâques à Chalon-sur-Saône, et non pas à Lyon, comme on était convenu. Réception magnifique du Pape à Châlon, à Mâcon et à Lyon. Le Pape et l'empereur se séparent à Turin, l'un pour se rendre à Milan et l'autre pour reprendre le chemin de Rome. Les Italiens saluent avec enthousiasme le Pape à son passage, surtout à Parme, à Modène et à Reggio. Lettre du Pape à l'empereur. Réponse de ce dernier. Séjour du Pape à Florence. Soumission de Mgr Ricci, ancien évêque de Pistoie et de Prato. Entrée triomphale de Pie VII à Rome. Relations de M. Artaud, de M. Roux de Rochelle et de M. Durosnel à ce sujet. L'empereur félicite, par un envoyé extraordinaire, le Pape de son arrivée à Rome. - Réponse du Pape. Pie VII parle avec un vrai enchantement de son séjour à Paris et des attentions affectueuses de l'empereur envers lui. Récits de M. Artaud et de Mgr Isoard. Arrivée de la riche tiare envoyée par l'empereur au Pape qui l'en remercie. Allocution du 26 Juin. L'abbé du mont Cenis. Mme de Champagny.

L'empereur précéda de quatre jours le Pape dans son voyage pour Milan. Le 20 Février, il avait chargé M. de Champagny de faire les préparatifs pour son voyage. A Lyon, il voulait faire une grande revue militaire, descendre à l'archevêché; à Turin, loger dans son palais de Stuppinigi (1). Le 24 de ce même mois, il ordonna au général de Caulincourt, grand écuyer de l'empire, de faire toutes les économies possibles pour le voyage, et d'éviter les frais énormes qu'avaient occasionnés ses voyages précédents. Celui de Belgique, par exemple, qu'il avait fait avec l'impératrice, avait coûté 400,000 francs, seulement pour les mouvements des chevaux, les frais de poste non compris. Celui de Fontainebleau à Paris, avec le Pape, revenait aussi à plus de 24,000 francs. A cet effet, il commanda qu'on ne lui envoyât

(1) Correspondance de Napoléon Ier, t. x, p. 193, no 8340.

plus de chevaux de Paris, comme on l'avait fait à son dernier voyage en Allemagne, mais qu'on se servît des chevaux d'écurie dans les différents endroits (1).

Le général de Caulincourt avait été aussi chargé de faire les préparatifs pour le départ du Pape. M. de Brigode, premier chambellan de Sa Majesté impériale, et M. Durosnel, colonel d'un régiment de cavalerie, qui étaient attachés au service du Pape pendant son séjour à Paris, devaient l'accompagner jusqu'à Rome. La suite du Pape formait trois convois, dont chacun était composé d'une douzaine de voitures. On appela ces convois colonnes, parce qu'ils voyageaient à de petits intervalles l'un de l'autre, et étaient escortés par des détachements de cavalerie. Pour le seul service du Pape, il n'y avait pas moins de 140 chevaux, ce qui explique naturellement pourquoi l'empereur précédait toujours le Pape de trois à quatre jours, puisqu'il aurait été absolument impossible d'avoir la quantité nécessaire de chevaux pour les deux suites de ces souverains. Les chevaux de l'empereur devaient ensuite relever les convois du Pape.

L'empereur et le Pape n'auraient pas pu voyager en même temps et ensemble par un autre motif bien légitime et très-raisonnable, celui du manque de localités et d'hôtels, pour y pouvoir loger et avoir les commodités nécessaires, les vivres, etc. La suite de l'empereur était plus nombreuse encore que celle du Pape, et toute militaire, ce qui aurait dû grandement gêner le Pape dans ses douces habitudes claustrales. Les fidèles mêmes n'auraient pas pu satisfaire à leur désir d'entourer le Pape de leurs démonstrations de piété et de vénération. Le peuple, en général, court plus volontiers aux fêtes mondaines qu'aux solennités religieuses. C'était pour cette raison aussi que l'empereur avait prié le Pape de célébrer la fête de Pâques, plutôt à Châlonsur-Saône qu'à Lyon, quoiqu'il fût convenu avec lui, comme nous l'avons vu dans la dépêche du cardinal Antonelli, du 18 Mars, qu'il devait la célébrer dans cette dernière ville. Par un

(1) Correspondance de Napoléon 1er, tom. x, pag. 209-213, nos 8357 et 8358.

sentiment religieux, par égard aux fonctions augustes de la semaine sainte, l'empereur avait retardé son arrivée à Lyon de plusieurs jours. Le dimanche de Pâques, il tint une grande revue militaire et donna des fêtes splendides aux députés italiens, qui étaient venus à sa rencontre, pour le conduire à Milan. Les dispositions de ce voyage avaient été d'ailleurs arrêtées directement par l'empereur avec le Pape, par l'entremise du cardinal Fesch, et on peut dire dans le véritable intérêt du Pape, qui, en effet, en était fort content (1). Le peuple, après avoir assisté aux fêtes bruyantes de l'empereur, avait le loisir de se livrer entièrement

(1) Voici l'itinéraire du voyage du Pape et de l'empereur, approuvé par le Pape, où l'on voit clairement que le Pape consentit à passer une bonne partie de la semaine sainte et les Pâques à Châlon. Cet itinéraire est souscrit en forme de ratification de la part de l'empereur et du Pape, par M. Caulincourt et le cardinal Fesch.

Itinéraire pour le voyage de S. M. l'empereur et celui du S.-Père.